La France représente aujourd'hui les deux tiers de la production de chanvre de l'Union européenne. « En 2009, 12 500 hectares de chanvre ont été cultivés dans l'Hexagone », indique Sylvestre Bertucelli, directeur de la Fédération nationale des producteurs de chanvre et secrétaire de l'interprofession du chanvre (Interchanvre). « C'est 50 % de plus que sur ces cinq ou six dernières années », compare Benoît Savourat, président de l'Institut technique du chanvre et de la coopérative agricole Chanvrière de l'Aube (10). Si le débouché principal de la plante reste l'industrie papetière, qui utilise 80 % de la fibre, les acteurs de la filière misent aussi sur de nouveaux marchés à forte valeur ajoutée. Selon Benoît Savourat, « son potentiel de croissance dans le bâtiment est indéniable ».
En effet, les matériaux à base de chanvre possèdent de bonnes propriétés isolantes et participent au stockage du CO2 atmosphérique.
Actuellement, les fibres de chanvre sont utilisées dans l'isolation des habitations sous forme de laine de chanvre, et la chènevotte, la partie moelleuse de la tige, dans les bétons de chanvre. Ces derniers, disponibles depuis 1989, « ne bénéficient d'une reconnaissance dans le bâtiment que depuis trois ou quatre ans », poursuit Benoît Savourat. Euralis Coopéval, filiale du groupe coopératif Euralis, semble avoir tiré parti de cette chènevotte en créant une brique de chanvre (cf. encadré p. 45). Elle souhaite offrir à ses adhérents un nouveau débouché tout en assurant la promotion d'une culture écologique.
Les qualités environnementales du chanvre se manifestent dès la culture. « C'est une plante rustique. Son développement ne nécessite aucun produit phytosanitaire et ses besoins en eau sont limités », assure Benoît Savourat. Son cycle de vie est rapide (de mai à septembre) et les apports d'engrais limités dans le temps. Lors de son pic de croissance, la plante peut prendre jusqu'à vingt centimètres par jour. « C'est à ce moment-là qu'elle a besoin d'azote, mais elle se comporte comme un piège à nitrates », explique Pascal Lalanne, responsable technique d'Euralis, ce qui en fait une culture intéressante à proximité des zones de captage pour l'alimentation en eau potable. « Sa mise en culture est difficile », tempère Daniel Salviac, président de l'association Chanvre de Garonne. Par ailleurs, le matériel agricole est encore mal adapté à la récolte des différentes parties de la plante.
Après collecte, les pailles acheminées dans une usine de première transformation ne subissent «qu'un traitement mécanique, pour séparer la fibre de la chènevotte, ne nécessitant ni eau, ni chaleur », explique Joan Reverté, directeur de l'usine Agrofibre (groupe Euralis), opérationnelle depuis septembre 2008. La société, qui ambitionne de monter une filière du chanvre « longue et durable », passe des contrats de production à prix garantis avec ses exploitants pour les encourager à renouveler l'expérience.
En l'espace d'un an, les surfaces de chanvre cultivées dans le Sud-Ouest sont passées de 650 à 2 800 hectares et « 15 000 tonnes de chanvre ont été transformées à l'usine », ajoute Joan Reverté. Ce dernier, qui vise presque exclusivement le marché des fibres techniques, espère traiter jusqu'à 35 000 tonnes de paille d'ici trois ans. Selon Sylvestre Bertucelli, « les surfaces de production françaises pourraient doubler d'ici cinq à sept ans pour atteindre 20 000 à 25 000 hectares ». Mais il n'y a « aucune certitude concernant le potentiel de croissance du marché du chanvre, ajoute Benoît Savourat. En allant trop vite, nous pourrions rapidement nous retrouver en surproduction de matière première. »
Cette progression dépendra de son accompagnement : les acteurs de la filière misent aujourd'hui sur la mise en place d'un système de labellisation et sur la simplification du code de la construction. Par ailleurs, « le surcoût des biomatériaux n'est pas pris en compte. Une personne qui décide d'utiliser de la laine de chanvre plutôt que de la laine de verre le fait à ses dépens », explique Sylvestre Bertucelli. Les acteurs de la filière proposent un crédit d'impôt pour inciter les particuliers à choisir ces biomatériaux. Le directeur de la Fédération nationale des producteurs de chanvre reste confiant : « Le Grenelle a changé les choses. Le chanvre bénéficie d'une bonne image et les gens sont de plus en plus nombreux à se tourner vers ce type de produits ».