Plus de vingt ans après l'émergence des techniques alternatives pour la gestion des eaux pluviales en milieu urbain, il était temps de dresser un premier bilan et d'en tirer une pédagogie. Tel était le but de la journée technique organisée conjointement par l'École nationale du génie de l'eau et de l'environnement de Strasbourg (Engees), l'Institut mécanique des fluides et solides (IMFS) et l'Association scientifique et technique pour l'eau et l'environnement (Astee), en février à Strasbourg.
JOUER L'ADAPTATION
Tout d'abord, un constat : une rupture avec le tout-réseau est en train de se faire. Cet ancien modèle, qui ne dissocie pas les questions d'eaux pluviales urbaines de celles de l'assainissement, attribue un rôle omniscient à la station d'épuration. L'inadéquation de l'approche centralisée avec l'expansion urbaine des dernières décennies a ainsi été pointée à divers égards. « Le développement urbain a généré des surdimensionnements coûteux des réseaux, des débordements de plus en plus fréquents à force d'imperméabiliser, des dégradations des milieux aquatiques et des dysfonctionnements d'ouvrages de traitement en temps de pluie », juge Philippe Battaglia, directeur du Groupement pour l'évaluation des mesures en continu dans les eaux et en assainissement (Gemcea). Sa comparaison d'un même site, vierge en 1930 puis urbanisé en 2005, a bien mis en évidence la hausse du débit de pointe, sa survenance plus précoce et l'augmentation du volume ruisselé.
La voie d'avenir passerait donc par l'interdisciplinarité ainsi que par une gestion de proximité, avec prise en charge au plus près d'où les eaux tombent, mais sans omettre de dresser un diagnostic à l'échelle de tout un bassin versant. Entrent aussi en ligne de compte les objectifs de la directive-cadre sur l'eau et l'état d'esprit qui veut confier aux eaux pluviales un rôle dans la création du paysage urbain.
Bernard Chocat, professeur à l'Insa de Lyon, a rappelé et explicité les neuf propositions du séminaire international de réflexion qui s'est tenu à Lyon fin 2008. Parmi elles : « rendre l'eau à nouveau visible dans la ville, de sorte que ce soit aussi celle-ci qui s'adapte à celle-là. Concevoir la planification de manière adaptable et glissante dans le temps, en rupture avec la manie de vouloir figer le dimensionnement d'un ouvrage sur cent ans. Privilégier les solutions diversifiées, le tuyau n'étant pas la meilleure partout. Intégrer les solutions depuis la parcelle. Intégrer le coût global, donc mesurer aussi les coûts externes. Profiter des opportunités liées aux projets urbains, tels un tramway, une rénovation de quartier ».
Toutes choses qui mènent droit aux techniques alternatives de stockage et d'infiltration. Elles sont aujourd'hui suffisamment diversifiées pour répondre aux contraintes d'espace les plus variées, estime Philippe Battaglia : « Les fossés et noues me semblent
à généraliser en périurbain, dans un nouveau lotissement, par exemple. Simples à gérer, esthétiques, leur coût est raisonnable. Les bassins de rétention conviennent à une échelle plus importante ; ils présentent l'intérêt d'être multi-usage (terrains de sport, etc.). » Les chaussées-réservoir ont montré leur légitimité pour les parkings. Idem, dans d'autres situations, pour les tranchées drainantes, les toitures végétalisées ou les puits d'infiltration. Rien n'interdit de combiner plusieurs solutions, afin de répondre à la fréquence variée des événements : une zone d'infiltration peut ainsi être sollicitée seule pour un événement pluriannuel et la zone d'écoulement superficiel n'intervenir que dans une situation pluridécennale.
DES FREINS CULTURELS
Mais les intervenants en sont convenus : si tout était parfait, ces techniques auraient réussi à percer. Plusieurs freins ont été identifiés. Le coût, l'espace disponible et des facteurs plus « culturels ». Il faut ainsi compter avec la réticence spontanée en présence d'un mode de gestion moins connu. De plus, la réglementation reste soumise à des interprétations évolutives. Exemple cité par la communauté urbaine de Bordeaux : la chaussée poreuse est-elle un ouvrage de voirie ou d'assainissement, et qui devra alors la renouveler ? Quant à l'interdisciplinarité, elle oblige à faire travailler ensemble des métiers aussi différents que l'aménageur, l'urbaniste, le bureau d'étude assainissement, le gestionnaire de réseaux, etc. En matière d'entretien, les témoignages débouchent aussi sur un sentiment de « peut mieux faire ».