Chaque jour, un Français consomme en moyenne 150 litres d'eau pour ses usages domestiques et sanitaires. Ce qui représente, à l'échelle du pays, près de 3 milliards de mètres cubes engloutis par les particuliers sur les quelque 32 milliards de mètres cubes prélevés dans la ressource chaque année. Sur ce volume, d'importantes économies peuvent être faites sur le domaine privé. Mais, au-delà des gestes quotidiens dictés par le bon sens - comme limiter le nombre de bains ou n'arroser son jardin que si nécessaire -, que pouvons-nous faire ?
La première mesure à prendre est de traquer les fuites. Jusqu'à 20 % du précieux liquide sont perdus à cause de tuyaux fissurés et de joints perméables. Deuxième axe d'attaque : limiter sa consommation, grâce à l'installation de simples réducteurs de débits, comme des mousseurs, des stop douche ou des chasses double-commande.
Ensuite, des solutions plus sophistiquées se dessinent, en particulier du côté du CSTB qui a inauguré le 17 septembre Aquasim, une plate-forme innovante de recherche et d'essais, ouverte aux industriels et aux universitaires. Cet équipement, unique en son genre sur le territoire européen, est installé à Nantes et il est opérationnel depuis fin 2009. Les économies d'eau figurent en bonne place parmi ses axes de recherche, et les moyens développés sont considérables : 2 000 mètres carrés de laboratoire et halls d'essais, 5 000 mètres carrés de parcelles aménagées dans lesquelles courent 7 kilomètres de réseaux ponctués d'une centaine de pompes et de 760 vannes motorisées, des bassins de stockage de 50 à 200 mètres cubes, 22 cuves, 8 unités de traitements. Il n'en fallait pas moins pour recréer et analyser le cycle de l'eau grandeur nature sur le système bâtiment-parcelle-environnement. Les paramètres comme la température, la pression, la composition de l'eau peuvent être minutieusement contrôlés, tout en simulant le vieillissement des conduites et la pollution de la ressource.
COMMENT RÉUTILISER LES EAUX PLUVIALES
Pour limiter le gaspillage, les chercheurs planchent sur plusieurs projets, comme le développement de nouvelles architectures de réseaux, qui visent à éliminer les volumes morts et les longueurs inutiles afin d'optimiser le trajet de l'eau dans les réseaux de distribution et ceux propres aux bâtiments. Autre grand thème de recherche : la substitution de l'eau potable, là où elle n'est pas nécessaire, par une eau recyclée à partir des eaux pluviales. Mais son utilisation est très encadrée du point de vue réglementaire. L'arrêté du 21 août 2008 ne permet d'envisager une récupération de l'eau de pluie à l'aval des toitures inaccessibles que pour des usages extérieurs, ou pour l'alimentation des chasses d'eau et le lavage des sols. Le lavage du linge est soumis à des exigences plus drastiques : l'eau de pluie ne pourra y être utilisée qu'à titre expérimental et sous réserve d'un traitement de désinfection grâce à un système déclaré et approuvé par l'Ansés (anciennement Afssa/Afsset). Avec ce cadre réglementaire prudent en toile de fond, le développement de la substitution de l'eau potable avance encore lentement. « Nous voulons prouver que les systèmes de récupération permettent à la fois d'assurer la sécurité des personnes et de réaliser d'importantes économies d'eau. Et nous espérons ainsi contribuer à faire évoluer la réglementation », explique Jean-Michel Axes, directeur de l'établissement du CSTB de Nantes. Le centre est aussi impliqué dans un projet dans l'Hérault, afin d'étudier la possibilité de récupérer l'eau de pluie à l'échelle du département.
RÉCUPÉRATION DES EAUX GRISES
Aquasim se penche également sur la récupération des eaux grises, une pratique encore très peu répandue en France. Pourtant, là encore, les quantités de matière premières disponibles sont importantes : 39 % de l'eau consommée par un particulier transitent par sa douche et sa baignoire et plus de 20 % sont consacrés au lavage du linge et de la vaisselle avant de finir dans les égouts. En tout, les eaux grises représentent entre 50 et 70 % des eaux usées domestiques. Des chiffres qui n'ont pas échappé à d'autres pays : au Japon, un tiers des foyers vivant en zone urbaine réutilisent leurs eaux grises. L'Australie ou les États-Unis font aussi figure de précurseurs dans le domaine et des projets se montent en Europe, au Canada, en Israël ou encore en Afrique du Sud. Évidemment, ces eaux grises, qui ont subi des contaminations physiques et biologiques, demandent un traitement poussé avant d'être réutilisées, fut-ce dans les toilettes. Aquasim a opté pour des bancs d'essai constitués de cuves de stockage associés à un bioréacteur à membrane immergée ou déportée. Pour les alimenter, une solution originale a été trouvée : les eaux nécessaires aux expérimentations sont produites sur place, dans une laverie mise à la disposition des salariés du CSTB moyennant participation. Ses eaux grises, qui représentent un volume d'un mètre cube, sont mélangées aux eaux de douche.
Plusieurs projets sont en cours pour optimiser ces systèmes à différentes échelles : celle de la maison, celle du bâtiment, celle de l'habitat collectif. Microbiologistes et chimistes analysent toujours plus finement les eaux en sortie pour améliorer encore leurs qualités sanitaires.
RÉCUPÉRATION DE CHALEUR
Les eaux grises intéressent les chercheurs à plus d'un titre. En parallèle de ces études sur leurs traitements et leur réutilisation, les équipes d'Aquasim se sont en effet lancées dans la récupération de l'énergie thermique de ces eaux. En sortant des lave-vaisselle et lave-linge, des douches et lavabos, l'eau est gorgée de calories et affiche en moyenne une douzaine de degrés. Avec des échangeurs de chaleur tels que des tuyaux double capacité ou des serpentins plongeant dans une cuve, il est possible de préchauffer l'eau de plusieurs degrés avant de l'envoyer alimenter les appareils électroménagers, salles de bains et éviers. Les économies d'énergie réalisées seraient, selon le CSTB, substantielles : elles pourraient représenter jusqu'à 50 % du coût de consommation d'eau chaude sanitaire. « Là encore, au-delà de la faisabilité technique, nous voulons prouver qu'il n'y a pas de risques sanitaires liés à l'utilisation d'un dispositif de récupération de calories », souligne Jean-Michel Axes.
RETOUR SUR INVESTISSEMENT
Reste la question, cruciale, de la rentabilité de ces systèmes et des retours sur investissement qui pourraient leur être associés. Des études économiques précises sont en cours au CSTB, mais des intuitions donnent déjà une idée des défis à relever. « Nous pressentons que les systèmes de récupération des eaux pluviales et usées et d'énergie des eaux grises tels qu'ils existent aujourd'hui seront rentables sur les bâtiments collectifs et semi-collectifs. À l'échelle de la seule maison individuelle, c'est moins évident a priori, le coût au mètre cube variant sensiblement en fonction de la qualité de l'eau que l'on souhaite obtenir », explique Jean-Michel Axes. C'est pourquoi le CSTB travaille à développer des systèmes moins coûteux, adaptés à l'utilisation pour des petits volumes. Mais il semble évident que la clé résidera dans une réflexion plus globale, à l'échelle du quartier par exemple, avant d'entamer les constructions ou les réfections de bâtiments, afin de ménager des espaces sous les terrains pour y installer des réservoirs ou de poser des doubles réseaux, et donc de limiter les coûts d'installation des systèmes individuels. Nous partageons l'eau. Il faudra aussi partager les efforts pour l'économiser.