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EAU

Remettre l'eau au coeur des politiques

LA RÉDACTION, LE 1er MAI 2009
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Le processus politique de l'Union pour la Méditerranée (UPM), qui se veut le fer de lance d'une nouvelle politique partagée entre l'Union européenne et les pays du sud et de l'est de la Méditerranée, est actuellement en panne. Lancé en grande pompe le 13 juillet 2008 par la France, il est l'une des victimes collatérales de l'offensive israélienne de décembre 2008 sur Gaza. Reposant sur la participation de tous les États méditerranéens, il ne peut faire l'abstraction des tensions qui le dépassent entre Israël et ses voisins arabes. Aussi, les réunions à caractère institutionnel et technique qui devaient se tenir dans le cadre de l'UPM en mars ont été repoussées. Il s'agissait de la conférence ministérielle sur le développement durable, prévue à Monaco, et de la réunion du groupe d'experts sur l'eau programmée pendant le Forum mondial de l'eau d'Istanbul. Pour cette même raison, l'UPM ne peut pas non plus être officiellement représentée lors des conférences organisées en territoire arabe si Israël n'y participe pas : en témoigne la Semaine de l'eau de Beyrouth, début février, à laquelle ont participé divers pays méditerranéens. L'UPM en était officiellement absente - de même que certains de ses membres dont la France, qui, en tant que coprésidente (avec l'Égypte et la République tchèque) de l'UPM, a préféré se faire discrète. Une attitude qui, en retour, peut lui être reprochée par ses interlocuteurs arabes. Reste un travail technique en comités restreints, effectué malgré les soubresauts politiques : les 43 membres de l'Union ont « en bonne partie » nommé leurs experts sur l'eau, selon Philippe Guettier, adjoint au chef de la mission des affaires internationales et communautaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité du ministère français de l'Écologie. « Nous travaillons techniquement avec l'Égypte à la mise au point de la stratégie à long terme sur l'eau en Méditerranée, demandée par les ministres lors de leur conférence du 22 décembre 2008. D'autre part, les projets qui ont fait l'objet d'une présentation aux ministres lors de cette conférence sont de plus en plus avancés », poursuit-il. Leur labellisation UPM reste cependant en suspens tant que les négociations politiques n'auront pas repris. La nécessité et la difficulté de ménager les susceptibilités politiques dans la région prouvent que les dossiers techniques, aussi vitaux soient-ils que ceux liés à l'eau, ne peuvent avancer sans une réelle volonté politique. Des solutions techniques aux tensions hydriques existent pourtant bel et bien. CANAL DE LA PAIX Ainsi, le Proche-Orient héberge un projet pharaonique : la conduite mer Rouge-mer Morte. Surnommée « Conduite de la paix » par ses défenseurs, cette canalisation pourrait relier la mer Rouge, en Jordanie, à la mer Morte sur 200 km de long, et transporter environ deux milliards de mètres cubes d'eau par an. Sa construction devrait coûter plus de sept milliards de dollars américains ; l'étude de faisabilité est en cours et devrait s'achever en 2010 (voir article p. 16). Les objectifs sont multiples : le principal est de produire de l'eau potable par dessalement, selon la technique de l'osmose inverse hydrostatique, liée au dénivelé entre le niveau 0 à Aqaba sur la mer Rouge et niveau -424 mètres à la mer Morte. Ainsi, 850 millions de m³ d'eau potable pourraient être produits par an selon l'étude de préfaisabilité. Deuxième objectif, produire de l'hydroélectricité ; enfin, le projet permettrait de lutter contre la baisse du niveau de la mer Morte, qui descend en raison des très fortes ponctions d'eau sur le fleuve Jourdain. « La finalité du projet est de contribuer à la paix et à la stabilité au Proche-Orient, qui est un bien public mondial, en renforçant la coopération sur l'eau entre les trois parties : Israël, la Jordanie et l'Autorité palestinienne », estimait l'Agence française de développement, une institution qui participe au financement du projet. Cependant, malgré des bienfaits à priori évidents, cette canalisation ne recevra pas un soutien unanime dans la région. « Les Palestiniens veulent d'abord avoir accès à leurs ressources en eau souterraines avant d'acheter de l'eau dessalée. C'est une question de principe, à l'heure où Israël leur interdit d'effectuer librement des forages sur leur propre territoire et qu'il exploite leur eau », rappelle Chahra Ksia, chef du Centre d'études sur l'eau et la sécurité de la Ligue arabe (voir interview p. 11). Côté syrien, l'enthousiasme est aussi mitigé, même si le pays est en situation de stress hydrique et pourrait donc théoriquement profiter de la création de cette nouvelle ressource. « Les gouvernements qui ne sont pas en paix avec Israël ne voudront pas se trouver dépendants de l'État hébreu, ni montrer qu'ils sont en situation d'infériorité technique », estime Barah Mikaïl, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques. PÉNURIE GÉNÉRALISÉE La situation du Proche-Orient est pourtant particulièrement critique. Les prévisions de croissance démographique à 2 ou 3 % par an, combinées aux annonces du groupe d'experts intergouvernementaux sur l'évolution du climat (Giec), laissent entrevoir une situation hydrique largement déficitaire dans tous les pays de la région, qui est déjà une réalité pour certains d'entre eux. Ainsi, d'après les chiffres du Plan Bleu de 2007, l'Égypte, la Libye, Israël et la Syrie forment avec Malte le groupe des cinq pays du pourtour méditerranéen dont les prélèvements en eau approchent, voire dépassent, le niveau limite des ressources renouvelables. « En 2050, tous les pays du Sud seront en situation de pénurie (l'Égypte et le Maroc auront rejoint ceux qui y sont déjà) », indiquent Mohammed Blinda et Jean Margat dans un rapport du Plan Bleu intitulé « Ressources et demandes en eau en région méditerranéenne » (mars 2008). QUELLES SOLUTIONS ? Face à cette situation de pénurie, Patrice Fonlladosa, président-directeur général de Veolia Water Afrique/Moyen Orient/Inde (Veolia AMI), affirme croire « plus à une solution politique qu'à une solution technique telle que la conduite mer Rouge-mer Morte. Une gestion de bassin, cela exige d'abord une répartition équitable des ressources - c'est une question politique ». Des accords entre pays partageant les mêmes bassins, afin d'exploiter les ressources de manière équitable et durable, semblent en effet indispensables pour assurer la stabilité de la région. Ainsi, sur le bassin du Jourdain partagé par le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et les territoires palestiniens, « les intérêts des différents pays sont liés, et un accord régional est inévitable... du moins dans le cadre d'un processus politique "soft" de coopération », analyse Jean-François Donzier, directeur général de l'Office international de l'eau et secrétaire permanent du Réseau international des organismes de bassin. D'après lui, coopérer au sein d'un organisme de bassin ne signifie pas forcément abandonner une quelconque souveraineté étatique, même si ces organisations s'affranchissent des frontières administratives ou politiques pour se conformer à la géographie naturelle. En effet, plusieurs modèles d'organismes transfrontaliers de bassin existent. Ceux qui sont mis en place dans l'Union européenne (UE) prévoient une planification concertée des aménagements, la consultation du public, un monitoring et le financement de certaines infrastructures, sans abandon de souveraineté. Aux États-Unis ou au Canada, les organismes sont avant tout des commissions d'arbitrage consultées par les parties en cas de conflit. L'Afrique offre des exemples de bassins agissant comme de vrais aménageurs, comme sur les fleuves Sénégal ou Niger : ils investissent puis exploitent les infrastructures dont ils sont propriétaires. « Au Proche-Orient, le blocage n'est que politique. Si les parties en conflit parvenaient à s'entendre, il serait possible de mettre en place un modèle adapté à la situation locale », estime Jean-François Donzier. De son côté, Fadi Comair, directeur général des ressources hydrauliques et électriques du Liban et auteur de l'ouvrage Gestion et hydrodiplomatie de l'eau au Proche-Orient, plaide pour la création d'un organisme transfrontalier sur le bassin du Jourdain. Il aurait pour mission de gérer ce que Fadi Comair appelle la « nouvelle masse d'eau », c'est-à-dire à la fois les eaux conventionnelles et les eaux non conventionnelles, créées essentiellement par traitement des eaux usées ou par dessalement. « Cette agence de bassin doit assurer la conception des projets, leur gestion, la distribution et la tarification ainsi que le partage équitable entre les États riverains, sur la base par exemple d'une consommation maximale de 200 litres d'eau potable par jour et par personne et de 7 000 m3 par hectare pour l'irrigation », propose Fadi Comair. Ce projet semble utopiste en ces temps de tensions. Pourtant, remarque Jean-François Donzier, « il est dans l'air du temps : le Proche Orient ne pourra faire face aux pénuries qu'en trouvant des solutions régionales et en recourant aux ressources non conventionnelles comme le dessalement ». LES OBSTACLES La mutualisation des ressources non conventionnelles pourrait néanmoins se révéler problématique : « Une usine de dessalement peut tomber en panne, d'où des tensions possibles si plusieurs pays se partagent la ressource qu'elle produit », explique par exemple Patrice Fonlladosa. Le principal obstacle reste cependant la stratégie d'Israël, qui compte uniquement sur ses propres forces pour assurer son avenir hydrique. Il s'appuie sur une production d'eau non conventionnelle, avec réutilisation des eaux usées et dessalement (voir interview de Shimon Tal, président de l'IWA, p. 28). Sa stratégie d'indépendance va très loin : « Israël a mis fin à son projet d'achat d'eau aux Turcs afin de ne dépendre de personne pour son approvisionnement », rappelle Barah Mikaïl. Il n'a conclu d'accord sur le partage des eaux du Jourdain qu'avec la Jordanie, pays de la région avec lequel les relations sont les plus apaisées. L'eau est pour Israël une réelle préoccupation sécuritaire, comme le détaille Franck Galland, directeur de la sûreté de Suez Environnement, dans son ouvrage L'Eau : Géopolitique, enjeux, stratégies. Il y décrit la forte présence de l'armée et des services de sécurité israéliens sur le secteur de l'eau. La perspective d'un organisme transfrontalier de bassin semble donc improbable. Un des autres freins à un tel projet vient de la difficulté des pays concernés à mettre en place un réseau de surveillance de la ressource, et à accepter de partager les données issues de ces mesures. Ces dernières sont parfois stratégiques ; à ce souci sécuritaire s'ajoute un « déficit démocratique », selon l'expression d'un spécialiste des questions de monitoring en Méditerranée. Les autorités ont encore du mal à accepter que des données soient rendues publiques et puissent entraîner une éventuelle contestation de leurs politiques et de leurs stratégies. COOPÉRATION SUR LE NIL Au-delà des difficultés sur le bassin du Jourdain, un travail important est en train d'être mené sur le bassin du Nil, avec l'Initiative du bassin du Nil (IBN). Ce partenariat régional, lancé en 1999 par les dix pays du bassin (Burundi, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Soudan et Tanzanie), rétablit l'équilibre entre les pays amont et aval. Contrairement au scénario classique d'une maîtrise des ressources par les pays amont, historiquement sur le Nil, ce sont les pays aval - Égypte et Soudan - qui se sont partagé la ressource. Ils ont ainsi profité de l'incapacité des pays amont à aménager leurs cours d'eau et revendiqué un droit « historique » d'utilisation de ces eaux. Cette situation, qui paraissait bloquée, semble donc évoluer avec l'IBN, qui donne un nouveau souffle à la coopération. Après des études d'impact sur les divers aménagements possibles sur le cours du fleuve, « les pays participants sont en train de se mettre d'accord sur un schéma de projets prioritaires ; ils montent un programme d'infrastructures à la fois sur le Nil Blanc et sur le Nil Bleu », relate Jean-François Donzier. Autre bassin où une coopération transfrontalière semble indispensable à la stabilité régionale, celui du Tigre et de l'Euphrate. Les deux fleuves prennent leur source en Turquie, pays qui a lancé dans les années 1980, sans concertation avec la Syrie et l'Irak situés à l'aval, un programme de barrages très ambitieux, le GAP, afin d'irriguer toute la région du Kurdistan. Des fortes tensions en ont résulté avec ses voisins. Tout comme Israël d'ailleurs, la Turquie refuse encore toute allusion au « droit international » ou, plus précisément, à la convention des Nations unies de 1997 sur les utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation. Cette convention, qui n'a pour l'instant été ratifiée que par seize pays (1) et n'est donc pas entrée en vigueur, prévoit notamment une concertation avant tout aménagement sur un fleuve partagé par plusieurs pays. Toutefois, « la Turquie bénéficie aujourd'hui d'un rapport de forces favorable, et elle est donc très bien disposée vis-à-vis de la Syrie et de l'Irak. Les tensions devraient à l'avenir fortement diminuer dans cette région », estime Barah Mikaïl. La convention de 1997 n'a en réalité inspiré que deux accords dans la région méditerranéenne, tous deux impliquant la Syrie et le Liban. L'un concerne l'Oronte (2001), l'autre le Nahr-el-Kébir (2002). Ce dernier prévoit notamment la construction d'un barrage de 70 millions de m³ par les deux pays, pour un usage commun. D'après Fadi Comair, ils ont tous deux été fondés sur le concept de gestion intégrée des ressources en eau (GIRE). La GIRE se fonde sur la prise en compte, d'une part de l'ensemble du cycle hydrologique et d'autre part du contexte socio-économique. Elle considère tous les usages (industrie, agriculture, eau potable, tourisme...) ainsi que toutes les activités influant sur la ressource, notamment l'assainissement. « Ce concept sera déterminant pour lutter contre la pénurie d'eau dans la région », analyse le haut fonctionnaire, qui est l'un des artisans de ces accords. L'HYDRODIPLOMATIE SE THÉORISE L'idée de donner à l'eau un rôle moteur dans la pacification n'est pas nouvelle : elle a inspiré nombre de plans de paix américains ou européens. Pourtant, aujourd'hui, cet enjeu semble réellement intégré par les décideurs des pays du Sud. En premier lieu, ils développent des politiques cohérentes et volontaristes en matière d'eau. Patrice Fonlladosa, signale ainsi le travail de fond des Marocains : « Ils ont créé un groupe de travail qui donne le feu vert pour financer les grands travaux, donnant la priorité à l'assainissement. Les Libanais aussi ont pris conscience de l'importance de l'assainissement et s'ouvrent au secteur privé. D'une manière générale, rien ne se fait sans une volonté politique forte et une vraie planification. L'Arabie Saoudite offre un très bon exemple de ce processus. Ce pays a identifié les besoins puis mis au point un plan et un calendrier qu'il suit scrupuleusement. » De son côté, Franck Galland approuve les « investissements de l'Algérie dans le secteur de la distribution de l'eau et de l'assainissement. Elle a fait de bons choix de partenariats avec des entreprises privées, capables de bien administrer les réseaux. Réaliser de gros investissements et conclure des partenariats public-privé pour gérer est une excellente stratégie ». (2) Située au coeur des processus sociaux et politiques, l'eau prend de plus en plus l'une des premières places dans les investissements publics. Elle peut ensuite, par un processus similaire, devenir l'une des priorités lors des négociations internationales. « Cette politique de l'eau devient un facteur de paix. L'importance de la paix pour la région offre un motif de plus de faire de l'eau un argument central des négociations, estime Barah Mikaïl. C'est ici que le terme d'hydrodiplomatie peut prendre toute son ampleur. » Par ailleurs, les grandes puissances commencent elles aussi à développer une réelle politique de l'eau à l'international. « L'administration Obama sera très impliquée sur le dossier "eau" à l'international. La politique étrangère américaine sera construite sur la logique du changement climatique, donc de l'eau », analyse Franck Galland. Côté européen, la tentative lancée avec l'UPM dans le secteur de l'eau, malgré ses limites, va dans le bon sens : « Tout ce qui remettra l'eau au coeur des priorités internationales est positif », conclut-il.


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