De février à juillet, le Grenelle de la mer a réuni l'État, les collectivités territoriales, les entreprises à travers des collèges employeurs et salariés, et les représentants de la société civile, afin d'élaborer une feuille de route pour la mer et le littoral, dans une perspective de développement durable. « La méthode, qui a fait ses preuves lors du Grenelle de l'environnement, a encore très bien fonctionné. Autour de la table, un grand nombre de compétences étaient réunies, des acteurs ayant des intérêts différents mais rassemblés pour une cause commune. Cela a permis de formuler plusieurs centaines de propositions concrètes », note Joël Séché, président de Saur et représentant de la FP2E dans le processus. « Développer une vraie stratégie de la mer et du littoral qui englobe les dimensions européennes, régionales et ultramarines, et qui réaffirme le lien terre-mer, renforcer la dimension maritime dans les structures de gouvernance existantes, clarifier les compétences entre l'État et les collectivités territoriales, sans oublier les spécificités de l'outre-mer, tout cela va dans le bon sens », ajoute Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral, maire de Perros-Guirec.
Ce processus national de réflexion entraînera des changements dans la manière de travailler des acteurs locaux institutionnels. Les enjeux sont nombreux : développement de la connaissance et de la surveillance des écosystèmes du littoral et de la mer (déjà demandé par la directive 2008/56/CE stratégie pour les milieux marins), réduction des pollutions, préservation de la qualité des milieux, intégration de la dimension marine dans les politiques territoriales du littoral, etc. « Tout cela ne pourra se faire sans un renforcement de la gouvernance, qui existe déjà dans le cadre des instances de bassin. Il faudra un élargissement du champ de vision : en termes d'acteurs, avec une vraie déclinaison de la logique à cinq du Grenelle et en terme spatial, car on ne doit plus regarder le littoral comme simplement la façade ou la bande côtière », préconise Jérôme Bignon, député de la Somme et président de l'Agence des aires marines protégées, qui a présidé le groupe de travail n° 1 du Grenelle (Rencontre entre la terre et la mer).
LA POLITIQUE DES AGENCES
Les agences de bassin travaillent déjà sur les eaux littorales dans la bande des 12 miles, qui était la limite imposée par la DCE : dans le cadre de l'état des lieux des masses d'eau de transition (estuaires) et littorales, elles ont notamment mis en place des réseaux de surveillance de la qualité des milieux et de l'eau. Elles incarnent en outre assez bien, malgré quelques lacunes, la fameuse notion de bassin élargi et de continuité terre-mer qui était l'un des thèmes phares du Grenelle, auquel elles n'étaient pourtant pas conviées. Fortes de leur légitimité en matière de gouvernance et de leur capacité à insuffler des dynamiques locales, les instances de bassin se sont positionnées, en juin, durant le forum de La Baule et ont fait remonter des propositions concrètes. La première concerne un élargissement de la composition des instances de bassin, pour une plus grande représentativité des acteurs de la mer. Les défauts de la gouvernance actuelle seraient ainsi corrigés. Elles se proposent également de passer d'une dimension littorale à une approche véritablement marine, puisque, avec la directive stratégie milieux marins, la nouvelle frontière est repoussée de 12 à 200 miles au large.
La connaissance sur cet espace est aujourd'hui quasi nulle et les agences participeraient, aux côtés des établissements de recherche, à la structuration et à la mise en oeuvre des actions de connaissance. Il faudra mutualiser car les moyens nautiques pour aller faire des mesures en haute mer sont bien plus coûteux que ceux utilisés pour la surveillance DCE actuelle, dont le budget, rien que pour le bassin Loire-Bretagne, est déjà d'un million d'euros par an. « On pourrait profiter, par exemple, des sorties en mer des bâtiments de la Marine nationale, ou installer des préleveurs sur des bateaux de pêche, préconise Jean-Louis Rivoal, directeur de la délégation régionale Ouest Atlantique de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Cela impliquera de sécuriser les conditions et de faire de la formation car il ne faut pas contaminer le prélèvement, ni prélever trop près de la coque, etc. »
Pour ne plus « saucissonner » l'espace marin, les agences travaillent aussi à améliorer la coordination interbassins : aujourd'hui, entre Loire-Bretagne et Seine-Normandie sur la baie du Mont-Saint-Michel, et demain entre Seine-Normandie et Artois-Picardie dans le cadre de la mise en place des aires marines protégées de la Canche et de l'Authie. « D'ici à la fin de l'année, nous allons passer à la vitesse supérieure avec des réunions conjointes des commissions littorales des trois bassins, afin de mettre en cohérence le volet littoral de nos SDAGE et nos modalités d'actions sur l'intégralité de la façade Manche-mer du Nord », relate Pascal Maret, directeur de l'eau et des milieux aquatiques à l'agence de l'eau Seine-Normandie.
Certains agences ont déjà engagé une révision de leur politique mer et littoral : c'est le cas sur le bassin Rhône-Méditerranée et Corse, où un groupe de travail a été créé pour faire le bilan de la stratégie actuelle, prendre en compte le contexte institutionnel (directive stratégie marine et révision de la convention de Barcelone, auxquels s'ajoute désormais le Grenelle de la mer) et faire des propositions. « Concrètement, cela devrait se traduire, dans le cadre de la révision du neuvième programme, par des innovations sur un certain nombre d'aspects : les problèmes de pollution par temps de pluie, l'organisation des usages de la mer, la restauration des habitats marins, les macrodéchets flottants... L'agence s'organisera pour accompagner plus de projets des acteurs locaux dans ces domaines », détaille Pierre Boissery, chargé de mission mer et littoral à l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée et Corse.
RÉDUIRE LES FLUX DE POLLUANTS D'ORIGINE TERRESTRE
En termes d'état des lieux, on constate une significative amélioration de la qualité microbiologique des eaux littorales depuis les années 1980, largement imputable aux investissements des communes en matière de traitement des rejets urbains. L'état des masses d'eaux littorales, au sens de la DCE, est plutôt bon (c'est moins le cas pour les masses d'eau de transition), mais il reste beaucoup de travail à faire pour réduire les flux de polluants d'origine terrestre.
L'un des volets les plus importants porte sur la gestion des réseaux d'assainissement (eaux usées et eaux pluviales) par temps de pluie et le tamponnage des flux. « C'est un souci majeur, avec des investissements importants à la clé. La nouvelle directive sur la qualité des eaux de baignade trace la voie à suivre, à travers l'élaboration des profils de vulnérabilité qui permettent d'identifier et de hiérarchiser les sources de pollution pour mieux cibler les travaux », souligne Yvon Bonnot.
Faire reculer les problèmes liés aux algues vertes et au phytoplancton est un autre chantier important. Au regard des efforts déjà engagés, le bilan est décevant : on note une stabilisation des concentrations en nitrates sur les bassins versants bretons, mais pas de diminution des développements alguaux sur les façades impactées. Le phénomène semble même s'étendre doucement, puisque le littoral ouest du Cotentin connaît désormais quelques micro-épisodes. La connaissance progresse : la diminution des flux d'azote printaniers apparaît aujourd'hui comme une des clés. L'agence de l'eau Loire-Bretagne travaille avec le Centre d'évaluation et de valorisation des algues (Ceva) pour élaborer des stratégies d'actions plus efficaces, en s'appuyant sur la modélisation.
Le Grenelle ambitionne une véritable amélioration avec un objectif de réduction de 40 % des nitrates et phosphates, en 2014, dans tous les bassins situés en zone vulnérable et possédant une façade soumise à eutrophisation. « Contrairement aux problèmes bactériens sur les sites de baignade, souvent dus à des rejets de proximité, les développements alguaux sont liés aux flux d'azote et de phosphore de l'ensemble des bassins versants. Des plans d'actions sont engagés depuis une dizaine d'années pour limiter les flux apportés à la côte. Ce sont des programmes dont le montage est complexe, car ils touchent des territoires très vastes et une multitude d'acteurs. Ils nécessitent une coordination d'action, des moyens conséquents et surtout du temps », témoigne Jean-Louis Rivoal. Le monde agricole est le premier concerné, mais les collectivités devront également poursuivre leur effort et aller plus loin sur les réseaux d'assainissement et sur l'ANC. « Si l'on arrive à un service d'assainissement unique pour le collectif et l'individuel, on peut espérer être mieux à même de gérer l'ensemble des apports liés à l'activité domestique », estime Joël Séché. On peut rappeler que la convention OSPAR impose une limitation du flux moyen de nitrates sortant de la Seine à 12 mg/l. On en est au moins au double. L'agglomération parisienne étant responsable d'une partie de ces rejets, la mise en route de la dénitrification à Achères devrait avoir un effet perceptible.
SOLIDARITÉ FINANCIÈRE DES BASSINS AMONT
Enfin, les pollutions des ports sont l'un des grands enjeux du Grenelle. Au programme : gestion des eaux pluviales et des déchets, collecte des eaux de carénage, des eaux grises et noires des infrastructures portuaires (ports/industries/bateaux). Le Grenelle demande aussi une gestion plus écologique des boues de dragage, avec l'émergence d'une filière de traitement à terre pour laquelle la solidarité financière des bassins amont contribuant aux pollutions pourra s'appliquer. L'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà en projet de travailler sur les trois grands ports de la Seine. Un premier contrat pourrait être lancé d'ici à trois ans sur le port de Rouen (de l'ordre de 100 à 200 millions d'euros de travaux). Le Havre et Paris devraient suivre. Elle souhaite aussi améliorer les pratiques au niveau des ports de plaisance de la façade Manche-mer du Nord. De son côté, l'agence Loire-Bretagne a réalisé un diagnostic de l'ensemble des pollutions et devrait engager sous peu un programme de restauration de la qualité des eaux portuaires.
COORDONNER LES USAGES DE LA MER
Au-delà des pollutions terrestres, beaucoup de collectivités s'intéressent à la gestion de l'espace marin. Certaines demandes réglementaires, telles celles liées au réseau Natura 2000, les y incitent. Il y a besoin, par exemple, de coordonner les usages de la mer car la multitude d'activités a des impacts sur les habitats (dégâts physiques des ancres et des palmes) et la coexistence entre plaisanciers, pêcheurs, plongeurs et baigneurs génère des tensions. Pour poursuivre leur développement économique, ces territoires doivent arriver à concilier conchyliculture, aquaculture, gestion de sédiments portuaires, plan d'accès de cheneaux, mouillages organisés, zones d'habitats telles que des récifs artificiels. « Cette dimension n'est pas facile à aborder parce qu'elle relève de bonnes pratiques, de comportement, et d'aspects réglementaires concernant l'État, chargé de la police de l'eau. Il y a une synergie très forte à rechercher avec l'ensemble des acteurs pour arriver à structurer les usages. Le plan de gestion de l'île Verte et du Mugel en est un bon exemple », remarque Pierre Boissery (voir encadré p. 22).
Autre volet d'action : dans le prolongement de la trame verte et bleue sur terre (engagement du Grenelle de l'environnement), la création d'une trame bleu marine a été proposée. « Relier les zones humides littorales, les estuaires, les mangroves, les estrants et toutes ces zones de transition qui présentent des enjeux particuliers en termes de biodiversité est une idée intéressante. Les collectivités seront sans doute les seules à même de gérer ces espaces. Les schémas de mise en valeur de la mer (SMVM) n'ont pas fonctionné. C'est un outil trop lourd, il faut en tirer les conclusions : c'est par le volet mer des schémas de cohérence territoriale (SCOT) que l'on pourra travailler sur ces aspects », indique Yvon Bonnot. Les agences de bassin pourraient aider à la prise en compte des aspects marins dans les SCOT, en développant des cadres méthodologiques de cahiers des charges, en finançant des études ou des actions. « C'est typiquement le métier de l'agence », rappelle Jean-Louis Rivoal.
DES STRATÉGIES LOCALES ORGANISÉES
Enfin, des collectivités pourraient intervenir pour restaurer des habitats en mer. « Dans le cadre de Natura 2000, il y aura sans doute des opérations de ce type. L'agence des aires marines protégées est la boîte à outils de ces stratégies de gestion, qui doivent être organisées : il faut identifier les lieux en danger, imaginer des périmètres, des structures et des plans de gestion », détaille Jérôme Bignon. L'agence Rhône-Méditerranée et Corse a déjà financé l'opération Récifs Prado 2006 (voir encadré p. 22) et souhaite développer ce genre d'actions. La montée en puissance des politiques de gestion locale sera l'un des éléments clés pour faire face aux nouveaux enjeux. S'il y a effectivement émergence d'une catégorie d'acteurs institutionnels motivés et disposant de moyens techniques et financiers pour travailler sur le milieu marin, les formes de gestion sont encore balbutiantes. Les contrats de baie, qui préfigurent un peu cette approche, sont des outils de programmation de travaux en matière de lutte contre la pollution, et non des outils de gestion des milieux.
En outre, la gouvernance n'y est pas très bonne - il n'y a souvent qu'une seule réunion annuelle du Comité de baie - et la forte dominance de la Marine nationale sur les rades de Toulon ou de Brest s'est révélée un handicap dans la démarche. « Il faudra inventer des outils plus opérationnels pour la gestion des espaces marins et accompagner les structures de gestion locale pour que, dans le cadre de la gouvernance avec l'ensemble des acteurs, elles définissent des objectifs et mettent en oeuvre des actions », prévient Pierre Boissery.
VERS UNE GESTION DÉLÉGUÉE DES MILIEUX MARINS
La principale difficulté à surmonter est le fait que le domaine public maritime relève de la compétence régalienne de l'État. Pour l'instant, il n'y a que quelques exemples atypiques d'une gestion déléguée à d'autres acteurs, comme le Conservatoire du littoral à Chausey ou les parcs marins. Il faudra que les services de l'État, notamment les Affaires maritimes, lâchent du lest et acceptent de confier cette responsabilité à des structures locales animées par des collectivités volontaires, les seules capables de porter de tels projets. « Il ne s'agit de toute façon que d'une infime partie des millions de kilomètres carrés de l'espace maritime français : des espaces d'intérêt notable et peut-être aussi certains milieux représentatifs de la biodiversité ordinaire en mer », précise Jérôme Bignon. La répartition en matière de champs et de lieux d'intervention devrait en outre se faire de manière assez naturelle, car les collectivités n'auront pas la volonté d'intervenir au-delà de quelques kilomètres de la côte.