D'après le Global Footprint Network (GFN), si chaque personne dans le monde consommait comme un Européen, il faudrait deux planètes supplémentaires pour subvenir à nos besoins et absorber nos déchets. Ce chiffre provient d'un calcul d'empreinte écologique, un indicateur développé par l'Américain William Rees et le Suisse Mathis Wackernagel. « L'empreinte écologique mesure la surface biologiquement productive nécessaire pour produire les ressources consommées par une population donnée [...] et absorber les déchets qu'elle produit. Cette surface est comparée à la surface productive effectivement disponible (biocapacité), ce qui permet d'estimer si les limites naturelles sont dépassées ou non », décrit l'association WWF, promoteur de cet indicateur en France (le WWF publie notamment une newsletter sur l'empreinte écologique). Aujourd'hui, pourtant, des critiques apparaissent sur sa pertinence.
Les concepteurs de l'empreinte écologique en reconnaissent eux-mêmes les limites : elle ne prend pas en compte les prélèvements d'eau douce, les pertes de biodiversité ou les substances toxiques. Mais un groupe de chercheurs de l'université de Lausanne va plus loin en critiquant la méthode de calcul elle-même. Il détaille ses critiques dans la revue Futurible (n° 334, octobre 2007, p. 5). Sous le titre « l'empreinte écologique, un indicateur ambigu », ils dénoncent « son caractère composite » et le fait qu'il mêle dépassement des limites écologiques et partage des ressources.
Des calculs contestables
L'indicateur calcule la biocapacité d'une région, constituée à la fois de ce que produit la partie exploitée du territoire ainsi que les potentialités des zones non mises en valeur. « L'empreinte écologique n'est pas critique sur les pratiques culturales en vigueur, qui fixent cette biocapacité, dénonce Frédéric Paul Piguet, l'un des chercheurs critiques. Ainsi, une culture intensive nuisant à la biodiversité entraînera une biocapacité élevée, contrairement à une culture traditionnelle aux faibles rendements, pourtant plus respectueuse. Il s'agit en fait d'un indicateur sur la capacité d'une région à fournir des ressources agricoles sur le court terme, pas d'un indicateur environnemental mesurant les dommages écologiques. » Il pourrait même inciter à la déforestation puisque la biocapacité augmente si l'on remplace des forêts par des cultures.
Autre critique, l'empreinte écologique évalue la production de CO2 et la surface nécessaire pour l'absorber.
Une conversion arbitraire
« Mais, pour calculer cette surface, on compte le nombre d'hectares de forêts qu'il faudrait planter pour séquestrer biologiquement ce CO2, regrette le chercheur. Ce mode de conversion des tonnes de carbone en hectares est arbitraire. » Or, ces surfaces de séquestration biologique du carbone représentent à elles seules la moitié de l'empreinte écologique mondiale calculée. « Cet indicateur est dangereux, prévient Frédéric Paul Piguet, car il pourrait encourager des pratiques anti-écologiques. » Thanh Nghiem, qui travaille à l'Institut Angenius sur l'empreinte écologique, estime, contrairement à Piguet, que « c'est une erreur profonde de traiter d'un côté le carbone et de l'autre l'usage des sols. Il y a une interdépendance entre l'usage des sols, l'énergie et les transports. » L'empreinte permet justement à un territoire d'évaluer l'impact de ses arbitrages. C'est ce que tentent de faire les Émirats arabes unis pour trancher s'il vaut mieux importer des aliments ou dessaler l'eau et cultiver sur place. Le GFN et Angenius prévoient prochainement une réponse détaillée aux critiques dans la Revue durable. Au-delà des questions d'expert sur la méthodologie, « l'enjeu est de faire de l'empreinte un outil transparent, enrichi par des retours d'expériences des utilisateurs », souligne Thanh Nghiem.