Pour garantir la production d'eau potable ou protéger le milieu naturel par l'épuration des eaux usées, il faut pouvoir compter sur un outil industriel sûr, capable de tourner 24 heures sur 24. Cela implique notamment de veiller à bien maîtriser les risques électriques, d'autant que la multitude d'équipements et appareillages électriques que l'on retrouve sur ce type d'usine se situe généralement à proximité de l'eau, ce qui augmente les risques liés à l'électricité pour le personnel. La prévention de ces risques se met en place dès la conception des stations de traitement dans le cadre d'une réglementation désormais bien appliquée.
RISQUES INHÉRENTS À L'INSTALLATION
Pour une station d'épuration, le risque majeur est donc de voir tout ou partie de ses équipements électriques ne plus fonctionner car la qualité du traitement et des rejets en est désormais totalement dépendante. Il existe une série de risques inhérents à l'installation électrique elle-même ; il est possible de se prémunir a minima en respectant les normes électriques, qui permettent par exemple de choisir les sections de câble adaptées ou d'éviter de trop serrer les câbles pour éviter les échauffements. « Pour chaque projet, une étude de base est prévue. La première étape consiste à établir la liste des normes applicables pour la haute ou la basse tension, mais aussi toutes les normes relatives, par exemple, aux machines, à la compatibilité électromagnétique », précise Dominique Ducailar, responsable électricité/automatisme/instrumentation chez Degrémont.
DES MATÉRIAUX SPÉCIFIQUES
DES MATÉRIAUX SPÉCIFIQUES
Les installations électriques des stations d'épuration sont parfois soumises à un environnement particulièrement corrosif, notamment à cause de la présence d'H2S. « Les armoires situées dans les salles où l'atmosphère est corrosive sont donc ventilées et placées en surpression pour limiter les risques, précise Didier Mignardot, responsable protection foudre et surtension chez Schneider Electric. On utilise également des équipements particuliers dont les contacts électriques et électroniques sont couverts par des couches de matériaux de protection spécifiques. » De plus, les stations d'épuration sont souvent situées à proximité de cours d'eau dans lesquels elles rejettent leurs effluents traités, avec alors un risque d'inondation que le changement climatique met de plus en plus en évidence et qui doit être pris en compte pour les installations électriques.
L'architecture de l'installation électrique est également conçue dans le cadre précis de ces réglementations et normes qui s'appliquent aux matériels utilisés ainsi qu'aux schémas de raccordement. Les installations sont d'ailleurs vérifiées, avant la mise sous tension, par un organisme de contrôle extérieur comme l'Apave. « Nous fournissons des logiciels d'aide à l'installation pour garantir que ce que nous concevons est installé selon les règles de l'art, indique Pascal Bonnefoi, responsable des marchés de l'eau chez Schneider Electric. Par ailleurs, nous proposons des solutions types pour les différentes installations rencontrées dans le domaine de l'eau, avec des schémas d'architectures types pour l'automatisme et la distribution électrique en fonction de la taille et de l'organisation des stations. »
Ces schémas permettent de prévoir les redondances nécessaires pour assurer la continuité du fonctionnement des zones sensibles de l'usine. « Les donneurs d'ordre réclament parfois des redondances au niveau des capteurs, pour assurer la sécurité des procédés, ou encore sur les pompes pour assurer la circulation des eaux dans la station, souligne Dominique Ducailar. Certains vont parfois bien au-delà des exigences réglementaires et nous demandent de mettre en place des armoires de départs moteur entièrement débrochables et de prévoir, pour chaque départ moteur, un tiroir qui peut, en cas de panne, être changé en quelques minutes. » Les choix sont le plus souvent d'ordre technico-économique et reposent sur deux approches : doubler les systèmes ou prévoir un remplacement facile et rapide pour réduire au maximum les durées d'intervention. Les choix peuvent également dépendre des habitudes et des orientations des exploitants : certains exigent des commandes locales pour pouvoir effectuer des tests en dehors du système central, d'autres préfèrent gérer l'ensemble du fonctionnement à partir d'un central auquel des terminaux portables sont reliés par un réseau sans fil.
ANTICIPER LES EXTENSIONS
Quels que soient les choix et les niveaux d'exigence des clients, c'est au moment de la conception de l'installation électrique que les stratégies de protection les plus efficaces peuvent être mises en place. « Dès le départ, il faut ainsi tenir compte d'une des caractéristiques principales des stations d'épuration : elles sont souvent amenées à évoluer, soit pour augmenter leur capacité parce que la population augmente, soit pour modifier les procédés afin de répondre à des contraintes réglementaires plus strictes », rappelle Pascal Bonnefoi. Si l'installation électrique n'a pas besoin d'être modifiée en profondeur, il faut pouvoir tenir compte des changements sur le fonctionnement de l'usine et en particulier sur les automatismes. Il est donc important de prévoir, dès la conception, l'espace nécessaire dans les armoires électriques pour ajouter des équipements sans avoir à remanier toute l'installation. « Nous conseillons de prévoir une réserve de 30 %, ce qui est rarement prévu à cause des contraintes de coûts », ajoute-t-il.
RÉDUIRE LES COÛTS D'ADAPTATION
Laisser des emplacements disponibles sur un tableau qui peut être mis hors tension sans couper l'alimentation générale permet d'ajouter des circuits sans interrompre le fonctionnement de la station, ce qui permet de largement réduire les coûts liés aux adaptations de l'installation électrique qui doit suivre les évolutions de la station. « Les stations d'épuration ont une durée de vie assez longue et elles sont destinées à être modernisées tous les cinq à dix ans. Mais l'installation électrique, elle, n'est modifiée en profondeur que tous les vingt ans », indique Pascal Bonnefoi. Les installateurs constatent bien souvent la divergence d'intérêt entre les constructeurs de stations, qui cherchent à réduire au maximum les coûts d'investissement et les exploitants qui seront responsables de la maintenance et du fonctionnement des stations sur le long terme. L'une des principales exigences, pour faciliter la maintenance et en réduire les coûts, est de bien cloisonner les installations électriques. Il doit être possible d'isoler la zone sur laquelle une intervention est nécessaire pour ne pas couper l'alimentation électrique d'autres éléments.
Une fois que l'architecture générale est établie et que les premiers schémas commencent à se dessiner, l'étape suivante consiste à faire la liste des risques encourus pour prévoir les protections nécessaires.
COUPS DE FOUDRE
Le premier risque électrique auquel doit faire face tout site industriel est lié aux perturbations du réseau électrique. Celles-ci peuvent être dues en particulier à la foudre contre laquelle il existe plusieurs modes de protection. Les coups de foudre directs, dits droit au but, génèrent des courants importants sur la terre et dans les bâtiments qu'ils touchent et peuvent, uniquement par échauffement, provoquer des incendies. Ces courants circulent également dans les réseaux électriques et peuvent endommager les équipements électriques et électroniques. Les stations d'épuration sont des cibles favorables à la foudre lorsqu'elles comportent des bâtiments en hauteur, mais aussi, ce qui est moins connu, parce qu'elles réunissent souvent des bâtiments de grande surface, même s'ils sont bas, qui sont tout aussi capables de récupérer des coups de foudre.
ANALYSE DU RISQUE
Les plans d'eau des bassins non couverts sont également une cible, de même que les cours d'eau situés à proximité des stations. La foudre peut aussi, lorsqu'elle atteint le réseau de distribution du fournisseur d'électricité, provoquer des surtensions importantes sur l'alimentation électrique de l'usine. « Le courant de foudre peut provoquer des dégâts, même s'il touche le réseau assez loin de la station, car il peut avoir un impact sur 1,5 km de rayon, précise Benoît Laugel, responsable chez Dehn France. Un impact qui génère une coupure brutale du transformateur, suivie d'un redémarrage brusque peut provoquer des dégâts semblables à un choc direct. » La protection repose donc sur l'installation de paratonnerres et de parafoudres, indispensables pour protéger les bâtiments et les équipements.
Les liaisons électriques entre les bâtiments, qui peuvent être la cible de la foudre mais qui peuvent également favoriser la transmission du courant de foudre, sont souvent enterrées pour limiter les risques.
FIBRES OPTIQUES
« Dans certains cas, ces liaisons peuvent même être réalisées en fibres optiques pour éviter tout risque de transmission », indique Laurent Brisoux, chef de groupe travaux neufs chez Satelec. Une analyse du risque foudre, obligatoire pour les installations classées et qui doit désormais être réalisée par une entreprise spécialisée, permet de mieux définir le matériel de protection à mettre en place. Elle indique entre autres si la station se trouve dans une zone géographique fréquemment atteinte par la foudre et d'identifier les zones vulnérables du site ainsi que le périmètre de protection à mettre en place pour protéger les équipements les plus sensibles. « Même si le risque relevé par l'analyse est faible, il faut raisonner à long terme. Les stations d'épuration sont des installations destinées à durer très longtemps et un seul impact peut avoir des conséquences très importantes, rappelle Benoît Laugel. Il faut donc toujours se protéger contre ce risque. » Les paratonnerres dirigent le courant de foudre vers la terre, mais lorsqu'il est très puissant, il peut remonter dans l'installation électrique. Il est alors indispensable de disposer de parafoudres de type 1, capables d'éloigner ce courant des équipements de la station. Des parafoudres de capacité d'écoulement légèrement inférieure sont aussi installés dans le tableau de distribution de tête pour protéger l'installation des agressions provenant du réseau.
STRATÉGIE GLOBALEDE PROTECTION
Il est possible d'ajouter un troisième niveau de protection à proximité des équipements grâce à des parafoudres de type 3, notamment pour le matériel électronique, particulièrement fragile. « On protège surtout la partie énergie. Mais si la foudre touche un capteur ou un appareil de mesure, la station se met en défaut alors que l'alimentation électrique n'a pas été touchée, souligne Benoît Laugel. Il faut mettre en place une stratégie globale de protection. » Dans les petites stations, les postes énergie et commande sont souvent au même endroit, ce qui facilite la mise en place de la protection antifoudre. Comme pour le reste de l'installation électrique, il est toujours plus coûteux d'ajouter des protections a posteriori. « Si l'on veut mettre en place des parafoudres qui n'avaient pas été prévus au départ, des questions se posent : où les placer, est-il possible d'arrêter la tension pendant leur installation, quels matériels à protéger sont effectivement en place, les parafoudres à ajouter sont-ils compatibles avec les autres composants, liste Benoît Laugel. Le coût d'une installation a posteriori peut être multiplié par cinq par rapport à des protections prévues dès la conception du projet. »
SÉCURISER LES ZONES CRITIQUES
Une fois le risque de foudre pris en compte, l'installation doit être capable de résister aux variations liées au réseau lui-même. « Il faut prendre en considération la distance à laquelle la station se trouve par rapport au poste EDF. Car plus on en est proche, plus les niveaux de court-circuit sont élevés, souligne Dominique Ducailar. Il faut alors prévoir des disjoncteurs capables de résister à ces niveaux pour protéger l'ensemble de l'installation. Il faut également utiliser des câbles adaptés. » Lorsque le raccordement se fait très loin du poste EDF, le risque est de voir se multiplier les microcoupures. Les stations d'épuration comportent en effet de plus en plus d'automates, qui sont très sensibles aux variations de l'alimentation électrique.
Toute coupure ou microcoupure de courant peut provoquer l'arrêt de l'automate dont le fonctionnement doit être ajusté au redémarrage, pour tenir compte des événements qui se sont produits pendant la coupure. Tous les automates ne sont pas capables de redémarrer dans ces conditions et, en attendant que les groupes électrogènes prennent le relais, il est possible d'avoir recours à des onduleurs pour sécuriser l'alimentation de certaines zones critiques d'une station. Ils sont capables d'assurer la continuité de l'alimentation pendant des durées variables, le plus souvent entre une demi-heure et une heure. « On trouve des onduleurs dans les plus grosses stations et plutôt pour sécuriser les salles de contrôle ou certains îlots fonctionnels comportant des automates, précise Pascal Bonnefoi. Il est très rare, pour les stations d'épuration, d'avoir à sécuriser l'ensemble de l'alimentation par des onduleurs. » Certaines stations s'équipent cependant en onduleurs redondants pour garantir le fonctionnement des automatismes, des postes de supervision et des appareillages de mesure. « C'est un point très sensible, notamment parce que de nombreuses stations fonctionnent en 2/8 et qu'il n'y a donc pas forcément quelqu'un sur place pour réagir vite en cas de problème, rappelle Laurent Brisoux. Avec des procédés de plus en plus pointus, il est indis-pensable de fiabiliser l'automatisme. » Des parafoudres placés avant les équipements terminaux les plus fragiles peuvent être équipés de filtres pour « nettoyer » le courant.
En cas de coupure de courant prolongé, les groupes électro-gènes prennent le relais. Ils sont indispensables pour assurer la continuité du fonctionnement de la station, notamment au niveau des bassins de traitement biologique. « Les points clés sont souvent les postes de relèvement à l'entrée des stations, les installations de recirculation des boues, l'éclairage de sécurité et l'automatisme », indique Laurent Brisoux.
APPARITION DE NOUVEAUX RISQUES
La sécurité de l'alimentation électrique est souvent prévue à l'entrée de la station, avec deux lignes placées en boucle, ce qui permet, en cas de coupure sur un côté, de pouvoir basculer sur l'autre. « Il existe une autre possibilité, utilisée en général pour des sites très sensibles comme les hôpitaux, qui consiste à tirer une deuxième ligne en parallèle, issue d'un autre point de raccordement. Dans le domaine de l'eau, ce sont surtout les très grosses stations de pompage qui envisagent ce type de solution », souligne Laurent Brisoux.
Une nouvelle source de risque est apparue ces dernières années, avec le développement des techniques comme l'utilisation du biogaz, du séchage et de l'incinération des boues. Les usines d'épuration sont désormais soumises de manière plus stricte à la réglementation Atex, qui vise à prévenir les risques d'explosion liés à la présence de certains gaz dans l'atmosphère ou de poussières. L'installation électrique doit alors être corrigée pour prendre en compte ces nouveaux risques et éviter tout risque d'échauffement électrique, de court-circuit ou d'étincelle, ce qui nécessite d'utiliser des câbles spéciaux ou de privilégier la basse tension. Si la palette des risques liés à l'électricité est large, il existe de nombreuses stratégies pour s'en prémunir tout en étant capable de suivre l'évolution des techniques de traitement et de gestion utilisées dans les stations d'épuration. De nouveaux risques peuvent apparaître. Ainsi, le développement de l'utilisation du biogaz ou d'autres sources d'énergie produite au sein des stations elles-mêmes nécessite désormais d'envisager une alimentation électrique par îlots avec une attention toute particulière au risque d'instabilité lié à ces nouveaux modes de production.