Odeur d'oeuf pourri, de chou en décomposition, d'ail ou encore de poisson avarié, telles sont les plaintes récurrentes exprimées par les riverains contre les stations d'épuration. En effet, le traitement des eaux usées ainsi que leur circulation dans les réseaux d'assainissement génèrent systématiquement des odeurs. Plusieurs sources ont été clairement identifiées, notamment le poste de relevage, la déshydratation ou le stockage des boues. En général, l'origine de ces odeurs provient de la décomposition biologique des matières organiques qui sont présentes dans les effluents traités.
NIVEAUX D'ODEURS IMPOSÉS
Conscients de ce problème, les exploitants de ces sites ont commencé, à partir des années 2000, à étudier différentes solutions permettant de mieux maîtriser les nuisances olfactives. De plus, avec l'efficacité énergétique, le traitement des odeurs est devenu l'un des points centraux évalués par les collectivités dans les appels d'offres. La qualité de l'eau épurée étant difficilement analysable par les habitants, la problématique des molécules malodorantes est ainsi le premier critère à être jugé. En outre, l'absence de réglementation européenne ou nationale n'a pas favorisé dans le passé l'émergence et la commercialisation plus rapide de procédés de traitement des odeurs.
Certains arrêtés préfectoraux ou certains appels d'offres imposent désormais des niveaux d'odeurs aux exploitants, soit en utilisant des valeurs reconnues par les experts comme n'étant pas sources de gêne dans l'environnement, soit en transcrivant les réglementations existantes pour les centres de compostage ou les usines d'équarrissage, mais cela reste assez rare.
Pour traiter les odeurs, il existe un grand nombre de solutions préventives ou curatives. Souvent onéreuses, ces technologies ont été vite adoptées par les sites ayant une capacité de traitement importante, mais elles restent difficilement abordables pour les petites stations. Cependant, pour obtenir un traitement efficace, les exploitants doivent avant tout caractériser au mieux l'odeur qui est un mélange complexe hyperdilué de molécules organiques ou minérales. Dans le domaine du traitement des eaux résiduaires, l'odeur est principalement constituée de composés soufrés (hydrogène sulfuré, mercaptans), de produits azotés (ammoniac, amines) et de molécules oxygénées (aldéhydes, cétones, acides gras volatiles). Utilisés depuis de longues années dans de nombreux secteurs comme l'agroalimentaire et les cosmétiques, les nez électroniques équipent désormais de nombreuses stations de traitement des eaux usées. En France, plusieurs dizaines de sites ont choisi des systèmes de type RQ Box d'Alpha Mos ou Odowatch(1) d'Odotech pour caractériser les nuisances olfactives issues de leur process.
EN TEMPS RÉEL ET EN CONTINU
Permettant aux opérateurs de surveiller, d'identifier et de quantifier les émissions odorantes, ces systèmes intègrent des nez électroniques, une station météorologique, un système de communication ainsi qu'une centrale de commande ou un centre de surveillance.
Disposés à la source ou en différents points stratégiques proches, ces nez - qui contiennent des capteurs spécifiques (H2S, NH3...) et non spécifiques - assurent, en temps réel et en continu, le suivi de la concentration de l'odeur. Mais, placés trop près d'une source canalisée comme une cheminée, ces instruments de mesure peuvent rapidement saturer en raison d'une concentration et d'un taux d'humidité trop importants du gaz. Développé par Alpha Mos, le système DnD (pour Dry and Dilute) a ainsi pour but d'éviter ce phénomène en assurant automatiquement le prélèvement, le séchage et la dilution du gaz.
Une fois les mesures transmises à la centrale de commande, un logiciel les agrège aux données météorologiques et topographiques afin de modéliser la dispersion atmosphérique actuelle et prévisionnelle des odeurs. « Selon les conditions atmosphériques, ce modèle peut prévoir la direction et l'intensité des odeurs autour du site émetteur. L'exploitant a ainsi la possibilité de prévenir les nuisances et d'intervenir avant qu'elles ne soient effectives », explique Jean-Pierre Levasseur, ingénieur à la direction technique de Veolia Eau. Pour mieux appréhender l'impact d'un site sur le voisinage, Alpha Mos couple désormais ses modules RQ Box à des modèles de dispersion prédictifs à trois dimensions. « Avec ce modèle 3D qui apporte une réponse pertinente aux sites caractérisés par des topographies plus complexes, le panache odeur calculé a 100 % de corrélation avec les observations des riverains, contre seulement 40 % avec un modèle 2D », se félicite Louis Vivola, responsable du pôle environnement chez Alpha Mos.
SURVEILLANCE SOUS CONTRÔLE
Par ailleurs, la RQ Box comme l'Odowatch dispose d'un mode communication permettant d'accéder aux informations depuis un réseau local ou Internet. Les utilisateurs de la RQ Box Anywhere ont donc la possibilité de surveiller à distance un ou plusieurs sites. « Ce moyen de communication facilite aussi la surveillance des sites industriels sensibles par les agences environnementales qui ont juste à se connecter à l'application RQ Web », précise Louis Vivola. Outre une meilleure représentation du panache d'odeurs, ces solutions peuvent aussi dédouaner les stations d'épuration qui sont parfois injustement montrées du doigt. En effet, grâce à l'enregistrement des panaches d'odeurs, Odowatch détermine si l'odeur provient réellement du site ou si elle est d'origine extérieure. Le dispositif d'Odotech peut même être entraîné à reconnaître les odeurs spécifiques de pollueurs olfactifs voisins.
Afin de contrôler et de maîtriser les émissions d'odeurs, le Cirsee, centre de recherche et développement de Suez Environnement, a développé une offre transversale, baptisée Nose. Elle s'appuie sur deux axes qui combinent une approche technique et une humaine. La première vise à déterminer l'empreinte olfactive mesurée d'une installation ainsi qu'à mettre en place des solutions adaptées pour réduire, neutraliser et détruire ces molécules odorantes. Cette approche technique repose ainsi sur cinq grands piliers : la mesure ou l'analyse, le potentiel de création d'odeurs, la ventilation, le traitement des odeurs et l'utilisation d'agents masquants. « Le potentiel de créations d'odeurs permet de quantifier et d'anticiper les sources de nuisances olfactives, en définissant des niveaux d'odeurs en fonction du type de matière à traiter et du type de traitement associé », explique Pascal Dauthuille, responsable du pôle assainissement et environnement au Cirsee.
UNE NUISANCE SUBJECTIVE
L'approche humaine utilise un outil incontournable dans la recherche sur les odeurs, le nez. En effet, cette approche est indispensable pour évaluer la nuisance olfactive qui est souvent subjective. Capable de mieux détecter certains composés à faible concentration que les capteurs électroniques, l'odorat humain peut en plus décrire l'odeur en y associant un caractère agréable ou désagréable. Afin de caractériser ces émissions, le Cirsee a mis au point une « roue des odeurs » qui associe une odeur reconnue (fumier, moisi, résine de pin...) à un composé chimique. Cette roue sert d'outil au jury de nez, composé de salariés du groupe Suez Environnement, et au jury de riverains, un panel d'habitants vivant à proximité d'installations susceptibles de produire des gênes olfactives. « Une fois sélectionnés, ces citoyens volontaires suivent une formation sensorielle de deux jours qui leur permettra de disposer ensuite d'une même sémantique et d'une même échelle d'intensité afin de bien caractériser les odeurs », détaille Pascal Dauthuille. Ces nez témoins seront chargés de créer des fiches journalières ainsi que des fiches sur des événements odorants exceptionnels.
Nose intègre également une plate-forme qui assure le suivi en temps réel de tous les facteurs influant sur les émissions d'odeurs d'un site. Cet outil inclut notamment la mise en place et le calibrage de nez électroniques ainsi que le développement d'un modèle de dispersion couplé aux données météorologiques. À la différence des autres offres, les nez électroniques sont davantage considérés comme des objets de surveillance que de pilotage, le Cirsee privilégiant avant tout le modèle de calcul du potentiel de création d'odeurs.
Que ce soit les nez électroniques, l'offre Nose ou bien encore l'outil Expoll développé par Airpoll, ces solutions, en ciblant les postes les plus émetteurs, permettent d'améliorer le process des stations d'épuration. Avertis en temps réel, les exploitants peuvent décider, par exemple, de reporter la vidange d'un ouvrage et, plus globalement, de mieux identifier les actions curatives à mettre en place.
Plusieurs traitements curatifs sont disponibles en station, mais il existe également des procédés préventifs à employer en amont pour réduire fortement les nuisances olfactives. Le composé le plus gênant, à cause de son odeur d'oeuf pourri, est le sulfure d'hydrogène. Il apparaît dans les réseaux d'assainissement lorsqu'il n'y a plus d'oxygène du fait de l'action des bactéries. Une meilleure ventilation, l'injection d'oxygène ou de chlorure ferrique peuvent être de bonnes solutions pour lutter contre l'apparition d'odeurs.
UN LARGE ÉVENTAIL DE SOLUTIONS
Depuis quelques années, le Siaap utilise, comme traitement préventif, le procédé Nutriox de Yara France. Injectée au niveau des postes de refoulement, cette solution de sel de nitrate favorise la population de bactéries dénitrifiantes au détriment des bactéries sulfatoréductrices. Les bactéries favorisées bloquent alors le processus de formation de l'H2S en empêchant la production de sulfure. De plus, à la différence des sels ferriques, l'ajout de nitrate de calcium ne colore, ni ne rend toxique les boues. « La mise en place de ce procédé a ainsi permis au Siaap de réduire considérablement la présence d'H2S dans ses réseaux. Seul inconvénient du Nutriox, le coût des réactifs utilisés qui est relativement élevé », précise Fabien Siino, responsable du service environnement au Siaap. Afin d'optimiser l'usage des réactifs, ce dispositif peut inclure un système de dosage automatisé qui prend en compte plusieurs paramètres comme l'activité bactérienne, la production d'H2S, la température ou les dimensions du réseau. Par ailleurs, Yara France a également mis au point l'Econox, solution de permanganate à employer en entrée de station ou au niveau du traitement des boues. Ayant des propriétés oxydantes, le permanganate agit directement au point d'injection avec l'H2S, les mercaptans et les COV.
Pour le traitement des odeurs en station, le procédé Econox fait partie des nombreuses technologies disponibles et applicables à diverses situations. Mais, le choix du type de traitement doit avant tout tenir compte des caractéristiques techniques du site (débit, type de polluant, concentration du gaz...) ainsi que des critères économiques. En France, deux technologies déjà reconnues depuis plusieurs années ont été privilégiées par les responsables de stations d'épuration : les tours de lavage et les biofiltres. Recommandées pour des volumes moyens ou importants d'air, les tours de lavage sont une solution efficace qui consiste à piéger les molécules odorantes par voie chimique, en effectuant un lavage de l'air. En général, les tours comportent plusieurs colonnes avec différentes solutions de réactifs spécifiques à un type de composés. Un traitement acide permet ainsi de solubiliser l'ammoniac et les amines, tandis que les solutions basiques oxydantes réduisent les composés soufrés. Commercialisé par plusieurs sociétés telles qu'Europe Environnement, ce procédé peut gérer de grandes variations de charge, mais nécessite une emprise au sol relativement importante ainsi que la consommation de réactifs. Veolia Eau qui propose cette technologie sous le nom d'Aquilair, étudie ainsi des pistes pour améliorer l'efficacité du traitement chimique afin d'obtenir des tours plus compactes. « Outre la diminution des contraintes de place, le développement de réacteurs plus petits permet de les placer directement près des postes olfactifs. Le remplacement d'un système classique par plusieurs petites unités engendre un gain économique significatif », appuie Jean-Pierre Levasseur.
FILTRATION SUR COQUILLAGE
Véritable alternative pour réduire les coûts d'exploitation, les biofiltres sont de plus en plus demandés et utilisés par les exploitants. Le principe du biofiltre consiste à faire circuler l'air vicié à travers un média (tourbe, copeaux de bois, écorce de pin) où des bactéries dégradent les molécules odorantes. Afin d'améliorer le traitement et réduire la consommation énergétique, les fabricants de ces solutions ont développé de nouveaux types de média, notamment plus poreux. Le Lanodor de Stereau emploie ainsi un matériau granulaire inerte composé de Biozzolane qui est issu de la roche pouzzolane. De son côté, le Siaap a mis en place sur son site Seine-Aval le procédé Monashell conçu par la société irlandaise Bord Na Mona Environnemental et utilisant un support minéral à base de coquillage. Améliorant la circulation, ce support facilite le transfert des molécules gazeuses et le contact avec les micro-organismes. Beaucoup moins chers en fonctionnement que les tours de lavage, ces dispositifs de biofiltration supportent peu les fluctuations importantes de charge d'odeur. Lorsqu'un pic de pollution est présent, un phénomène de saturation peut intervenir en raison du nombre insuffisant de bactéries chargées de la dégradation. « De plus, les bactéries présentes dans le biofiltre dégradent en général un substrat précis, ce qui rend cette solution plus spécifique à un type d'odeur, notamment les composés soufrés », ajoute Pascal Dauthuille.
Pour prendre en charge les molécules peu dégradées comme les COV, le biofiltre peut être couplé avec un filtre à charbon actif. Moins volumineux que les dispositifs déjà présentés, le filtre à charbon actif, qui peut fonctionner seul, est un système assez simple et efficace mais pour de faibles débits. Sensible à l'humidité, il nécessite un assèchement de l'air avant traitement. « En outre, lorsque tous les sites d'adsorption du charbon actif sont saturés, ce procédé peut relarguer des composés plus lourds et nocifs. Ce phénomène requiert de la part de l'exploitant la mise en place d'une maintenance beaucoup plus contraignante », développe Fabien Siino.
Outre ces trois solutions de traitement, les exploitants de stations de dépollution des eaux usées ont recours à divers procédés, ayant parfois des résultats controversés. C'est le cas avec l'usage de produits masquants. Ces derniers augmentent la concentration d'odeur en masquant les nuisances olfactives par une odeur plus agréable sans forcément réduire la concentration des substances des gaz. Cela peut même être dangereux lorsque les molécules qui s'accumulent sont des H2S.
RÉGULATION AUTOMATIQUE
À la différence des agents masquants, le procédé de traitement aérien Norasystem mis au point par le laboratoire Phode permet d'éliminer la pollution olfactive. Diffusé par des dispositifs de brumisation et d'atomisation, le principe actif d'origine végétale accélère le processus de biodégradation et de minéralisation des odeurs. En effet, sous l'effet du Norasystem qui joue le rôle de catalyseur, la molécule polluante se lie plus rapidement avec des molécules présentes dans l'air, ce qui forme un sel inerte, stable et inodore. Mis en place en extérieur, ce procédé peut aussi être utilisé, grâce au système d'atomisation, directement sur des flux canalisés, des cheminées, ou dans des espaces confinés. Par ailleurs, OGP Consulting qui conçoit les solutions de dispersion du Norasystem, s'est rapproché d'Alpha Mos pour proposer un système de supervision, baptisé Noseplug Supervizer. « Recevant des informations des nez électroniques ou de capteurs, cet instrument permet de réguler automatiquement le traitement Norasystem en fonction de la concentration de polluants et de superviser l'efficacité ainsi que le paramétrage à partir de n'importe quel terminal », précise Luc Dessauvages, directeur général d'OGP Consulting.
Dautres technologies, comme le plasma froid ou la photocatalyse, présentent une élimination satisfaisante des molécules odorantes. Produit par un procédé électrochimique, le plasma froid est un mélange gazeux composé d'électrons libres, d'ions, de radicaux libres et de molécules excitées. Ces éléments réagissent directement avec les molécules odorantes de l'air. À l'exception des composés chlorés, cette technique permet de traiter tous les types de molécules avec des rendements compris entre 95 et 99 %. Il reste que, pour vérifier leurs résultats prometteurs, ces technologies récentes vont devoir être testées sur de plus nombreux sites et process différents. Enfin, face à un large panel de solutions, les exploitants des stations tendent à ne pas se limiter à une seule technologie, mais à associer plusieurs procédés pour assurer une élimination de tous les composés odorants. Cependant, l'entretien et la maintenance de ces dispositifs restent primordiaux pour conserver un traitement performant.