1-CONSTRUIRE ET RÉNOVER AUTREMENT
Réutilisation de matériaux et déchets industriels, maîtrise des rejets, gestion des eaux de ruissellement, autant de bonnes pratiques qui contribuent à réduire l'impact des chantiers de construction des chaussées. La route est même devenue HQE.
Le développement de bonnes pratiques et les innovations technologiques ont fait une percée fulgurante dans la construction et la réfection des routes. La Fédération nationale des travaux publics ( FNTP) promeut les écochantiers, à travers des outils de sensibilisation et la diffusion d'exemples de bonnes pratiques sur la gestion des déchets, la réduction des nuisances sonores... L'utilisation de coproduits en techniques routières monte aussi en puissance pour économiser les ressources naturelles. Le conseil général de la Haute-Marne et Eurovia ont ainsi utilisé des sables de fonderie pour la réalisation de la RD 113.
Pour l'aménagement de l'échangeur routier d'Herblay sur l'autoroute A15, 183 000 tonnes de mâchefers traités au liant routier ont servi pour la mise en remblais et la couche de forme, permettant une économie d'autant de matériaux naturels, évitant des émissions de CO2 liées à leur acheminement sur de longues distances et réduisant de 15 % le coût du chantier. « Cependant, avec un potentiel de 10 à 15 millions de tonnes par an, ce sont surtout les matériaux de démolition de chaussées qui constituent le gisement de matériaux alternatifs le plus important », souligne Lionel Odie, responsable de l'unité techniques routières durables au Cete Ouest.
À la suite du Grenelle de l'Environnement, les professionnels ont signé une convention d'engagement volontaire pour les infrastructures routières, avec des objectifs chiffrés : réemploi ou valorisation de 100 % des matériaux géologiques naturels excavés pour le terrassement en 2020, augmentation de 20 % en 2009 à 60 % en 2012 de la réutilisation de matériaux bitumineux issus de la déconstruction routière. Les techniques constructives évoluent en conséquence pour incorporer de plus en plus de matériaux routiers recyclés dans les nouvelles routes. Dans les Yvelines, l'AFTRP, aménageur de l'écoparc des Cettons, a, par exemple, opté pour la valorisation de fraisats d'enrobés issus du rabotage de la couche de roulement d'une route avoisinante pour fabriquer une nouvelle chaussée en béton destinée à accueillir un important trafic poids lourds.
Pour la réfection des routes, ces techniques ont aussi de l'intérêt. Pour la réhabilitation de la RD 105 en Gironde, un chantier nécessitant de refaire les couches de fondation, le retraitement au liant hydraulique et la réutilisation de l'ensemble des matériaux excavés a économisé 55 000 t de matériaux naturels. Sanef a expérimenté, dans le cadre de la réfection de l'A4, la pose d'un enrobé à base de 70 % de béton recyclé dans les couches de base. Pour la rénovation de la RD58 dans l'Oise, Appia Picardie a proposé une variante dans le cadre d'un marché ouvert du conseil général : un retraitement à l'émulsion de l'ancienne chaussée pour reconstituer une assise homogène, surmontée d'une couche de roulement en enrobé basse température réalisée in situ. Résultat : une économie de matériaux neufs de 9 400 t et de 50 000 l de fuel.
Les innovations sur les produits talonnent les nouveautés sur les procédés. On commence par exemple à évoquer des voiries en béton dépolluant (contenant du dioxyde de titane). On peut citer évidemment les liants végétaux pour enrobés chauds, permettant des économies d'énergie d'environ 20 %, ainsi que l'utilisation de produits végétaux pour la préparation de bitumes fluxés servant d'enduits superficiels. De nombreux produits verts pour le marquage au sol sont déjà sur le marché. Dans les Côtes-d'Armor, le conseil général a engagé des essais à petite échelle sur ces nouveaux produits dans le cadre du programme Route du futur. Il a également testé avec succès le procédé Noxer d'Eurovia, un écran antibruit contenant un photocatalyseur qui absorbe les oxydes d'azote à la source. « Le procédé étant plus coûteux que les solutions standards, les effets de réduction de la pollution ont été chiffrés pour convaincre les élus », précise Martine Le Blanc, chef de service modernisation des routes à la direction des infrastructures et des déplacements du conseil général.
L'offre actuelle est tellement développée qu'il devient difficile pour les maîtres d'ouvrage de s'y retrouver. D'où le développement d'outils de comparaison des différentes options pouvant être proposées en variante dans le cadre d'un appel d'offres. Après Gaïa d'Eurovia, et la Calculette CO2 de Colas, le système Seve est sur le point d'être mis à disposition. Il s'agit d'un outil commun développé par l'Union des syndicats de l'industrie routière française, conformément à l'objectif fixé par la convention d'engagement volontaire de la profession.
Le thème de l'eau connaît aussi des évolutions, avec une prise en compte très en amont de la conception. Objectif : non seulement maîtriser les rejets polluants, mais aussi réduire les perturbations des fonctionnements hydrauliques. Un exemple phare est celui de l'A19 inaugurée en 2009, qui va bien au-delà des exigences réglementaires de la loi sur l'eau. Toutes les eaux de ruissellement sont, bien entendu, décantées et déshuilées mais, surtout, le projet a été conçu dans le souci d'un impact minimal sur les cours d'eau et la nappe phréatique très proche de la surface. Des buses ont été réparties sous la plate-forme autoroutière de façon à altérer le moins possible le fonctionnement hydraulique des terrains traversés ; les eaux pluviales sont traitées à ciel ouvert avec un travail fin de la topographie pour recréer des pentes, les franchissements de cours d'eau ont été conçus de façon à ne pas altérer la ripisylve... Dans les Bouches-du-Rhône où le conseil général doit passer en 2 x 2 voies une portion de la RD9 située en bordure du bassin du Réaltor (servant à l'alimentation en eau potable de Marseille), le projet prévoit la récupération des eaux pluviales jusqu'à une période de retour de cent ans, l'étanchéification de pratiquement tout le réseau pluvial et la création de grands bassins de traitement. « Les mesures de gestion des eaux doivent être drastiques pour ne rien rejeter dans le bassin-versant », souligne Jean-François Verpy, du service gestion des routes du conseil général.
L'accumulation de solutions techniques environnementales ne suffit cependant pas à concevoir une route durable. C'est la raison pour laquelle un référentiel de certification définissant des indicateurs d'appréciation de la performance durable d'un projet routier a émergé. À l'initiative de cette action : le conseil général du Nord qui s'est inspiré de la démarche HQE. Pour être certifié, un projet doit traiter au moins cinq objectifs en niveau très performant et huit en niveau performant. « Il a fallu revisiter la démarche HQE Bâtiment pour l'appliquer à la route. L'épine dorsale reste le système de management, mais l'approche a été étendue au développement durable en intégrant les aspects sociaux, sociétaux, culturels, territoriaux, de la sécurité, économiques... », précise Patrick Nossent, président de Certivea. Le premier chantier certifié devrait être validé ce mois-ci, ce sera le contournement de Cantin (CG Nord).
2-VERDIR L'ENTRETIEN ET L'EXPLOITATION DES ROUTES
La construction d'une route et la rénovation de ses chaussées ne contribuent qu'à hauteur de 10 % aux impacts générés tout au long de son cycle de vie. C'est son exploitation, en raison du trafic des véhicules, qui pèse le plus lourd sur l'environnement.
L'entretien et l'exploitation des routes sont finalement la phase pendant laquelle la maîtrise des impacts environnementaux revêt la plus haute importance. Les mentalités évoluent dans ce domaine. Le guide « Concilier routes et environnement », édité par le conseil général de l'Isère, liste bon nombre de bonnes pratiques. On peut citer la suppression des désherbants chimiques, l'usage d'un lamier pour tailler les haies (le gyrobroyeur à bras augmente les risques de maladies ou de parasites sur les végétaux et les fragilise), une gestion écologique des dépendances (aires de repos, bassins de décantation, délaissés de voirie...) cherchant notamment à réduire l'imperméabilisation, une gestion appropriée des matériaux de curage des fossés, une limitation de l'usage du sel...
De nombreuses initiatives concernent la gestion raisonnée des dépendances routières. En Ille-et-Vilaine, le travail a démarré en 2009 par un diagnostic paysager, écologique et socio-économique des dépendances routières (habitats naturels, espèces, usages et sensibilité). Cette année, différents modes opératoires sont testés sur onze sites. Selon les cas, la fauche sera tardive, réduite en largeur ou en hauteur (les plantes coupées trop ras repoussent plus vite pour retrouver une hauteur critique), limitée aux dégagements de visibilité ou utilisant différentes techniques (fauche centrifuge ou en bandes). La même approche méthodique avec évaluation de variantes est appliquée à l'entretien des arbres et arbustes, et la gestion de plantes envahissantes, comme la renouée du Japon. « Un suivi scientifique de ces actions permettra d'évaluer les effets des méthodes utilisées. Celles qui seront validées seront intégrées au règlement de la voirie départementale », indique Jérôme Doré, responsable du service gestion de la route au conseil général.
Parmi les postes consommateurs d'énergie sur lesquels il est possible d'agir sans dégrader la sécurité sur la route figurent l'éclairage, la signalisation lumineuse, l'alimentation électrique des infrastructures (péages, centres d'entretien). En effet, à la surprise générale, les actes de vandalisme qui ont privé, en 2007, certaines autoroutes d'éclairage nocturne ont mis en évidence une accidentologie plutôt en baisse sur des routes éteintes. La Direction interdépartementale des routes d'Ile-de-France a engagé cette année l'extinction de la moitié de son réseau. Un schéma directeur de l'éclairage public a déterminé les zones où l'absence d'éclairage n'est pas préjudiciable (hors urbanisation dense, portions de réseau avec succession de tunnels ou concentration importante d'échanges par exemple). « Depuis mai, l'extinction a commencé. Tous les secteurs le nécessitant ont fait l'objet de travaux pour assurer une meilleure lisibilité de la route sans éclairage : réfection de la signalisation horizontale, correction des défauts de la chaussée... Il ne reste plus que quelques sections sur la RN12 ou l'A13 à traiter », détaille Philippe Poirier, chargé de cette opération à la Dirif. Chaque zone éteinte va faire l'objet d'un suivi précis pendant deux ans pour analyser l'accidentologie et les comportements des automobilistes. « Pour l'instant, on ne constate aucun problème », précise Philippe Poirier. En parallèle, le schéma directeur de l'éclairage prévoit également la recherche de technologies innovantes pour les zones qui doivent rester éclairées.
On notera que des produits nouveaux apparaissent sur le marché concernant par exemple la signalisation lumineuse, comme ces panneaux à messages variables à leds basse consommation alimentés par du photovoltaïque proposés par la société SES. Plusieurs éoliennes sont par ailleurs en cours d'installation pour l'alimentation de centres d'entretien et d'intervention routiers. Le futur centre d'entretien et poste de contrôle de l'autoroute blanche à Bonneville, en Haute-Savoie, promet, quant à lui, d'être labellisé basse consommation et chauffé par une chaudière au bois.
Un autre levier important, pour agir cette fois sur les émissions colossales liées au trafic routier, réside dans une optimisation de l'usage des réseaux existants. Différentes solutions sont déjà mises en oeuvre : régulation de la vitesse et des accès, développement de systèmes d'aide à la gestion du trafic (en place à Bordeaux, Toulouse, Strasbourg). « À trafic égal, ces solutions améliorent les conditions de circulation, réduisent les bouchons et l'accidentalité (en nombre et en gravité). Les impacts environnementaux sont largement minorés, même si c'est difficile à mesurer faute de données. À l'avenir, il faudra développer de tels indicateurs », souligne Marie-Reine Bakry, responsable du laboratoire national Zelt au Cete du Sud-Ouest. Dans les engagements verts pris par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, en janvier dernier, le développement du télépéage sans arrêt figure en bonne place : ASF a par exemple chiffré à 125 000 tonnes le gain annuel en CO2 que permettra l'équipement de l'ensemble de ses barrières de péage.
3-PRÉSERVER LA BIODIVERSITÉ
L'un des impacts majeurs des routes est la fragmentation des écosystèmes. Des mesures de plus en plus favorables à la biodiversité et à la continuité écologique se mettent néanmoins en place.
Dans les projets routiers, les impacts sur la biodiversité et les risques de rupture de corridors biologiques sont de plus en plus pris en compte : état initial de la faune et de la flore, évitement des zones remarquables, mesures de compensation des impacts sur la biodiversité « ordinaire » et sur les habitats perturbés, évaluation a posteriori.
Sur l'A39, pour 4 ha de surfaces prélevées par l'autoroute sur des étangs et milieux aquatiques, 19,5 ha ont été consacrés aux compensations. « Lors du chantier, les amphibiens prennent souvent les ornières des camions pour des mares : quand elles s'assèchent, ils meurent. Alors on crée des mares annexes. Le traitement des accotements et des talus a aussi beaucoup évolué, de même que les approches sur les passages à faune. Avant, l'unique objectif, c'était la protection des automobilistes. Maintenant, les ouvrages sont mieux positionnés sur les corridors biologiques, les abords sont traités de manière naturelle... », résume Jean-François Langumier, délégué prospective et développement des territoires du groupe APPR.
De nombreux éléments sont à prendre en compte. Le guide isérois « Concilier routes et environnement » en liste un grand nombre : réaliser des bassins de décantation et des murs antibruit inoffensifs pour la faune, boucher les poteaux des filets anti-éboulements qui sont un piège mortel pour les oiseaux, écureuils et chauve-souris, végétaliser immédiatement les terrains découverts, créer des ponts vivants en prévoyant des aménagements permettant la colonisation de la faune sans nuire à la solidité ou à l'entretien de l'ouvrage, prévoir des passages à pied sec pour la faune... En Bretagne, une opération d'accompagnement des services routiers portée par une association, le Groupe mammalogique breton, a permis la réalisation de 46 aménagements pour le passage des loutres à pied sec sous les ponts.
« Dans une certaine mesure, les nouveaux projets autoroutiers sont des révélateurs de biodiversité : la question est bien traitée grâce à des procédures et des méthodes bien rôdées. Le problème, ce sont les infrastructures construites il y a quarante ou cinquante ans. Les interventions après-coup sont compliquées », témoigne Jean Mesqui, délégué général de l'Asfa (Association des gestionnaires d'autoroutes). De gros programmes sont néanmoins engagés par les sociétés concessionnaires d'autoroutes (lire encadré), ainsi que par de nombreux autres gestionnaires de routes. On notera que l'État a fait semer, au printemps 2010, des espèces végétales mellifères sur plus de 250 km d'accotements de routes nationales pour favoriser la survie des abeilles. Au terme de trois années de suivi, le dispositif pourrait être étendu à l'ensemble du réseau routier national non concédé.
Parfois la route est aussi en elle-même génératrice de biodiversité. Ainsi, à proximité de l'aire de repos de Saint-Nicolas-de-Bourgueil sur l'A85, se trouve un plan d'eau, ancien emprunt utilisé pour la construction de l'autoroute, qui attire maintenant une avifaune très diversifiée. Cofiroute prévoit l'aménagement d'un poste d'observation sur cette aire, ainsi que des animations et des ateliers autour de la découverte de la biodiversité.