1-PÉRENNISER SA RESSOURCE
Les périmètres de protection des captages participent, avec les schémas d'alimentation en eau potable, à sécuriser la ressource. De l'abandon à l'interconnexion, leur bonne gestion impose de lourdes décisions.
Instauré en 1964 sur les nouveaux captages et généralisé en 1992, l'arrêté de déclaration d'utilité publique (DUP) est le seul outil réglementaire pour protéger les 33 710 captages d'alimentation en eau potable. Cette procédure sanitaire est en place sur 59,6 % des captages, soit 68,1 % de débit protégé. L'important retard pris, au regard de la protection de l'ensemble des captages en 2010 prévue dans le premier Plan national santé-environnement, impose plusieurs explications. À commencer par la durée de la procédure, trois ans en moyenne, et qui ne peut démarrer qu'après délibération de la collectivité. Le transfert en 2005 de l'instruction des dossiers des ex-directions départementales de l'Agriculture aux ex-directions départementales des Affaires sanitaires, puis aux agences régionales de la santé, a également ralenti la cadence. « Le rythme des instructions s'est stabilisé à 1 000 captages par an », précise Bérengère Ledunois, chargée de la protection de la ressource à la direction générale de la Santé (DGS). Concrètement, l'arrêté de DUP implique la mise en place de prescriptions et de servitudes sur deux périmètres obligatoires (immédiat et rapproché) et de manière facultative sur un périmètre éloigné. Avec, comme objectif formel, la protection de la ressource contre les pollutions ponctuelles et accidentelles.
L'outil peut aussi appuyer la prévention des pollutions diffuses, comme le confirme Noël Cozic, maire de Landudec et président du syndicat des eaux de Kergamet dans le sud Finistère. « En 1990, nous étions confrontés à une telle flambée des taux de nitrates qu'il aurait été plus facile de fermer nos captages et d'aller chercher une autre ressource. Mais nous avons préféré nous battre pour notre petite production et investir, dans le cadre de la DUP, près de 45 000 euros pour notamment acquérir et boiser 20 ha de terres agricoles. » Suspendue à l'avis d'un hydrogéologue agréé, la procédure de DUP peut parfois conduire à l'abandon du captage. Parmi les causes les plus fréquentes, le ministère de la Santé évoque en premier lieu la pollution de l'eau (nitrates, pesticides, arsenic, bactériologie ou turbidité), mais aussi la rationalisation de la ressource, une localisation trop risquée du captage, des ouvrages dégradés ou de trop faibles débits. Entre 1998 et 2008, 4 580 captages d'eau souterraine et 218 captages d'eau de surface ont ainsi été fermés, marquant une tendance à la baisse. Responsable du service environnement-santé à l'ARS Rhône-Alpes, Agnès Alexandre-Bird rapporte son expérience dans la première région de France en nombre de captages (5 821,) affichant 79,9 % des débits protégés. « En préparation de la DUP, nous encourageons les communes à planifier leurs besoins par le biais de schémas directeurs d'alimentation en eau potable et à définir les captages les plus vulnérables. Globalement, elles protègent en priorité les plus gros et gardent les petits en secours. » La situation des petites collectivités alimentées par un captage unique est plus compliquée. « En cas de dépassement des normes sur un paramètre chimique, nous accordons des dérogations temporaires de trois ans sous réserve de travaux et de mesures préventives. Par contre, sur une source superficielle régulièrement turbide - signe d'une grande vulnérabilité -, la fermeture et l'interconnexion peuvent s'imposer devant les coûts de traitement nécessaires », précise la responsable.
Certains traitements, comme la désinfection par chloration, resteront indispensables pour sécuriser la qualité de l'eau destinée à l'alimentation humaine, mais la mise en oeuvre de traitements d'affinage contre les pollutions diffuses n'est plus prioritaire. Les agences de l'eau ne soutiennent d'ailleurs le curatif qu'à la condition d'y associer des actions préventives sur la qualité. « Pendant un siècle, la politique de protection des captages s'est focalisée sur le volet sanitaire, permettant d'atteindre des taux de conformité de l'eau potable proches des 100 %, observe Boris David, responsable du département des risques sanitaires, qualité de la ressource chez Veolia Eau. Pour répondre aux nouveaux enjeux de reconquête de la qualité des milieux, il est indispensable de combiner traitement et prévention, actions sur les périmètres de protection et sur les aires d'alimentation du captage. »
2-POLLUTIONS DIFFUSES : UNE RÉGLEMENTATION À RETARDEMENT
Pour protéger les captages prioritaires, l'État incite les acteurs locaux à entrer dans un dispositif de zones soumises à contraintes environnementales. Mais le recours au réglementaire ne convainc pas forcément. >
« Jusqu'à la dernière loi sur l'eau (dite Lema), il n'y avait que deux options pour améliorer la qualité de l'eau des captages d'alimentation en eau potable, la déclaration d'utilité publique et la contractualisation d'actions volontaires contre les pollutions diffuses. La grande nouveauté avec le dispositif des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE) est de constituer une solution intermédiaire. On dispose d'abord d'un outil de contractualisation dans lequel les partenaires s'engagent volontairement à respecter un cahier des charges. Cet engagement peut devenir réglementaire dans un deuxième temps, en cas d'insuffisance des mesures », souligne Björn Desmet, chef du bureau des ressources naturelles et agriculture à la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Écologie.
Introduit par l'article 21 de la Lema, ce dispositif repose sur une méthodologie précisée par un décret du 14 mai 2007. Première étape, la définition d'un périmètre d'action adapté à la protection contre les pollutions diffuses : l'aire d'alimentation de captage (AAC). Le croisement de deux études (vulnérabilité intrinsèque des sols et diagnostic multipression) permet de réaliser une carte des risques délimitant, à l'intérieur de l'aire, des zones de protection sur lesquelles asseoir son programme d'action. « La définition de l'AAC constitue pour tous la trame générale pour bâtir un programme de prévention efficace », précise le responsable du ministère. Seule différence en mode ZSCE, la démarche est encadrée par deux arrêtés préfectoraux. Avec le risque, si le taux d'adhésion reste trop faible au bout de trois ans, de voir les plans d'action agricoles imposés par le préfet. Chaudement recommandé par le ministère pour la protection des 507 captages Grenelle d'ici à 2012 et plus largement pour les captages prioritaires inscrits dans les Sdage, le choix d'un tel encadrement est, en principe, le résultat d'une concertation entre les services de l'État et les collectivités. Quoique, sur le terrain, les maîtres d'ouvrage concernés semblent plutôt en subir la contrainte. Pour le moment, seuls 70 arrêtés de délimitation ont été signés et, dans la majorité des démarches déjà engagées, la préférence est donnée à la préservation d'une dynamique agricole volontaire. Pour les soutenir, les agences de l'eau sont en première ligne. Elles incitent les collectivités ou syndicats d'eau compétents en eau potable à prendre la maîtrise d'ouvrage et financent les études, l'animation des programmes et les aides agricoles dans des taux variant entre 50 et 80 %.
Avec 238 captages Grenelle, l'Agence de l'eau Seine-Normandie est particulièrement impliquée sur ce chantier. Cette année, 36 millions d'euros sont prévus pour la lutte contre la pollution diffuse et, comme le précise Pascal Maret, directeur de l'eau, des milieux aquatiques et de l'agriculture à l'agence, « c'est une ligne prioritaire. Il n'y aura aucune limite financière si le budget doit être dépassé ».
Sur le bassin, 124 démarches d'AAC ont déjà été lancées, pour seulement cinq arrêtés de délimitation pris. « Nous n'imposons pas l'outil ZSCE. Ce qui compte, c'est que les acteurs agissent », souligne Anne-Louise Guilmain, qui suit le dossier à l'agence. L'expertise publique technique est également au rendez-vous. En 2007, le BRGM a publié un guide pour aider les maîtres d'ouvrage à délimiter ces nouvelles aires d'alimentation sur les captages d'eau souterraine (qui représentent 60 % en volume et 95 % en nombre de l'alimentation en eau potable en France) et le Cemagref planche actuellement sur son équivalent en eaux de surface. Pour Jean-François Vernoux, auteur du guide, Les vraies difficultés de mise en oeuvre concernent les limites de compétence des maîtres d'ouvrage sur les aires les plus étendues et les faiblesses dans l'évaluation scientifique de l'efficacité des actions, paru au Cemagref. Enfin, entre un saupoudrage des contraintes sur l'ensemble de l'aire ou une concentration sur des zones prioritaires, les acteurs locaux ont du mal à mettre le curseur en termes d'acceptabilité économique et sociale des agriculteurs.
3-ACTIONS PRÉVENTIVES : DES CONTRATS DE CONFIANCE
Si les plans d'action préventifs s'imposent sur les aires d'alimentation de captage, les contrats volontaires conclus entre acteurs locaux depuis plus de dix ans ont su anticiper ce besoin d'organisation territoriale.
En septembre 2010, la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau ( FP2E) et le réseau des chambres d'agriculture ( APCA) ont publié un guide de bonnes pratiques partenariales pour protéger les aires d'alimentation de captage d'eau potable contre les pollutions diffuses. Une initiative dans l'air du temps qui rappelle la nécessité d'identifier rapidement les maîtres d'ouvrage de ces opérations complexes, dans l'idéal les collectivités ou syndicats d'eau responsables des captages. Mais d'autres montages sont possibles. Sur la nappe de Champigny (77), l'association Aqui'Brie porte ce type de projets depuis 2001.
Un des sites répertoriés dans le guide APCA-FP2E, le site du Jaunay, à la Roche-sur-Yon, participe au programme EVE (eau Vendée environnement) lancé en 2000 par le syndicat départemental Vendée eau soutenu par la chambre d'agriculture de Vendée sur six bassins versants pollués. Le syndicat gère le volet non agricole et la chambre d'agriculture est passée en 2010 de prestataire à maître d'ouvrage du volet agricole. « Ce qui nous donne plus de poids vis-à-vis des coopératives », précise Stéphane Hanquez, conseiller environnement à la chambre d'agriculture de Vendée. Après une phase de sensibilisation des agriculteurs, le programme a évolué en 2005 vers un suivi individualisé des exploitations, via l'élaboration de diagnostics plan d'actions (DPA) proposés par le technicien chargé des plans de fumure pour adapter la fertilisation et réfléchir à l'évolution des systèmes.
Près de 850 diagnostics ont été réalisés durant l'hiver 2009-2010, soit 87 % des exploitations concernées. « Pour une démarche volontaire, c'est positif. Nous allons maintenant suivre annuellement les plans d'action via le comité de pilotage agricole. » Le financement des contrats EVE reflète ce qui se fait ailleurs en France. Études, animation et plans d'action sont globalement soutenus par les chambres d'agriculture, les conseils généraux et régionaux et par les agences de l'eau qui versent avec l'Europe les aides agricoles directes de la PAC, les mesures agro-environnementales (MAE) depuis 2007.
En Poitou-Charentes, le programme Re-Sources bat son plein. Devant l'alarmante hausse des fermetures de captages pollués aux nitrates, une quinzaine de syndicats d'eau se sont mis autour de la table en 2000 pour préserver la qualité des 124 captages les plus stratégiques pour l'alimentation en eau potable ; 71 ont été classés Grenelle en 2009. Deux échelles de travail sont élaborées. Une cellule de coordination régionale (État, Région, agences de l'eau Loire-Bretagne et Adour-Garonne, conseils généraux et chambre régionale d'agriculture) pilote le réseau des animateurs et donne les grandes orientations du programme. Un comité de pilotage rassemblant acteurs régionaux et locaux est porté par les syndicats sur chaque aire d'alimentation de captage. Les deux volets, agricole et non agricole, y sont suivis. Parfois mutualisés sur plusieurs syndicats, quatorze animateurs travaillent actuellement sur les vingt-trois démarches d'AAC engagées sur cinq ans. Sur ce nombre, dix diagnostics de territoire sont en cours et treize plans d'action volontaires sont déjà opérationnels. « On approche les 25 000 ha en contrat MAE », note Céline Thiebaut, coordinatrice régionale Re-Sources. Et l'efficacité de ce programme de 48 millions d'euros sur 2007-2013 est-elle déjà visible sur la qualité de l'eau ? « Nous réfléchissons plutôt avec l'État (Dreal) à l'élaboration d'indicateurs de la dynamique des projets. »
Dans le Nord-Pas-de-Calais, la chambre d'agriculture multiplie les démarches depuis 1990. Actions contre l'érosion à l'échelle des intercommunalités financées par le conseil général du Pas-de-Calais, zones vulnérables pilotées par un comité de suivi régional, groupe régional d'action contre la pollution phytosanitaire de l'eau (Grappe) et opérations de reconquête de la qualité de l'eau financées par l'agence de l'eau Artois-Picardie intégrant la réalisation de diagnostic multipression (agricoles, artisanales, industrielles et urbaines) portés par les collectivités. Sur le bassin-versant d'Airon-Saint-Vaast qui a bénéficié de ces démarches successives, les pics ponctuels de pesticides ont disparu et les taux de nitrates (48 à 52 mg/l) n'ont pas atteint les 100 mg/l prédits par les hydrogéologues dans les années 1980. Il reste cependant difficile de comparer l'efficacité de ces partenariats à géométrie variable. « Confier la maîtrise d'ouvrage à la collectivité, c'est un bon moyen de les responsabiliser, juge Pascale Nempont, à la chambre d'agriculture. Cela stimule de nouvelles initiatives comme les contrats de ressource lancés par les collectivités urbaines pour soutenir les travaux de protection des captages dans les communes rurales chez qui elles s'alimentent en eau. »
Sur le financement des aides agricoles, il est intéressant de préciser que l'Europe n'autorise que les aides directes de la PAC. Or, du fait d'une contractualisation contraignante et souvent mal adaptée aux particularités locales, les MAE restent globalement sous-employées. Cette situation a parfois compliqué l'intervention des acteurs locaux. Pour protéger ses captages, la ville de Lons-le-Saunier (39) lance en 1992 des conventions agricoles, qui incluent une indemnisation de 260 euros/ha pour la suppression du maïs. « Un petit outil souple, qui favorise le dialogue et la prise de conscience collective », décrit Christine Combe, chargée de mission captage à la mairie. Mais le cadre trop précis des MAE ne permet pas de relayer l'intégralité de ces conventions. De son côté, l'Agence de l'eau Artois-Picardie a lancé, en septembre 2010, avec l'accord de l'Europe, ses propres mesures agro-environnementales sur des zones prioritaires pour l'alimentation en eau potable. Un succès puisque 369 dossiers ont déjà été instruits, soit 9 millions d'euros engagés sur cinq ans - à comparer aux 2,3 millions attribués aux MAE en 2010. « Il faudrait développer des contrats plus audacieux avec les agriculteurs. Il y a des pistes à creuser pour les inciter à participer à la production d'une eau potable de qualité, une denrée alimentaire comme les autres après tout », suggère Pascal Maret, à l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Peut-on espérer qu'en 2013 la réforme de la PAC aille en ce sens ?