Le marché des petites collectivités est prometteur. Il va du hameau au lotissement, village, camping, voire à l'aire d'autoroute, avec une charge de pollution à traiter allant de 20 à 2 000 EH. Un recensement effectué courant 2008 par le ministère de l'Écologie (Meeddm) a permis d'identifier 14 400 agglomérations d'assainissement de moins de 2000 EH, dont certaines exploitent plusieurs stations. S'y ajoute le secteur privé : les regroupements d'habitations dans des copropriétés ou lotissements, les campings...
DES EXIGENCES CROISSANTES
Comme les grandes agglomérations et les particuliers, ces petites collectivités sont confrontées à des exigences croissantes en termes d'assainissement. Ainsi, la directive eaux résiduaires urbaines (ERU) fixe des objectifs aux collectivités de moins de 2000 EH : celles disposant d'un « système de collecte » collectif devaient avoir mis en place un « traitement approprié » avant le 31 décembre 2005. Le texte ne définit précisément, ni ce qu'est un « système de collecte », ni ce qu'est un « traitement approprié » ; il est cependant acquis que celui-ci dépend de la sensibilité du milieu récepteur. Un inventaire des stations de moins de 2 000 EH en situation de non-conformité par rapport à cette directive est en cours de réalisation par le ministère. D'après Bruno Rakedjian, en charge du suivi du contentieux communautaire sur la directive ERU au Meeddm, « à l'heure actuelle, environ 10 % des stations de moins de 2 000 EH recensées sont en situation de non-conformité. Le pourcentage est relativement faible car l'impact des rejets des petites stations est souvent négligeable sur la qualité des masses d'eau ».
Cependant, « aujourd'hui, le nouvel enjeu est posé par l'assainissement des petites collectivités, car sur les plus grosses unités, le travail de mise en conformité est déjà bien avancé », explique Didier Colin, ingénieur d'études assainissement à l'agence de l'eau Rhin-Meuse (AERM). Avec le risque de voir les mécanismes d'incitations-pénalités, qui ont été créés pour les grosses agglomérations, s'étendre aux plus petites.
À cela s'ajoutent les exigences de la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE) de 2000, qui vise l'atteinte du bon état écologique des masses d'eau d'ici à 2015. Les objectifs concrets seront fixés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau en cours d'adoption dans chaque bassin. Ce sont eux qui définiront les masses d'eau prioritaires, dont découleront les éventuelles exigences en termes de rejet des stations d'épuration.
NUMÉRO 1 : LES FILTRES PLANTÉS
L'effort à réaliser reste donc important, et le marché, encore difficile à évaluer, semble conséquent. Beaucoup de prestataires s'y intéressent, les plus grosses entreprises du secteur de l'eau y croisant des PME de toutes tailles. Si les solutions qu'elles proposent sont elles aussi très variées, la plus grosse part des réalisations va aujourd'hui, sans conteste, aux filtres plantés de roseaux (FPR). Pascal Molle, chercheur au Cemagref, estime que, pour les petites collectivités, plus de 80 % des nouvelles stations construites sont à filtres plantés de roseaux.
Les motivations des maîtres d'ouvrage qui choisissent un FPR sont souvent pragmatiques. « Les collectivités viennent rarement au filtre planté de roseaux pour l'attrait de la plante : elles sont plutôt attirées par le faible coût d'exploitation. Elles veulent aussi être capables d'entretenir leur station elles-mêmes, sans faire appel à un fermier », ajoute Bruno Ricard, responsable de l'agence Ouest de Sinbio, maître d'oeuvre qui propose des conceptions détaillées de filières FPR et combinées, et des encadrements de chantiers.
Le FPR, qui a été développé par le Cemagref, est une solution rustique : son entretien est relativement simple, son coût d'exploitation peu élevé. Autre élément intéressant pour les petites collectivités, dont la population est souvent variable : il est plutôt résistant aux variations de charge. Il est le plus souvent composé de deux filtres successifs formés de supports minéraux (sables, gravillons). Chaque filtre est séparé en deux ou trois parties : l'une est alimentée pendant que l'autre se repose. Les roseaux plantés sur le support ont pour fonction essentielle d'éviter le colmatage en fissurant la couche de boues. Ce sont les bactéries présentes sur les granulats et les racines de roseaux qui dégradent la matière organique. « C'est le sol qui épure et non les plantes », insiste Alain Vachon, expert assainissement à l'agence de l'eau Loire-Bretagne (AELB).
UN ENTRETIEN SIMPLIFIÉ
L'alimentation des filtres se fait par bâchées automatiques. L'entretien est simple : actionner les vannes deux fois par semaine ; scarifier la couche de boue tant que les roseaux sont jeunes, puis faucarder les roseaux une fois par an ; curer les boues une fois tous les dix ans. « Cette technologie semble répondre à la problématique des boues et présenter des exigences d'exploitation qui sont à la mesure du technicien de mairie », analyse Jacques Lesavre, chef du service technologie de l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN).
Reste que la conception et la construction doivent être irréprochables et l'entretien effectué sérieusement. Une étude lancée par l'AELB avec l'aide des Satese a mis en exergue certains dysfonctionnements, tels le blocage des systèmes d'alimentation par bâchées ou des défauts de conception : granulométrie du support filtrant peu précise, hauteurs de matériau filtrant insuffisantes...
Patrice Schaal, directeur de travaux à la direction régionale Centre-Est de Saur, rappelle que « la police du réseau doit être faite correctement. S'il y a un restaurant en amont de la station, il faut que des bacs dégraisseurs soient installés et entretenus avant le rejet de ses eaux dans le réseau collectif pour que le FPR fonctionne bien ». Saur propose depuis 2003 une solution brevetée, Rhizostep, qui affiche une emprise au sol encore inférieure aux FPR classiques (1 m2 par EH de surface utile contre 2 m2 pour les technologies mises au point par le Cemagref) grâce à un plancher aéré qui permet l'oxygénation du massif filtrant.
Un système de FPR compact a aussi été récemment mis au point par un autre constructeur, Jean Voisin. Baptisé Écophyltre, il supprime le deuxième étage de filtration généralement présent à côté du premier, en superposant verticalement plusieurs couches filtrantes, en utilisant comme matériau filtrant de la mayennite (schiste expansé) et en optimisant le système d'aération. La surface utile de l'Écophyltre est de 1,2 m2/EH.
LES PROCÉDÉS SE MULTIPLIENT
Dans le même esprit, la société Epur Nature a développé le procédé Bifiltre. Le Cemagref a diagnostiqué les procédés Rhizostep et Bifiltre, et produit des rapports sur leur mise en oeuvre. « Plus les systèmes sont compacts, plus on approche des limites du procédé et donc leur robustesse diminue », tempère Pascal Molle.
Face à l'engouement des collectivités pour les solutions rustiques faisant appel aux plantes, les services de l'État ont concentré depuis quelques années leurs efforts de recherche sur ces solutions. « De l'argent public est dépensé pour financer les stations d'épuration ; nous devons compléter les informations commerciales fournies par les fabricants avec des informations de terrain désintéressées, fournies par exemple par les Satese, afin d'éviter de se tromper collectivement », analyse Alain Vachon de l'agence Loire-Bretagne.
C'est dans ce cadre que s'inscrit l'étude lancée par l'AELB, mais aussi la création d'un groupe de travail fin 2008 par le Cemagref sur l'Évaluation des procédés nouveaux d'assainissement des petites et moyennes collectivités (Epnac). La première année, il s'est beaucoup concentré sur les FPR. Il s'est aussi intéressé à l'association entre FPR et lagunage. « Pour 2010, nous lançons trois nouveaux sujets : l'association entre lits bactériens et FPR, entre disques biologiques et FPR, et la réhabilitation des filtres à sable », détaille Pascal Molle. L'une des grandes nouveautés de ces dernières années est en effet la multiplication des procédés mixtes. Le couplage le plus fréquent se fait entre un filtre planté et une lagune. Tous les marchés remportés par la société Sinbio ces dernières années sur la région Ouest portent sur des projets de ce type, lors de réhabilitation de stations : « Aujourd'hui, de nombreuses communes qui ont vu leur population grandir doivent restructurer leur station pour augmenter leur capacité épuratoire. Beaucoup avaient des lagunes ; l'ajout d'un FPR en amont permet d'accroître la capacité épuratoire et de procéder au traitement des boues. C'est la solution que nous préconisons le plus souvent. »
Les mariages de différentes technologies sont aussi parfois envisagés pour résoudre l'un des principaux inconvénients des FPR : ils ne dénitrifient qu'après ajout d'un troisième étage et d'une recirculation et ne traitent pas le phosphore à des niveaux suffisants pour être acceptés en milieu sensible. Certes, des recherches sont en cours pour identifier des matériaux filtrants capables d'adsorber le phosphore lors de la percolation des eaux usées. Le Cemagref s'intéresse à l'apatite ; Jean Voisin se concentre sur l'action des laitiers d'aciérie.
Mais une zone de dissipation végétalisée - sauleraie, bambouseraie, peupleraie - permet aussi d'éviter le rejet d'eaux contenant des nitrates et du phosphore dans le réseau aquatique. Les eaux traitées sont épandues sur un terrain planté d'arbres fortement consommateurs d'eau. « Ce ne sont pas les arbres qui évacuent le phosphore : celui-ci se concentre peu à peu dans le sol. Mais il faudra des décennies avant que la terre ne soit saturée », précise Bruno Ricard. Cette technologie présente les mêmes avantages de rusticité que le FPR auquel elle est couplée : entretien réduit et simple, coût limité.
QUELQUES DOUTES SUBSISTENT
Les FPR ne font cependant pas encore l'unanimité. Certains affichent leurs doutes quant à leur efficacité sur le long terme. À l'image de Bernard Sourigues, directeur d'Hydrea, filiale de Degrémont France Assainissement, qui craint que les FPR ne connaissent, à terme, le même sort que les filtres à sable : le colmatage. Il précise : « Nous n'utilisons les roseaux que pour le traitement des boues, pour les épaissir et diminuer leur volume. » Pour le traitement des eaux, Hydrea propose des procédés à boues activées. Cette technologie, bien maîtrisée, consiste à traiter les eaux usées dans un bassin artificiellement aéré accélérant l'action naturelle des bactéries épuratrices.
LES PERFORMANCES DES BOUES ACTIVÉES
La présence de pompes et d'automatismes nécessite de faire appel à du personnel qualifié, voire à un fermier pour l'exploitation. Bernard Sourigues trouve cependant logique « qu'à l'heure où l'on se préoccupe d'écologie, les communes consacrent quelques heures par semaine pour s'occuper d'installations qui protègent le milieu naturel. En outre, les systèmes sont de plus en plus équipés d'automatismes et d'appareils de télésurveillance, qui réduisent le temps de présence et simplifient leur travail ». Côté performances, les résultats affichés par les systèmes à boues activées sont meilleurs que ceux des FPR sur le phosphore et l'azote. Ces deux éléments combinés sont à l'origine de l'eutrophisation des cours d'eau ; c'est pourquoi il faut limiter leur quantité dans les milieux sensibles.
Cependant, même avec une surveillance par un délégataire, « des dysfonctionnements, comme des départs de boues peuvent surgir et n'apparaissent généralement pas dans l'autosurveillance », nuance Pascal Molle. Dans les petites collectivités, où les contrôles sont moins fréquents que dans les grandes installations, le choix de cette solution ne garantit donc pas à lui seul un résultat satisfaisant.
Côté solutions, outre des stations sur mesure pour les collectivités de plus de 750 EH, Hydrea propose des systèmes compacts pour les installations de moins de 750 EH. « Cela nous permet de diminuer les coûts de chantier, l'emprise foncière... », poursuit Bernard Sourigues. Hydrea et France Assainissement ont mis au point au point deux systèmes compacts : le Bio'H (boues activées avec aération puis décantation) et le Bio'S, un réacteur séquentiel discontinu ou SBR (du terme anglais Sequencing Batch Reactor).
Dans les réacteurs SBR, les eaux usées sont soumises successivement dans un même bassin à une aération, pour la dégradation bactérienne, puis, après arrêt de la soufflerie, à une décantation. Deux bassins sont alimentés alternativement. Le passage de l'un à l'autre est automatique, de même que le fonctionnement de l'installation et sa surveillance, grâce à un logiciel de contrôle. Les rendements épuratoires sont bons pour la dégradation biologique (DBO5, DCO, phosphore et azote) et pour les matières en suspension.
GAGNER EN PLACE ET EN EFFICACITÉ
Les exigences de qualité des rejets ayant tendance à se renforcer, certaines petites collectivités font le choix de systèmes plus technologiques, gérés par une entreprise externe. Parmi ceux-ci figurent les procédés membranaires. Stéreau, filiale de Saur, a ainsi standardisé sa solution membranaire Aqua-RM afin de réduire les coûts et de la rendre accessible aux petites collectivités (400 à 3 000 EH). Cette technologie associe le traitement biologique par boues activées et la filtration par membranes plaques immergées. Cette filtration remplace l'étape de clarification et assure un meilleur rendement, notamment en termes bactériologiques. Les deux communes littorales qui ont déjà fait le choix de cette solution ont délégué l'exploitation. « Lorsque les normes de rejet à atteindre sont sévères, cette solution a l'avantage de se révéler moins chère qu'une installation classique qu'il faudra compléter par une filtration ou des rayons ultraviolets », note Xavier Guilbaud de Stéreau. Elle présente notamment l'intérêt de la compacité, un argument très important dans les zones où la pression foncière est importante.
Les lagunes, les FPR et les autres solutions rustiques sont en effet consommatrices d'espace, alors que de nombreux procédés plus techniques en occupent peu : boues activées, SBR, procédés membranaires mais aussi biodisques. Fixés à un axe en rotation permanente, ces derniers sont à moitié immergés dans l'effluent et à moitié situés à l'air libre, où ils s'oxygènent naturellement. Après une certaine désaffection au début des années 1990, des améliorations récentes (nouveaux matériaux, motorisation améliorée...) ont optimisé leur fonctionnement (voir Hydroplus n° 180, p. 43). Autre innovation, mise au point par MSE, filiale de Veolia Solutions et Technologies : l'Ecodisk Filtre remplace le décanteur final par un filtre à tambour, gagnant en place et en efficacité épuratoire. Faible emprise au sol (moins de 2 m2/EH), adaptation satisfaisante aux variations de charge, consommation en énergie réduite : les biodisques peuvent être intéressants pour les petites collectivités.
DU PARTICULIER AU COLLECTIF
Au-delà de ces solutions traditionnelles, les petites collectivités se voient aussi courtisées par les fabricants de techniques destinées initialement aux particuliers. C'est le cas notamment de tous les systèmes d'épuration par boues activées classiques, par réacteur SBR, par boues activées sur support fixé, vendus par Boralit, Stoc Environnement, Graf, Eloy, ATB, MSVE, Sebico, Sotralentz Habitat, Biotys... C'est aussi le cas des filtres, tels les filtres et filières compacts coco Epurflo de Calona Purflo, utilisant la technologie PremierTech avec copeaux de coco.
En raison de leur taille, les très petites collectivités deviennent des clients potentiels pour les systèmes standardisés. « Pour les toutes petites installations, de 50 ou 100 EH, l'avenir est à ces filières industrialisées, compactes et automatisées. Les systèmes sont de plus en plus simples à entretenir : il y a encore deux ans les microstations devaient être vidangées une fois tous les six mois. Les modèles d'aujourd'hui ne doivent subir cette procédure que tous les trois ou quatre ans », analyse Franck Wanert, président du syndicat national des bureaux d'études en assainissement (Synaba).
Souvent, ces systèmes standardisés présentent l'avantage d'être facilement étendus. Un exemple : le fabricant italien Vemar propose un système d'assainissement par boues activées modulaire. Chaque module permet de traiter 1 000 EH ; jusqu'à cinq modules peuvent être installés en parallèle. La station peut donc s'agrandir au fur et à mesure des besoins. « Dans les systèmes où la répartition des eaux se fait automatiquement, je suis particulièrement vigilant sur la manière dont le partage s'opère et se contrôle », signale Bruno Tisserand, directeur technique délégué à l'assainissement de Veolia Eau. Quelle que soit la solution choisie, le bon fonctionnement du système dépendra en effet du choix des matériels (augets, répartiteurs, pompes...), du sérieux de la conception et de l'entretien. Qu'ils soient rustiques ou plus technologiques, les procédés d'assainissement n'en demeurent pas moins exigeants.