Petit rappel historique : depuis la fin des années 1990, un travail de fond a été engagé pour élaborer des indicateurs de performance des services d'eau et d'assainissement. On manquait en effet d'outils harmonisés permettant de définir les objectifs à atteindre par un service, en assurer le suivi, le pilotage et le contrôle. Les initiatives ont été foisonnantes : au niveau de l'Afnor, de l'Engref, du ministère de l'Agriculture, de la FNCCR, du SPDE, de l'Institut de la gestion déléguée... L'étape suivante a consisté à rapprocher ces démarches conçues pour répondre à des besoins différents. Une mission, commanditée par le ministère de l'Écologie, a été confiée à un groupe d'ingénieurs généraux, avec pour objectif d'en tirer une proposition de liste d'indicateurs pouvant servir d'interface entre l'usager, les collectivités et les exploitants. Au terme de ce travail de mise en cohérence, une révision du décret n° 95-635 du 6 mai 1995 à propos du rapport sur le prix et la qualité des services d'eau et d'assainissement (souvent appelé « rapport du maire » ou « rapport du président ») a été engagée pour y inclure les indicateurs.
une analyse plus objective
L'intérêt du nouveau décret, paru le 2 mai 2007, est d'être l'aboutissement d'une très large discussion et d'un consensus entre les différents partenaires de l'organisation des services d'eau, au plus près du terrain. Un groupe de travail, constitué de représentants des collectivités, des délégataires et de l'État, a ensuite été mis en place pour élaborer les fiches de définition des indicateurs. La manière de calculer tel ou tel indicateur et les informations pertinentes pour l'interpréter sont désormais fixées. Le décret et les textes qui ont suivi vont permettre d'attribuer un prix à une trentaine d'aspects stratégiques représentatifs des caractéristiques et de la qualité du service, et ainsi d'analyser de manière plus objective les performances techniques et financières.
L'intégration des indicateurs aux rapports des maires est applicable en 2009, sur les rapports concernant l'exercice 2008. Il s'agit donc, dès aujourd'hui, de rentrer dans le vif du sujet
et de se mettre en ordre de marche pour la collecte des données qui vont alors servir de base aux calculs.
la collecte des données
Première étape : lire attentivement la liste des indicateurs et faire le point sur les données qui seront nécessaires pour les calculer. Il pourra y avoir trois sources différentes : informations issues du ou des délégataire(s), de l'entité organisatrice (la collectivité est seule à même de fournir les informations concernant, par exemple, l'extinction de la dette) et d'autres organismes (éléments concernant notamment la conformité des installations). Il est donc nécessaire de commencer par clarifier ce que chacun doit fournir. Dans le cadre de la délégation, il serait souhaitable que les données à fournir fassent l'objet d'un avenant dans le contrat pour cadrer la démarche. « Un point important pour la mise en oeuvre de ces indicateurs est la fiabilisation et l'homogénéisation des collectes d'informations, même dans une entreprise très structurée comme la nôtre, remarque Tristan Mathieu, directeur des relations contractuelles de Veolia Eau. Un grand chantier d'industrialisation de la collecte des informations est en cours pour permettre de fournir des données fiables et auditables sur l'ensemble de nos 4 000 contrats. Ce n'est pas aussi simple qu'il y paraît, car lorsque l'on demande à quelqu'un de compter quelque chose, il y a toujours une part d'interprétation. Par exemple, pour le taux des réclamations : quand des gens appellent seulement pour déclarer qu'ils trouvent que leur facture est trop élevée, doit-on enregistrer cela comme une réclamation ? En pratique, certains considéreront qu'il faut les intégrer, d'autres que non. Derrière chaque définition qui paraît évidente, il y a une incertitude sur le classement de la donnée. »
S'imprégner de l'arrêté, de la circulaire et des fiches de définition des indicateurs (téléchargeables sur le site www.eaudanslaville.fr) conduit vite à ouvrir une boîte de Pandore.
les subtilités des définitions
« Il faut comprendre l'importance des biais méthodologiques qui peuvent intervenir. Par exemple, pour le nombre d'abonnés : ce que l'exploitant connaît, c'est le nombre d'abonnements ; mais un abonné peut avoir plusieurs abonnements (une mairie en a plusieurs, pour
la piscine, la bibliothèque, l'hôtel de ville, etc.). Il y a une différence potentielle encore plus importante entre le nombre d'abonnés et le nombre d'habitants, notamment dans le cas d'immeubles collectifs non individualisés : il peut y avoir 500 personnes derrière un seul abonnement. Évidemment, dès lors que l'on veut interpréter des valeurs calculées sur ces bases, il faut être sûr d'avoir bien assimilé le glossaire et d'avoir bien appliqué les fiches de définition ; sinon, on peut avoir des écarts considérables », explique Jean-Pierre Maugendre, délégué à l'environnement à la direction du développement durable de Lyonnaise des eaux. Sur ces sujets, le site www.eaudanslaville.fr propose une sorte de forum. La consultation des réponses aux questions déjà posées (dans la rubrique « Aide à la rédaction du rapport ») permet d'identifier un bon nombre d'écueils à éviter.
« Les questions les plus récurrentes portent sur les dates à prendre en compte dans le délai maximal d'ouverture des branchements, sur la définition de l'abonné, la notion de chiffre d'affaires pour le calcul du taux d'impayés (ne pas utiliser le chiffre d'affaires avec travaux qui, plus élevé, diminuerait artificiellement le taux d'impayés), le nombre d'habitants desservis, la prise en compte des ventes en gros que les collectivités n'ont souvent pas l'habitude de compter, le taux de conformité des prélèvements sur les eaux, etc. », explique François Touchais, chef du projet « eaudanslaville » au CNIDE ( OIEau).
une liste simplifiée
« C'est moins compliqué qu'il n'y paraît, et je pense même que l'on peut parler de simplification, car désormais il y a un cadre. On sort du flou et de l'à-peu-près. Bien sûr, cela implique une certaine méthode. Il s'agit surtout d'être rigoureux, de faire les choses sérieusement et ne pas hésiter à poser des questions s'il y a un doute sur la définition de telle ou telle donnée », conseille Michel Desmars, chef du service de l'eau à la FNCCR. On peut rappeler au passage que, pour les collectivités qui n'ont pas de Commission consultative des services publics locaux (communes de moins de 10 000 habitants, EPCI de moins de 50 000), c'est une liste simplifiée d'indicateurs qui s'applique.
Un levier de progrès
Pour Jacques Tcheng, directeur général de la Régie des eaux de Grenoble, « c'est la première fois que l'on parvient à une définition commune et à des critères de référence partagés sur la manière d'évaluer la performance. La finalité est que chacun dispose d'abord d'un outil qui lui permette de s'évaluer par rapport à soi-même. Un certain nombre de collectivités vont sans doute prendre conscience de l'importance d'avoir une politique de l'eau qui soit mesurée et évaluée ». Il faut dire qu'aujourd'hui, d'après un sondage Sofres pour l'Onema, un service sur deux seulement fait un rapport annuel : les grosses collectivités le font presque toutes, mais les petites très peu. Elles ont désormais beaucoup à y gagner en termes de pilotage et de contrôle de leurs services, d'amélioration des performances allant de pair avec une meilleure maîtrise du prix de l'eau. La mise en place des indicateurs pourra être à l'origine de démarche de progrès pouvant se concrétiser dans des programmes de travaux, des contrats d'objectifs...
Parmi les indicateurs réglementaires, beaucoup sont de grands classiques, mais un en particulier est une véritable innovation : c'est celui sur la gestion patrimoniale. « Il va conduire les collectivités à définir et révéler leur politique patrimoniale. C'est un puissant levier de progrès », note Igor Semo. « Cet indicateur en particulier sera à mettre en regard du taux de renouvellement des réseaux. Si l'on constate, par exemple, que le patrimoine est bien connu mais qu'il n'y a pas du tout de renouvellement ou, à l'inverse, qu'il y a beaucoup de renouvellement mais que le patrimoine est mal connu, il sera légitime de se poser des questions pour trouver une explication à ce qui peut paraître à priori comme une incohérence », complète Jean-Pierre Maugendre.
un appui méthodologique
Il faut que les collectivités se donnent les moyens de faire vivre cet outil. Cela ne sera sans doute pas évident, au moins la première année, pour les petites collectivités qui n'ont pas la capacité en interne ni les moyens de sous-traiter ce travail. Mais elles pourront s'appuyer sur des outils de suivi et d'automatisation mis en place pour les aider à mettre en forme les indicateurs. Les DDAFF proposent un appui méthodologique pour les services ruraux, et un logiciel proposant des feuilles de calcul est en cours de mise au point par l'Onema.
On se focalise beaucoup sur le calcul des indicateurs, mais il ne faut pas oublier qu'un travail très important attend les rédacteurs pour expliquer et commenter ces informations. Il faudra travailler la lisibilité, d'autant que le rapport doit, non seulement permettre de retracer la performance du service dans sa globalité, mais qu'il est aussi censé présenter, au-delà de données factuelles, la vision du service qui est celle de la collectivité. « La première des pédagogies à engager auprès des élus et des membres des Commissions consultatives des services publics locaux est d'expliquer à quoi servent ces indicateurs et ce que l'on peut en attendre. Individuellement, beaucoup d'entre eux ne "disent" pas grand-chose : c'est l'explication derrière qui a de l'intérêt. Savoir que la durée d'extinction de la dette augmente d'une année à l'autre, par exemple, ne permet pas de tirer une quelconque conclusion. Et si le montant des abandons de créance ou des versements à des fonds de solidarité augmente, est-ce que cela veut dire que les élus ont décidé de consacrer plus d'aide aux plus démunis ou qu'il y a de plus en plus de gens qui ont du mal à payer leur facture d'eau ? Il est indispensable de ne pas préjuger de ce qu'est la performance et de se méfier des interprétations hâtives ou simplistes. Pour cela, il faudra nécessairement que les indicateurs soient accompagnés d'une notice explicative bien faite, détaillant à la fois les causes des évolutions et le niveau de fiabilité des données », souligne Tristan Mathieu.
une nécessité fondamentale
Il sera nécessaire de réfléchir à la manière d'assurer la transition, pour les services qui utilisaient leurs indicateurs propres par le passé. Pour des raisons de cohérence, certaines collectivités choisiront de recalculer quelques indicateurs clés sur les années précédentes, selon la nouvelle méthodologie, afin de pouvoir publier un historique établi sur les mêmes références. Sinon, il sera important de montrer que des évolutions à la baisse, par exemple du taux de rendement de réseau, s'expliquent par le
nouveau mode de calcul et non par un recul de la performance. Pour les collectivités utilisant des indicateurs portant sur d'autres aspects que ceux de la liste réglementaire, rien n'empêche de continuer à les publier dans le rapport s'ils apportent un éclairage sur certaines spécificités du service : la liste fixe le minimum légal, elle n'est pas limitative. Attention tout de même à ne pas verser dans l'excès. Trop d'indicateurs pourraient entacher la lisibilité du rapport.
comparaison entre services
Un autre enjeu se dessine dans le prolongement de la démarche, au niveau national, voire européen, puisque la circulaire du 28 avril 2008
(cf. p. 62) évoque la possibilité de comparaisons au plan européen. Il y a certes un intérêt à collecter des informations sur un grand nombre de services, afin de produire des références en termes d'objectifs de performance. « Et encore, à l'échelle de grandes collectivités recouvrant des réalités complexes et différentes comme la nôtre (urbain et rural notamment), on peut s'interroger sur la signification d'un indice global, quand les valeurs considérées comme raisonnables en ville ne sont pas les mêmes qu'en milieu rural »,
remarque Vanessa Chapeleau, responsable du suivi des opérateurs et de la gestion du patrimoine à la direction de l'eau de Nantes Métropole.
La création d'un observatoire national collectant les données reste néanmoins, dans le contexte actuel, un prolongement utile. En revanche, on peut s'interroger sur la pertinence d'une comparaison entre services, même dans le cadre d'un important travail de collecte d'information et d'analyse statistique à l'échelle de plus de 28 000 services d'eau et d'assainissement, visant à identifier des services suffisamment proches pour pouvoir être comparés.
des spécificités intrinsèques
Les services d'eau sont complexes, ils se définissent par un grand nombre de paramètres locaux et ont une incroyable quantité de spécificités intrinsèques : toute comparaison est une pente glissante. « Ce qui compte avant tout, dans cette démarche, c'est de se mettre dans une position de réflexion, estime Igor Semo, directeur des relations extérieures de Lyonnaise des eaux. Nous ne sommes pas là sur des éléments de jugement des services, les indicateurs doivent surtout permettre de se poser les bonnes questions et de générer un débat qui, jusqu'à aujourd'hui, a trop tendance à se limiter au prix. Développer une base d'analyse multicritères des services va montrer qu'il y a une réalité locale de l'eau, et c'est là qu'est l'intérêt. »