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Un cocktail qui laisse des traces

PUBLIÉ LE 1er AOÛT 2008
LA RÉDACTION
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Pesticides, médicaments, métaux lourds, biocides... Chaque jour, c'est toute une variété de substances chimiques qui est utilisée par les particuliers et les professionnels (industrie, agriculture), puis rejetée dans le milieu naturel. Et plus spécialement dans le milieu aquatique. Depuis le début des années 1990, de nombreuses études scientifiques soulignent le danger de certaines de ces substances qui perturbent et altèrent le système endocrinien de plusieurs espèces. Appelées perturbateurs endocriniens, ces molécules se définissent comme des substances étrangères à l'organisme capables d'agir sur le système hormonal des humains et des animaux. Elles sont extrêmement nombreuses, tant par leur composition, leur mode d'émission que leur provenance. une présence à l'état de trace L'altération du fonctionnement du système endocrinien se fait de trois façons : en imitant l'action d'une hormone naturelle, en la bloquant, en gênant la production, le transport ou le métabolisme des hormones. Plusieurs groupes de substances chimiques ont déjà été identifiés comme affectant le système hormonal. Des molécules de synthèse ont d'abord été mises en cause, comme certains plastifiants (phtalates et bisphénol A), métaux lourds (cadmium, mercure et arsenic), pesticides (DDT, atrazine et tributylétain), détergents (alkylphénols) et médicaments (antibiotiques, anticancéreux ou produits anticholestérol). Les hormones naturelles (oestrogène et progestérone) ou de synthèse (contraceptifs oraux) présentes dans l'environnement du fait d'activités humaines ont également été considérées. Mais les recherches avancent avec difficulté, et cela pour deux raisons : d'une part, ces éléments sont présents à l'état de trace, de quelques nanogrammes au microgramme par litre, ce qui rend difficile leur analyse ; d'autre part, un perturbateur endocrinien n'est jamais seul dans son milieu, mais mélangé à d'autres polluants. Les méthodes d'analyse Les chercheurs utilisent donc des méthodes d'analyse chimique et biologique pour caractériser le micropolluant recherché. Pour l'analyse chimique, les techniques chromatographiques (liquide ou gazeuse) couplées à une détection par spectrométrie de masse sont généralement employées. Elles permettent en effet d'atteindre des limites de quantification variant entre 20 et 50 ng/l, tout en garantissant une meilleure approche qualitative. L'étape d'extraction et de purification est cruciale car sa complexité est directement liée à celle de la matrice analysée. Par ailleurs, pour pouvoir réaliser la mise au point d'une méthode quantitative, il faut impérativement disposer d'un étalon témoin dont la structure chimique doit être le plus semblable à la molécule recherchée. Or, les étalons des produits pharmaceutiques sont souvent inexistants ou très chers. Dans une logique inverse, les écotoxicologues développent des méthodes d'analyse biologique pour étudier l'effet des rejets ou des eaux contenant ce type de cocktail de molécules. Si une activité est mise en évidence, la recherche porte alors sur l'identification chimique des composés responsables. « À l'heure actuelle, le problème est très complexe en raison de la multitude de perturbateurs endocriniens. Il faut arriver à hiérarchiser les priorités, en recherchant en premier lieu les effets, et revenir ensuite à la source des pollutions », explique Hélène Budzinski, directeur de recherche et responsable au laboratoire de physico-toxico chimie de l'environnement au sein de l'Institut des sciences moléculaires de Bordeaux. Plusieurs méthodes existent, soit in vitro, soit in vivo. Les bioanalyses in vitro, les plus utilisées reposent sur des interactions avec des récepteurs hormonaux, sur une prolifération cellulaire, sur l'expression de gènes ou sur des réactions immuno-enzymatiques. Le biotest YES (Yeast Estrogen Screen) utilise des levures qui ont été génétiquement modifiées pour répondre aux contaminants oestrogéniques. En présence d'oestrogènes, les échantillons à tester présentent un changement de couleur du milieu de culture du test. Autre méthode in vitro, le suivi de la modulation d'une activité enzymatique évalue le potentiel perturbateur endocrinien de type thyroïdien ou de type stéroïdien. Pour les bioanalyses in vivo, la production de vitellogénine chez les poissons mâles peut être un indicateur. Normalement synthétisée dans le foie de la femelle et véhiculée par le sang jusqu'aux ovaires, la présence de cette protéine reflète une exposition à des oestrogènes mimétiques. Le décompte de l'inversion de sexe chez les mâles renseigne également sur la contamination d'un cours d'eau. Mais toutes ces méthodes sont plus ou moins fiables, complexes et coûteuses. Les techniques n'étant pas encore standardisées, il peut y avoir une variabilité entre laboratoires, ce qui rend difficiles la reproductibilité et l'interprétation des résultats. « L'Onema, en contribuant au financement de certains projets de R et D, participe au développement à large échelle de nouveaux outils et méthodes plus performantes », ajoute Patrick Flammarion, directeur scientifique délégué à la recherche à l'Onema. Le problème est aussi lié au fait que les polluants sont mélangés et que leurs interactions modifient l'activité globale. La somme des potentialités chimiques des molécules est souvent différente de l'effet biologique mesuré sur une cellule, ce qui renseigne les chercheurs sur une possible synergie, additivité ou antagonisme. « Pour l'instant, les vraies synergies avec multiplication d'effets entre molécules organiques semblent très rares. En revanche, il en existe assez souvent entre molécules organiques et métaux », indique Jean Duchemin, chargé de mission eau et santé à l'agence de l'eau Seine-Normandie. Christophe Minier, chercheur au Laboratoire d'écotoxicologie et milieux aquatiques de l'université du Havre (Lema), a lui aussi conclu à une telle synergie. Lors de ses expériences sur la bile de poissons, il s'est aperçu qu'en présence d'oestradiol et de métaux lourds comme le zinc ou le cadmium, le niveau de réponse de l'activité biologique avait été multiplié par un facteur dix. Cet effet potentialisateur serait dû à l'interaction des métaux lourds avec des structures, appelées « doigts de zinc », présentes sur tous les types de récepteurs. De multiples effets sur la faune Ces perturbateurs ont donc la faculté d'interférer avec la synthèse, la sécrétion, le transport, la liaison ou l'élimination des hormones naturelles. Ces dysfonctionnements peuvent altérer diverses fonctions, telles que la croissance, le comportement, la fonction sexuelle, et induire des immunodépressions ou favoriser des cancers. Plusieurs cas révélant de tels effets sur la faune ont été rapportés : la masculinisation des mollusques marins femelles due au tributylétain utilisé dans les peintures antisalissure des bateaux, l'amincissement des coquilles d'oeufs d'oiseaux induit par le DDE, un métabolite du DDT ou des anomalies du développement chez l'alligator dans un lac de Floride contaminé par des pesticides organochlorés. Considérés comme les premiers indicateurs du bon état écologique des masses d'eau, les poissons, dont les différentes fonctions physiologiques sont étroitement régulées par un système endocrinien sophistiqué, représentent une des cibles privilégiées pour les perturbateurs. Les poissons sont donc au centre de plusieurs études qui ont pour but d'identifier les mécanismes d'action. La destruction de leurs branchies, la féminisation des mâles et des troubles du développement ont été constatés chez plusieurs espèces. Malgré ces observations, il n'a pas été possible d'identifier le rôle exact des molécules présentes dans le milieu et de véritablement caractériser leurs mécanismes d'action dû au fait de la superposition d'effets de ces molécules. des Soupçons, mais pas de preuves... Chez l'être humain, ces perturbateurs sont suspectés de jouer un rôle dans toute une série de troubles ou de pathologies observés à différents niveaux : l'appareil reproducteur, les systèmes nerveux et immunitaire et les cancers. Malgré le nombre croissant d'études sur ce sujet, il est toujours difficile d'établir de manière convaincante une relation de cause à effet. Dans le passé, quelques cas ont été avérés : l'administration d'oestrogènes de synthèse à des femmes enceintes a provoqué des troubles de fertilité dans la descendance, et la consommation de viande de phoque et de poissons gras fortement contaminés par des PCB a induit une forte chute d'immunité chez des enfants inuits. Mais ces exemples ne sont pas représentatifs car les niveaux d'exposition étaient très élevés et correspondent rarement aux concentrations analysées dans les cours d'eau. Pourtant, même en faible quantité, la présence de ces molécules entraîne une exposition constante et continue des organismes tout au long de leur vie et souvent d'une génération à l'autre. Cet effet qualifié de transgénérationnel est difficile à évaluer car il s'étend sur du long terme. « Personne ne peut savoir ce que vont faire des doses en continu, même au nanogramme, surtout pour des hommes qui y ont été toujours confrontés », insiste Hélène Budzinski. Entre 1980 et 2000, le nombre de cancers a augmenté de 60 %, et certains d'entre eux, les cancers hormono- dépendants (sein, testicules et prostate), pourraient être liés à la diffusion de ces micropolluants dans notre environnement. Pour Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'université de Bordeaux, le problème est de relier la maladie à la cause. « Il est plus simple d'identifier la molécule responsable d'une patho- logie quand un agriculteur utilise tous les jours une matière active précise, par exemple, qu'une personne exposée à un bruit de fond de tous les micropolluants », explique-t-il. Un cocktail de polluants rend difficile l'évaluation du potentiel toxique d'un échantillon lors de bioessais. De plus, les affinités des substances chimiques pour les récepteurs aux oestrogènes sont en général mille fois ou plus inférieures à celles des hormones naturelles (oestradiol oestrone...). Il est ainsi possible d'observer que, dans une rivière, 98 % de l'effet hormonal est dû à 2 % des substances oestrogénomimétiques, alors que les substances synthétiques (nonylphénol et bisphénol A) représentent 98 % du mélange. Dans beaucoup de cas, les hormones ne représentent que quelques pour-cent du mélange, mais sont responsables de 98 % de l'effet observé. La responsabilité des perturbateurs endocriniens reste donc plausible, mais est discutable, sachant que d'autres explications existent. Mise à part la complexité des réponses des organismes biologiques aux substances à activités hormonales, l'absence de preuve reflète un manque de données scientifiques pertinentes sur la fréquence, la longueur et les niveaux d'exposition aux polluants. Un autre problème concerne aussi l'insuffisance d'information sur l'exposition au cours des périodes critiques du développement précoce des humains, ce qui influencera le fonctionnement ultérieur de l'organisme. les Traitements en usine Une partie des micropolluants que l'on retrouve dans le milieu naturel est liée aux rejets des stations d'épuration. En effet, les procédés de traitement utilisés dans ces usines visent à éliminer principalement la pollution carbonée, l'azote et le phosphore. De par la faible concentration des molécules à effet perturbateur endocrinien et de par leur diversité chimique, il est difficile de les éliminer. Suivant les traitements utilisés (boues activées, réacteurs membranaires, biofiltres) et le type de substances toxiques, le pourcentage d'abattement de ces substances pourra osciller entre 70 et 95 %. « Il reste que même avec des taux d'abattement supérieurs à 99 % pour l'oestrone, par exemple, les perturbateurs endocriniens restent encore détectables et dans certains cas quantifiables dans les rejets de stations », insiste Martine Vullierme, directrice technique adjointe de Veolia Eau. Des étapes d'ozonation et de chloration permettraient d'éliminer une très grande partie de ces molécules. Mais ces traitements génèrent des métabolites ou sous-produits dont les effets sur les écosystèmes sont encore très mal connus. L'utilisation de ce type de méthode nécessite donc des bilans complets pour évaluer le risque environnemental complet. Différents programmes de mesures ont été lancés pour combler ces lacunes. Parmi eux, le projet Amperes s'intéresse à la composition en micropolluants des eaux usées avant et après traitement, et à l'efficacité d'élimination des différentes filières d'épuration vis-à-vis de ces contaminants. Financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) et Axelera, Amperes réunit plusieurs partenaires comme le Cemagref, le Cirsee, l'université de Bordeaux ou le centre d'enseignement et de recherche Eau Ville Environnement. Le but de ce projet est de mettre au point et de maîtriser des méthodes analytiques dans des matrices complexes, de quantifier les flux de micropolluants générés par les rejets de stations d'épuration domestique, d'évaluer les performances des procédés de traitement classiques, d'identifier les traitements avancés les plus prometteurs et d'évaluer le risque associé aux usages de l'eau rejetée. Recueillies dès 2006, les premières données ont permis de dégager une tendance générale : 85 % des substances prioritaires sont majoritairement éliminés par des procédés biologiques. Pour les traitements avancés, les résultats sont attendus pour la fin de l'année. Lorsque les stations ne sont pas capables de retenir ces molécules, elles sont alors rejetées et vont contaminer les eaux de surface, qui sont déjà polluées par les eaux de ruissellement ou de drainage des champs agricoles. En suivant le cycle de l'eau, cette problématique de présence des perturbateurs endocriniens va se retrouver au niveau des captages d'eau utilisés pour la production d'eau potable, et dans les usines qui y sont associées. Là encore, les procédés traditionnels de traitement d'eau ne sont conçus pour éliminer ce type de molécules, mais plutôt la pollution particulaire et la pollution dissoute. En revanche, un traitement par ultrafiltration et charbon actif (en grains ou en poudre) permet d'atteindre un abattement de 95 %. « Avec une filtration lente, une étape d'ozonation suivie d'une adsorption sur charbon actif en grains, les produits oestrogéniques ne sont plus détectés en sortie », confirme Michel Joyeux, directeur qualité environnement d'Eau de Paris. Cependant, un traitement additionnel de ce type entraîne un surcoût important lié à la régénération du charbon actif et aux contraintes liés à la filtration membranaire. Par ailleurs, la nanofiltration, qui a été envisagée, ne semble pas applicable, du fait de son coût lié à sa consommation d'énergie et des difficultés d'exploitation qu'elle entraîne. Prévenir plutôt que guérir Avec la mise en place d'un cadre législatif récent, la diffusion de molécules chimiques et toxiques dans notre environnement devrait peu à peu diminuer. L'interdiction ou la limitation de la production, de la commercialisation et de l'utilisation de certains produits pourraient également contraindre les industriels à développer des substances de remplacement plus respectueuses de l'environnement. Cela permettra de diminuer l'empreinte chimique globale de l'homme sur les écosystèmes terrestres et aquatiques. « Ce qu'aurait pu permettre Reach s'il n'y avait pas autant d'échappatoires au système d'enregistrement/évaluation dans sa dernière version, liées notamment aux quantités fabriquées annuellement, sous la pression des industriels et de certains États membres, dont la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France », regrette Jean Duchemin. La recherche doit continuer ses efforts de modélisation et de caractérisation des perturbateurs endocriniens, d'identification de nouvelles méthodes analytiques et de développement de traitements efficaces à un coût abordable.


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