Automates programmables, systèmes numériques de contrôle-commande, bus de terrain, réseaux de communication, supervision : les métiers de la production, de la distribution et du traitement de l'eau font appel aux mêmes équipements que ceux utilisés dans les autres industries. On y retrouve fondamentalement les mêmes marques et, de façon générale, ce n'est pas tellement sur les critères techniques que les constructeurs vont se différencier, mais ce sera plutôt sur leur approche du marché.
Pour autant, l'industrie de l'eau n'est pas une industrie comme les autres. Tout d'abord parce qu'elle est extrêmement diversifiée : il y a un monde entre une petite unité locale de production d'eau potable et une grosse usine de traitement d'eaux usées. Une autre de ses grandes particularités est qu'elle est distribuée, avec des fonctions d'automatismes réparties sur de grandes distances, parfois de plusieurs centaines de kilomètres.
C'est la raison pour laquelle il y a toujours eu de la télégestion dans le métier de l'eau. Au fur et à mesure de l'évolution des technologies, on va de plus en plus loin dans la délocalisation des fonctions d'automatismes. Ce qui ouvre de nouvelles applications. La détection des fuites dans les réseaux de distribution d'eau potable est de celles-là. Grâce à des capteurs de pression ou de débit placés en des endroits judicieusement choisis dans le réseau et équipés de modules de communication radio, il est possible de remonter vers un système de supervision les informations des capteurs et ainsi détecter la présence d'une fuite éventuelle, quitte ensuite à déployer d'autres moyens pour la localiser plus précisément.
DIMINUER LA FACTURE D'ÉLECTRICITÉ
DES POMPES
Aucune industrie n'utilise autant de pompes que l'industrie de l'eau. Pompes de relevage, de surpression, de process, elles sont partout. Il s'agit souvent de pompes de fortes puissances, très énergivores. « Chez les industriels, l'énergie constitue souvent le premier poste de dépense des services achats. Elle représente fréquemment entre 40 et 50 % des coûts de fonctionnement », observe Philippe Charpentier, responsable commercial chez Rockwell Automation.
Du coup, les industriels cherchent à améliorer l'efficacité énergétique de leurs installations de pompage. Ce qui peut conduire à de profondes remises en cause techniques. Pendant longtemps, le débit était contrôlé à l'aide de vannes de régulation placées à la sortie des pompes. Les moteurs des pompes fonctionnaient en tout-ou-rien (autrement dit en mode marche-arrêt). Désormais, les pompes sont pilotées par des régulateurs de vitesse et le débit de sortie est contrôlé en faisant varier la vitesse de la pompe. Ce faisant, on diminue fortement la facture d'électricité. Dans une de ses documentations, l'Ademe chiffre à 30 % en moyenne les économies réalisées sur la consommation électrique (par rapport à la solution avec vannes en sortie de la pompe). Plus le débit est faible, plus l'économie est importante.
Ce type d'approche a longtemps été réservé aux grosses pompes, les seules capables d'amortir le surcoût initial lié à l'installation d'un variateur. Mais le prix des variateurs ne cesse de baisser et il devient donc rentable de les installer sur des pompes de plus en plus petites, de l'ordre de quelques kilowatts.
Tous les variateurs de vitesse ont des fonctions préparamétrées pour utilisation avec les pompes. Celles-ci prennent en compte le fonctionnement un peu particulier des pompes (les ventilateurs sont également dans ce cas), dit du « couple quadratique » (le couple requis varie comme le carré de la vitesse, donc le carré du débit). Certains cherchent à aller au-delà et ont des variateurs spécifiquement ciblés sur les applications des pompes. Parmi les annonces toutes récentes, on citera Danfoss, dont les variateurs eau permettent de choisir la courbe pression/débit optimale afin que le moteur consomme la puissance minimale nécessaire pour obtenir le débit désiré.
Une autre tendance consiste à utiliser les progrès techniques accomplis par les variateurs moyenne tension (MT, 2,4 à 6,6 kW), qui peuvent se brancher directement sur le réseau électrique, sans passer par un transformateur. Nettement moins encombrants et onéreux que les modèles de la génération précédente, ils sont compétitifs pour les applications exigeant des puissances supérieures à 400 kW (ce sont déjà des gros moteurs...). Comme la puissance électrique consommée est égale au produit de la tension par le courant, le variateur MT consomme beaucoup moins de courant que le variateur basse tension (à puissance égale, bien entendu). Les gains peuvent être énormes, argumente Philippe Charpentier : « Pour une tension d'alimentation donnée, le courant consommé est proportionnel à la puissance de la pompe, laquelle varie comme le cube de la vitesse. Dans ces conditions, si l'on arrive par exemple à diminuer la vitesse de moitié, le courant consommé varie dans un rapport 8 (23, ndlr) ». Là-dessus, la théorie est implacable. Sans doute vous souvenez-vous de vos cours de physique sur les machines tournantes, où l'on vous a appris que la puissance mécanique est obtenue en multipliant le couple par la vitesse de rotation du moteur. Comme sur les pompes, le couple est proportionnel au carré de la vitesse (et du débit), la puissance varie donc comme le cube de la vitesse. CQFD.
Cette diminution du courant présente d'autres avantages. La célébrissime loi d'Ohm (on vous renvoie encore à vos cours de physique) dit que la chute de tension le long d'un câble est proportionnelle au courant qui le traverse. Lorsque l'on travaille avec un variateur moyenne tension, le courant consommé étant plus faible (à puissance égale), la chute de tension est moindre. De ce fait, les variateurs moyenne tension sont plus particulièrement intéressants lorsque les moteurs sont assez éloignés de l'installation électrique et que les chutes de tension qui en découlent peuvent poser un problème. Ajoutons enfin que, puisque le courant électrique est plus faible, les câbles d'alimentation électrique peuvent avoir un diamètre plus petit, ils sont moins lourds, moins encombrants et moins coûteux. Au global, Rockwell Automation estime que les pompes pilotées par des variateurs MT permettent de réaliser des économies de 30 à 35 % sur la consommation électrique.
Toutes les nouvelles générations de variateurs de vitesse sont destinées à piloter des moteurs asynchrones (alimentation en courant triphasé). Grâce aux progrès de l'électronique, ils arrivent à corriger les limites techniques des moteurs asynchrones et obtenir de bonnes performances en variation de vitesse. Du coup, les moteurs à courant continu utilisés quand on recherchait de la performance vont peu à peu disparaître, parce que nettement plus chers à l'achat et nécessitant davantage de maintenance (les balais du collecteur s'usent, il faut les remplacer périodiquement).
Tous les grands constructeurs de variateurs de vitesse mettent en avant ce qu'il est convenu d'appeler l'efficacité énergétique, un concept qui a bénéficié d'un fort relais du Groupement des industries de l'équipement électrique, du contrôle-commande et des services associés, le Gimélec, qui est leur syndicat professionnel.
DU PRODUIT AU SERVICE,
EN PASSANT PAR LES SOLUTIONS PACKAGÉES
Au-delà des produits et des solutions techniques, il y a le service. « Nous avons été les premiers à nous engager dans l'efficacité énergétique et nul plus que nous n'a autant investi dans le service. Nous faisons des audits d'installations, nous préconisons des solutions techniques et surtout nous sommes les seuls à nous engager sur résultat », explique Patrice Blanchard, responsable du service marketing infrastructures en France au sein de Schneider Electric. Dans le domaine des pompes, la société a notamment développé des solutions packagées telles que SPS (Solution Pompage Schneider) ou 3S Control (Solution Surpression Schneider), qui incluent la variation de vitesse et la télégestion. Ces solutions sont une combinaison de la performance technique, de la sûreté de fonctionnement et de l'efficacité économique. Ce dernier terme recouvre plusieurs aspects, entre autres la réduction des coûts d'installation - puisqu'il s'agit d'une solution packagée, prémontée -, l'efficacité énergétique et la gestion des modes de fonctionnement des pompes, afin d'augmenter leur durée de vie (répartition des charges dans les applications multipompes, réduction des risques de cavitation, etc.). Ce service implique de véritables relations de partenariat avec les industriels. La démarche de codéveloppement mise en place avec Veolia Eau est de ce point de vue exemplaire (voir encadré ci contre).
Il reste malgré tout beaucoup à faire pour que l'efficacité énergétique s'impose à tous. Un des freins actuels est qu'elle nécessite souvent un investissement plus élevé au départ et que les industriels ne voient pas le problème dans sa globalité, car les budgets de fonctionnement sont indépendants des budgets d'investissement. Pour aggraver les choses (et c'est plus particulièrement vrai dans le domaine de l'eau), il y a d'un côté ceux qui sont chargés de la construction des usines et de l'autre ceux qui les exploitent. Et quand les conseilleurs ne sont pas les payeurs...
LE CONTRÔLE-COMMANDE DEVENU CLASSIQUE
Pour faire du contrôle-commande d'installations, on retrouve dans le domaine de l'eau les deux grands classiques que sont les SNCC (systèmes numériques de contrôle-commande) et les API (automates programmables industriels), également connus sous leurs sigles anglo-saxons DCS (Distributed Control Systems) et PLC (Programmable Logic Controller). En revanche, il y a des différences avec les autres marchés des automatismes. Par exemple, le PC, qui est devenu un outsider des API dans l'automatisation des machines, n'est pas présent dans le domaine de l'eau. À l'inverse, les automates de télégestion (utilisés sur les stations isolées) sont une spécificité que l'on ne trouve pas ailleurs. Jusqu'ici, ces automates de télégestion étaient l'affaire d'une demi-douzaine de spécialistes (Napac, Perax, Sofrel, Tbox, Wit, pour citer les plus connus en France). Mais les choses vont peut-être évoluer. Schneider Electric a en effet lancé w@de (Water Application and Distributed Equipment), ensemble de solutions de télégestion à destination des acteurs des métiers de l'eau, quelque temps après le rachat de Napac (en 2006)...
La différence entre les SNCC et les API tend à se réduire. Jusqu'ici, elle tenait surtout au fait que, pour les API, la supervision était indépendante, alors que sur les SNCC elle était intégrée. Mais les grands constructeurs d'API évoluent eux aussi vers une offre intégrée. C'est notamment le cas des deux leaders mondiaux Siemens et Rockwell Automation et, à terme, Schneider Electric va sans doute s'y mettre aussi (avec le rachat de Citect, il a en tout cas la compétence pour le faire). Ceux-ci vantent désormais les mérites de cette intégration, qui évite notamment les opérations de ressaisie des variables du process. « Il faut voir aussi que les outils sont devenus beaucoup plus conviviaux. Par exemple, la programmation "objets" (pompes, vannes, moteurs) facilite grandement le travail, tant au niveau de la programmation que de la maintenance », argumente Philippe Charpentier (Rockwell Automation).
Ensuite, les approches peuvent être différentes. « Notre philosophie est de développer une panoplie d'outils assez large qui peuvent s'adapter à tous les process. Nous ne proposons donc pas d'outils spécifiques au domaine de l'eau », explique Stéphane Baragnon, Global Account Manager Veolia Environnement chez Siemens. Le groupe met l'accent sur sa présence mondiale pour accompagner ses clients partout dans le monde et sur sa capacité à avoir une offre intégrée, du capteur au système de supervision. Sans oublier la partie électrique.
Dans l'eau, il y a certes de l'instrumentation de process, mais les régulations sont en nombre relativement limité. Du coup, les automates font l'affaire et ils sont de loin les plus utilisés. Les constructeurs traditionnels de SNCC ont du mal à déloger les automates. Mais la réciproque est vraie aussi : quand un constructeur de SNCC (ABB, Emerson, Yokogawa, voire Honeywell ou Invensys) est présent sur un site, il n'est pas facile de le déloger... Cette fidélité peut se comprendre, car le divorce coûterait cher ! Pourquoi changer alors que l'offre est à peu près stabilisée et que tous ont une réponse à la demande, tant au niveau de la technique que du service ?
LA SUPERVISION S'ADAPTE AU MÉTIER DE L'EAU
Malgré l'arrivée des offres intégrées chez les grands constructeurs d'automates, la supervision est le plus souvent traitée séparément. « Quand un Degrémont ou un Veolia a une affaire, il la découpe en lots et fait jouer la concurrence. Cela leur permet d'atteindre le prix optimal. Du coup, la supervision est un lot comme un autre », résume Stéphane Baragnon (Siemens). Cette démarche est assez générale dans l'univers des automatismes. Elle a permis en tout cas aux éditeurs de logiciels de supervision de tirer leur épingle du jeu.
Un peu comme les fabricants d'API ou de SNCC, les éditeurs de logiciels de supervision ont cherché à développer une offre généraliste. Il n'empêche que certaines fonctionnalités sont plus particulièrement adaptées au domaine de l'eau, nous explique Pierre Lamarle, directeur commercial de Areal, l'éditeur sans doute le mieux implanté dans le domaine de l'eau : « Lorsque nous avons conçu notre logiciel Topkapi, nous avons fait un produit généraliste. Mais certaines fonctionnalités comme l'acquisition de données horodatées intermittentes ou la gestion des communications par modem nous ont tout de suite ouvert les applications du domaine de l'eau. » En effet, les systèmes de télégestion avec connexion téléphonique n'envoient pas leurs données en temps réel et le logiciel de supervision doit être capable de les interpréter. De même, la gestion des modems téléphoniques n'est pas forcément une fonction native d'un logiciel de supervision (ici, il s'agit de composer les numéros des stations, gérer les coupures, les défauts de communication, etc.). « Ce sont des choses techniquement assez simples et c'est un peu par surprise que nous avons découvert que c'était un atout pour nous. Et plus récemment, quand nous avons développé notre serveur OPC pour les communications par modem, notre savoir-faire a été une nouvelle fois reconnu », poursuit Pierre Lamarle. Autre particularité de Topkapi, le gestionnaire d'alarme pour personnel d'astreinte est intégré, alors que d'autres font appel au logiciel Alert de Micromedia, obligeant à faire un double paramétrage.
La conduite à distance existe dans d'autres disciplines, mais l'industrie de l'eau a été un précurseur. Cette fonction existe depuis longtemps sur Topkapi. Il n'y a pas toujours eu l'ADSL et beaucoup utilisaient (et utilisent toujours) des liaisons téléphoniques à bas débit, obligeant à optimiser les données à transmettre. Cette philosophie prévaut encore aujourd'hui, avec un fonctionnement en client/serveur optimisé, avec une séparation des données statiques et des données dynamiques. Les vues statiques sont stockées à demeure sur le poste client, et lorsqu'une connexion est établie avec le serveur, seules les données dynamiques sont transférées. Et si une vue statique a été modifiée, elle est téléchargée (et seulement celle qui a été modifiée). Le chargement initial des vues statiques sur le poste client peut être réalisé de façon classique, soit à partir d'un DVD, soit via Internet.
L'eau est un gros enjeu pour les systèmes de supervision. Coup sur coup, GE Intelligent Platforms et Wonderware ont annoncé la sortie d'adaptations de leurs superviseurs respectifs afin qu'ils soient plus proches des demandes du métier de l'eau. GE Fanuc Intelligent Platforms met par exemple l'accent sur le développement d'objets (logiciels) pompes et vannes, mais aussi l'intégration du logiciel de supervision (iFix) avec le logiciel d'éditions de rapports de OPS et enfin la gestion des sécurités d'accès aux postes de supervision, en prenant notamment en compte les outils de reconnaissance biométrique et de signatures électroniques recommandées par le NERC (Natural Environment Research Council).
On le voit à toutes ces évolutions, l'eau mérite une attention toute particulière de la part des fournisseurs généralistes d'automatismes, même si certains s'en défendent. Le marché étant en effet dynamique et important, tout
porte à croire que cette tendance va perdurer.