En annonçant le lancement d'un nouvel outil de GMAO sur le site des Grésillons début 2009, Daniel Duminy, directeur général du Syndicat intercommunal d'assainissement de l'agglomération parisienne ( Siaap), défendait que « sans maintenance, il ne peut y avoir d'exploitation ». Pour mener cette « bataille de la maintenance préventive », le Siaap a en effet décidé de mettre en place son propre outil, développé à partir d'un logiciel « industrie » auquel de nouveaux paramétrages et indicateurs ont été intégrés (voir p. 38). Mais à quoi sert exactement la GMAO ? L'encyclopédie libre Wikipédia consacre de nombreux paragraphes sur le sujet : « La gestion de maintenance assistée par ordinateur (couramment appelée GMAO) est une méthode de gestion assistée d'un logiciel destiné aux services de maintenance d'une entreprise afin de l'aider dans ses missions. » Cet outil peut également servir à d'autres services, comme la production ou l'exploitation, afin de fournir des informations sur l'état des équipements.
ADAPTATION SPÉCIFIQUE
AU SECTEUR DE L'EAU
Les principales fonctions de la GMAO sont la localisation, l'inventaire et la diffusion de fiches techniques des équipements (disponibles le plus souvent sous la forme d'une arborescence). Elles concernent aussi la gestion de la maintenance préventive et corrective (avec ordre de travaux, ordre de maintenance...), la gestion des stocks (articles de rechange, catalogue fournisseurs...), mais aussi la gestion des coûts et du budget ou le planning du personnel.
Qui l'utilise et quels bénéfices apporte-t-elle ? Tous les secteurs d'activité mettant en jeu des équipements peuvent potentiellement être concernés par la GMAO. Les tout premiers logiciels furent édités à la fin des années 1980 pour répondre aux besoins spécifiques de l'industrie. Aujourd'hui, elle s'est étendue à d'autres secteurs d'activité : transport, hôpitaux, collectivités, gestion de site industriel (facility management)... Les éditeurs de logiciels ne proposent pas de produits spécifiques liés au secteur de l'eau, mais la question est posée. Comme la plupart des professionnels, Carl Software commercialise différentes versions de produits de GMAO adaptés à chaque secteur. Les différentes solutions commercialisées auprès des acteurs de l'eau correspondent à leur offre « industrie », mais en ce moment la société réfléchit à une personnalisation d'un logiciel aux métiers de l'eau. En effet, une part importante de leurs clients provient de ce secteur. Leur réflexion porte donc sur les points communs entre le personnel de la maintenance dans l'eau et ceux d'autres secteurs industriels au niveau de la gestion. « Nous avons trouvé déjà quelques pistes, mais on ne sait pas encore si elles seront suffisantes pour développer un produit propre à l'eau », reconnaît Frank Giboz, ingénieur d'affaires chez Carl Software. Dans le secteur du transport, par exemple, c'est plus simple car les spécificités sont plus faciles à définir. » D'autres fournisseurs, comme DSD System, n'éditent qu'un seul logiciel à partir duquel ils proposent des prestations de paramétrage, d'accompagnement et de conseils, qui sont définies selon les besoins de chacun.
Ce qui est relativement nouveau, c'est l'intérêt des exploitants à mettre au point leurs propres outils, souvent sur la base d'un produit existant, développé en interne en partenariat avec les éditeurs ou des sociétés prestataires. C'est ainsi que le Siaap a inauguré cette année son outil de GMAO baptisé Omega, qui a été installée sur une première station, et qui devrait équiper, à l'horizon 2010, tous ses sites d'exploitation. En 2000, Degrémont a également développé un outil propre, AquaMaint, et travaille en ce moment à son optimisation. Saur réfléchit aussi au développement d'un outil, mais, comme Degrémont, il préfère rester discret sur son projet. De son côté, Veolia Eau a bien avancé sur le sujet puisqu'il a déjà équipé un tiers de ses stations en France.
Il y a neuf ans, le groupe décidait en effet de développer en interne un outil de GMAO « pour apporter une réponse au plus près des besoins des métiers de l'eau », se souvient Olivier Laval, responsable unité maintenance chez Veolia Eau. Le progiciel nommé Veolink/Maxo a été construit sur la base de MP2, un produit de la société Infor Global Solutions. L'outil MP2 a été modifié et paramétré, et dispose de fonctions reprenant les activités de maintenance de Veolia Eau (arborescence pour décrire et suivre toutes les installations, circuit travaux souples, circuit achats et gestion de stock...). Il a depuis connu des améliorations comme la compatibilité avec les PDA (assistants personnels) et la mise en place de nouvelles panoplies d'indicateurs. « Cette démarche a été très progressive : entre 1996 et 2000, nous avons réfléchi à la mise en place d'une charte maintenance Veolia Eau, dans laquelle l'outil de GMAO servirait de base pour répondre à nos besoins métiers », se rappelle-t-il.
Aujourd'hui, plus de 90 sites ou agences disposent de l'outil. « Veolink/Maxo est utilisé aussi bien dans des grandes stations
de traitement comme celle de
Strasbourg (1 M EH) que des petites stations. Nous équipons aussi nos sites à l'étranger. À terme, toutes nos stations devraient pouvoir en bénéficier », espère Olivier Laval.
Cette tendance, chez les fermiers, à ne plus travailler sur des développements spécifiques, mais à s'appuyer sur des applications marché, quitte à se les approprier en les personnalisant, pousse les éditeurs à défendre leur savoir-faire métier.
FORUMS ET PARTAGE
DE SAVOIR-FAIRE
« Dans notre métier, une des grandes difficultés est de savoir gérer la compatibilité de l'exploitation avec les logiciels connexes utilisés comme base de données. La seconde contrainte concerne l'évolution de l'outil », considère Frank Giboz. En outre, ils avancent l'amortissement rapide des coûts de développement du fait de leur large clientèle, « car même si le fermier développe son propre outil, il ne le commercialise que sur une centaine de sites, et ça lui prend du temps », avance-t-il. Ces éditeurs n'hésitent pas cependant à partager leur savoir-faire.
Un grand nombre d'entre eux propose d'ailleurs régulièrement des rendez-vous entre utilisateurs. Carl Software organise chaque année un séminaire baptisé « Club Utilisateurs » dont l'objectif est la présentation des nouveaux produits du groupe et l'occasion pour les clients d'échanger leurs méthodes au sein d'ateliers de travail thématiques. Apisoft a lui aussi son « Club utilisateurs Optimaint » et offre à ses clients très divers - des Grands Moulins de Paris à EADS en passant par Veolia Propreté - un espace de discussions et un forum.
L'un de ses clients, la Régie municipale des eaux de Dax, utilise depuis 2004 leur logiciel Optimaint au niveau de la station d'épuration. Ce logiciel multimétiers, le seul commercialisé par la société, est utilisé sur la station au niveau de la maintenance préventive - sur une centaine de capteurs et quatre-vingts pompes -, de la maintenance curative pour la gestion des incidents, et également avec une autre licence sur le poste de traitement des boues. « Lors de la mise en place du logiciel, nous avons été formés par un prestataire. Quelques mois plus tard, après avoir bien compris le fonctionnement de l'outil, nous les avons à nouveau sollicités pour qu'ils installent de nouvelles fonctionnalités, explique Jean-Christophe Guillemin, responsable service maintenance à la Régie municipale. Ce qui nous plaît le plus dans ce produit, ce sont les indications "écrites" en français, contrairement à d'autres qui sont traduits de l'anglais. Et ça se sent », conclut-il.
En effet, si une GMAO réussie peut faire le bonheur des exploitants, un grand nombre d'entre eux reconnaissent avoir eu des difficultés pour s'adapter à l'outil. Encore aujourd'hui, un bon nombre d'outils de GMAO installés sur site sont inefficients du fait du manque de réflexion en amont.
UNE MÉTHODE DE CHOIX EN TROIS ÉTAPES
Jean-Pierre Vernier est consultant indépendant depuis 2002, après avoir travaillé chez différents éditeurs de logiciels de GMAO. Selon lui, un bon cahier des charges doit prendre au maximum quelques dizaines de jours si la cible est bien définie. Dans le cas contraire, cela peut aller bien au-delà. « On voit pourtant en majorité des projets avec des cahiers des charges inadaptés et des organisations cibles non définies, ce qui cause bien des échecs », regrette-t-il.
Sur son site Internet, il propose une méthode en trois étapes pour bien choisir son logiciel de GMAO. La première consiste à définir les contraintes techniques du site : la base de données (Oracle, SQL Server...), le système opérationnel (Windows...), et les interfaçages avec d'autres logiciels. La seconde étape - un point primordial étant donné les spécificités des réseaux de distribution d'eau - doit servir à cibler les exigences organiques du logiciel : répondre à la question « Comment sont conçues les arborescences ? », par exemple. « Dans le secteur de l'eau, la réflexion sur l'arborescence est particulièrement importante, car ces types de sites avec leurs réseaux étendus peuvent représenter un véritable casse-tête si le logiciel est inadapté »,
souligne-t-il. Pour cela, il faut donc en amont bien étudier les fonctionnalités proposées par les logiciels. Cette démarche facilite le choix. L'offre est d'environ 50 logiciels, dont très peu conviennent au métier de la distribution de l'eau. « Les logiciels les plus chers ne sont pas forcément les plus performants », avertit Jean-Pierre Vernier. D'autre part, ces produits évoluent très rapidement. Et selon lui, il faut se méfier. Car, sous prétexte d'une nouvelle évolution technologique
(le Web, par exemple), des fonctions qui sont pourtant bien adaptées
au site de l'industrie de l'eau peuvent tout simplement disparaître d'un logiciel.
INVESTISSEMENT
ET FORMATION
Le PDA est intéressant pour les exploitants du secteur de l'eau, car il permet des inspections sur de longues distances. « L'outil est convivial et offre des libertés comme la possibilité de modifier la disposition des champs ou de créer des fonctions sur mesure, résume Jean-Pierre Vernier,
mais il faut bien étudier son utilisation au préalable. ». Le coût d'un logiciel de GMAO n'est pas conséquent. Il peut varier dans de grandes proportions : le coût de licence d'un poste de travail seul peut revenir en effet de 1 500 à 5 000 euros (à multiplier par le nombre d'utilisateurs). À cela, il faut ajouter environ cinq fois le prix du logiciel pour obtenir le coût global de la mise en oeuvre de l'outil (mise en place de la base de données, plus les prestations de paramétrages). « C'est surtout une question d'investissement temps », résume Olivier Laval, dont la principale mission chez Veolia Eau consiste en effet à se charger de former les futurs utilisateurs sur site ou de mettre en place des relais de formateurs.
CRÉATION D'UNE CHARTE
MAINTENANCE
Pour garantir le retour sur investissement de l'outil, Olivier Laval revient sur les quatre années de réflexion concernant la création d'une charte maintenance avant la mise en oeuvre de l'outil. « C'est le gage d'une maintenance réussie. Le déploiement de ces outils chez les exploitants est une forte évolution dans nos métiers. Il doit être accompagné par une "conduite du changement" de manière à devenir productif. Les usines que nous gérons représentent un patrimoine qui se compte souvent en millions d'euros. Il faut des outils adaptés », reconnaît-il. Le jeu en vaut la chandelle : chez Veolia Eau, des sondages réalisés en interne ont montré que l'utilisation de l'outil pouvait aider à faire gagner entre 10 et 15 % du coût d'exploitation et de maintenance d'un site.