« Nos abonnés d'hier sont devenus des clients. Cela implique une orientation différente de notre action : il faut construire avec ces clients une relation de confiance et de proximité », assure Abdeljawouad Benhaddou, directeur des systèmes d'information et du développement clientèle de Lydec, filiale de Suez Environnement qui gère les réseaux d'eau, d'assainissement et d'électricité des villes marocaines de Casablanca et Mohamedia. Confiance et proximité : de plus en plus de services de l'eau en font les priorités de leurs contacts avec leurs clients, et mettent ces derniers au coeur de leur développement. Des outils performants, souvent numériques, forment le troisième point essentiel de cette nouvelle relation.
Les systèmes de comptage sont l'un de ces outils. « Dans tout le Maghreb, les économies d'eau sont de plus en plus à l'ordre du jour. Les collectivités s'équipent donc peu à peu en compteurs. Ainsi, au Maroc les villes sont presque totalement équipées en compteurs individuels. En Algérie, nos ventes croissent chaque année de 10 % depuis cinq à six ans. Nos clients choisissent d'ailleurs généralement des appareils haut de gamme, preuve qu'économiser la ressource est une priorité », témoigne Adria Presas, directeur commercial de Sensus en Europe du Sud et en Afrique.
Ces équipements se généralisent aussi dans la péninsule Arabique. Ainsi à Bahreïn, l'Autorité de l'électricité et de l'eau (EWA) a annoncé en janvier 2011 l'équipement de chaque appartement par un compteur d'eau, afin de lutter contre les consommations excessives. Elle a, par ailleurs, promis la visite d'un inspecteur dans les foyers peu regardants.
Certes, ce discours a des accents coercitifs qui semblent bien éloignés de la relation de confiance évoquée plus haut. Mais, une fois les compteurs installés, l'approche a de fortes chances de changer progressivement. En Arabie Saoudite, « la politique définie par la National Water Company (NWC) et le ministère de l'Eau et de l'Électricité prévoit d'installer un compteur pour chaque client. Suivre les compteurs permet notamment d'établir des ratios de pertes », explique Thierry Pèpe, directeur général pour le compte de Saur de Makkah/Taif City Business Unit, la structure en charge des services eau et assainissement des deux villes saoudiennes de La Mecque et Taïf.
AGENCES ET CENTRES D'APPELS
Dans le même temps, une réelle politique de gestion clientèle se met en place. Ainsi, à Riyad (Arabie Saoudite) où Veolia Eau s'est vu confier un contrat de management en 2008, la situation a déjà fortement évolué depuis cette date. Quatre agences ont été ouvertes dans la ville, alors qu'il n'y en avait aucune jusque-là : seuls les bureaux du ministère de l'Eau et de l'Électricité accueillaient les abonnés souhaitant régler leurs factures. De même, Saur prévoit d'ouvrir trois agences à La Mecque et deux à Taïf.
Là où des agences existaient déjà, le travail porte sur leur modernisation et sur leur meilleure adaptation aux besoins de la population. Lydec a ainsi multiplié par trois le nombre de guichets dans ses agences depuis 1997, et instauré un système électronique de gestion de la file d'attente. Même stratégie à la Régie autonome de distribution d'eau, d'assainissement et d'électricité de Marrakech (Radeema), qui « modernise et élargit son réseau d'agences pour assurer une meilleure qualité d'accueil », explique Hussaine Oudnoun, chef du département développement clientèle. L'objectif est double : implémenter la même charte afin de refléter une identité visuelle uniforme à tous les points de service, et en faire des espaces d'accueil confortables et agréables.
Le souci d'être plus proche des clients pousse aussi à l'innovation. Veolia Eau a créé des agences mobiles dans les villes où elle gère les services de distribution d'eau, d'assainissement et d'électricité, à Tanger et Tétouan au travers de sa filiale Amendis, et à Rabat par sa filiale Redal. Installées dans des minibus, elles vont à la rencontre de la population dans les quartiers éloignés du centre, pour éviter aux consommateurs de se déplacer en agence.
CENTRES D'APPELS ET EFFICACITÉ
Autre outil de proximité avec la clientèle, des centres d'appels se généralisent dans tous les pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, que les gestionnaires des services soient des régies ou des entreprises privées. En Arabie Saoudite, ils sont mis en place dans toutes les villes dont les réseaux d'eau sont sous contrat en gestion déléguée : il y en a déjà un à Djedda (sous contrat avec Suez Environnement), un à Riyad, et un autre est prévu à La Mecque. Le centre d'appels de Riyad a reçu 800 000 appels en 2010 ; 97 % des personnes qui ont appelé se sont dites satisfaites de ce nouveau service. Il permet à toute heure de signaler une fuite ou un incident, mais aussi, pendant les horaires de bureau, de gérer les abonnements, les réclamations ou les questions des clients.
Ces structures se généralisent au Maroc tandis qu'en Algérie, les villes de Constantine et Alger en ont aussi lancé. Des objectifs d'efficacité sont souvent fixés en lien avec les appels reçus. Un exemple avec la Société de l'eau et de l'assainissement d'Alger (Seaal), société publique liée par un contrat de performance avec Lyonnaise des Eaux depuis 2006 : si l'appel concerne une fuite, le diagnostic doit être réalisé en quatre heures ouvrables maximum. La réparation est faite aujourd'hui en moyenne 2,2 jours après l'appel, délai qui était d'environ six jours en 2006.
« À Riyad, l'un des quatre grands indicateurs de performance qui permettent de définir notre éventuel bonus en fin d'année est la qualité de notre service, mesurée, notamment, au temps que l'on met à répondre à un appel de notre clientèle et à y donner suite », détaille Gérard Velter, directeur de la région Moyen-Orient et Golfe pour Veolia Eau. Le délai d'attente au centre d'appels de Riyad est aujourd'hui inférieur à 20 secondes dans 96 % des cas. Toutes les obstructions de réseaux sont traitées en moins de quatre jours.
GESTION INDUSTRIELLE DES FACTURES
La mise en place de ces outils s'accompagne logiquement du développement d'une culture d'entreprise tournée vers le client. À commencer par la création d'une direction clientèle, puis par des formations dispensées aux équipes locales, afin de leur apprendre à maîtriser les nouvelles solutions apportées aux clients. Au Maroc, Veolia Environnement a ouvert un campus où sont organisées de nombreuses formations pour ses employés d'Amendis et de Redal ; 30 à 35 % du budget formation de Redal sont consacrés à la gestion clientèle. Les sessions vont de la gestion des clients difficiles ou qui ont du mal à s'acquitter de leurs factures, à la connaissance de l'offre pour pouvoir renseigner les clients, en passant par l'analyse des factures pour être capable de répondre à toute question. Même principe à Casablanca, où Lydec a fait profiter ses 3 400 collaborateurs de quelque 80 000 heures de formation la première année de sa création, en 1997, puis de 45 000 heures annuellement par la suite - il s'agissait tant de formations techniques que de sessions consacrées à des problématiques liées à la clientèle. Les techniciens chargés de relever les compteurs ont, par exemple, appris à utiliser des assistants personnels (PDA) et des imprimantes Bluetooth pour faire leurs tournées et émettre les reçus de paiement.
Ces appareils sophistiqués se justifient par l'instauration « d'un processus industriel de relève, de facturation et d'encaissement. Au Maroc, la facturation se fait par tranches mensuelles. Entre deux relevés doivent s'écouler exactement trente jours ; or nous lisons chaque jour 50 000 compteurs. Il a donc fallu se doter d'appareils permettant d'augmenter l'efficacité du corps de releveurs et d'encaisseurs », remarque Abdeljawouad Benhaddou. Les réseaux des gros consommateurs sont d'ailleurs déjà équipés d'une télérelève ; peu à peu, cette technologie va se répandre pour des clients de plus en plus petits, à raison de 20 000 pièces par an renouvelées à partir de 2012.
En utilisant ces outils, les gestionnaires cherchent aussi à fiabiliser la relève des compteurs. Les erreurs de relevage ou de facturation sont l'une des principales sources de contestation des clients. Afin de sécuriser cette partie de son activité, la Régie autonome multiservice d'Agadir s'est équipée en 2008 auprès de Sensus d'un banc d'essai pour ses compteurs. Le but premier est sans doute d'améliorer le rendement de ses réseaux, mais la régie souhaite aussi grâce à cette installation répondre aux réclamations des clients, en vérifiant les caractéristiques métrologiques du compteur par une expertise sur le banc. D'après Adria Presas, cette initiative « est en train de faire tâche d'huile : de nombreuses villes, y compris de taille moyenne, font des demandes similaires. Nous avons par exemple installé un banc d'essai en janvier 2011 à Larache, toujours au Maroc ».
De son côté, « la Radeema a mis en place un logiciel de lecture des index des compteurs interfacé avec la solution Wat.erp, ce qui réduit les erreurs », décrit Hussaine Oudnoun. Le progiciel Wat.erp de la Somei (lire Hydroplus, Hors-série Pays arabes de mai 2010, p. 14) « couvre toutes les activités de l'entreprise : gestion clientèle, facturation, recouvrement, relance, relevé des index, gestion des interventions, gestion électronique du courrier, gestion commerciale, suivi des réclamations d'ordre technique et commercial. Ainsi, le client n'a plus à s'adresser à une multitude de services pour suivre les différentes étapes d'une demande de service (abonnement, réclamation, etc.) », poursuit-il.
RÉVOLUTION LOGICIELLE
En effet, les systèmes de télérelève ou de relève électronique des compteurs s'intègrent en général dans un système informatique complètement rénové, qui permet de gérer tous les aspects de la vie de l'entreprise, et notamment la relation clientèle. Lydec a développé ce système en interne : « En 1997, les logiciels clientèle existants ne convenaient pas aux besoins des sociétés multiservices comme la nôtre - nous gérons l'eau, l'assainissement et l'électricité. Nous avons donc créé notre propre outil, avec certains transferts de savoir-faire de Suez Environnement. Aujourd'hui, il permet de gérer tout le cycle clientèle, depuis l'abonnement jusqu'à la résiliation ou le contentieux. Nous sommes en train d'y intégrer un outil d'information géographique. Notre référentiel d'adresses partagées permettra de superposer les données clientèle et les données des réseaux d'eau et d'électricité », détaille Abdeljawouad Benhaddou. En Arabie Saoudite aussi, un logiciel de gestion sera fait sur mesure, par la National Water Company et Accenture. Il intégrera la gestion clientèle, l'information géographique, le cadastre... et « permettra de piloter l'ensemble des services d'eau », selon Thierry Pèpe.
RÈGLEMENTS DÉMATÉRIALISÉS
Ces solutions logicielles très complètes rendent aussi possibles de nouveaux moyens de paiement. À Casablanca, Lydec a intégré son logiciel client dans des espaces services, situés dans des commerces extérieurs à ses agences, en 2004. « La téléboutique accède en temps réel, directement, à nos bases de données. C'est le système d'information de Lydec qui délivre le numéro de transaction, et cette dernière est automatiquement intégrée dans notre suivi clientèle », explique Abdeljawouad Benhaddou. Cela évite d'avoir à effectuer une gestion administrative des dossiers a posteriori. Aujourd'hui, le paiement se fait à 34 % dans des espaces service, à 30 % dans les agences, à 30 % auprès des encaisseurs à domicile, le reste revenant aux autres moyens de paiement électroniques.
Les solutions de paiement varient d'un pays à l'autre, en fonction des cultures locales. Au Maroc, où beaucoup de règlements se font toujours en espèces, les agences mobiles sont l'un des moyens de faciliter les paiements. Et comme l'illustre l'exemple de Lydec, d'autres systèmes se mettent en place progressivement. La Radeema a commencé en 2009 par permettre aux clients de régler leurs factures dans l'agence de leur choix, et non plus forcément dans leur agence de rattachement. Puis, en 2010 a été créé un large réseau de points de vente dans des « espaces services ».
Ce mode de règlement est déjà relativement courant dans le pays et concerne tous les services publics : « C'est un concept d'agences appartenant à un réseau organisé, pour assurer l'encaissement des factures pour les tiers selon les standards des services publics : continuité du service, accueil du client, accessibilité, etc. », décrit Hussaine Oudnoun de la Radeema. La filiale de Veolia Eau à Rabat, Salé et Témara, Redal, a démarré son premier réseau d'espaces services dès 2005, et mis en route son deuxième réseau en novembre 2009. « Actuellement, cela représente près de quatre-vingt-dix points d'encaissement agréés permettant l'encaissement de nos factures sept jours sur sept et de 8 h à 20 h. Ce produit connaît un grand succès et près d'un client sur quatre paie sa facture dans un tel point de vente », précise Anas Ben Jelloun, directeur clientèle et marketing de Redal.
Les opérateurs ne cessent d'innover pour faciliter le paiement : par Internet, aux guichets automatiques des banques, par acompte, par prélèvement automatique ou encore par mobile. Ce dernier service baptisé « MobiCash » a été lancé en août 2010 par Redal en partenariat avec l'opérateur Maroc Telecom. L'usage du portable est beaucoup plus répandu dans la péninsule Arabique, où les paiements en espèces sont rares. Ce qui explique d'ailleurs que cinq agences soient suffisantes sur une ville comme Riyad, de l'avis de Gérard Velter. Il rappelle que « beaucoup de clients utilisent des moyens de paiement dématérialisés pour régler leurs factures. Dans la ville d'Ajman aux Émirats arabes unis, où Veolia Eau est gestionnaire des services d'assainissement, les clients sont prévenus par SMS des factures à payer. Ils peuvent autoriser un virement par le même moyen. Cette technologie devrait être mise en place sous peu à Riyad ». En Arabie Saoudite, où une bonne partie de la population sort et fait des courses le soir, Veolia Eau a aussi passé des accords avec des banques dans des centres commerciaux ouverts tard, afin de s'adapter au rythme de vie local.
Les contacts entre les entreprises et leurs clients sont eux aussi de plus en plus dématérialisés : par téléphone vers le centre d'appels, par fax, par e-mail sur une boîte de messagerie dédiée, ou encore par SMS. Redal propose ainsi une offre baptisée « Redal Info ». Ce service prévoit l'envoi de SMS, par exemple, pour prévenir qu'une facture a été émise, pour alerter en cas de grosse consommation d'eau ou lorsque l'agent chargé de relever le compteur n'a pu y accéder. Début 2012, lorsque le couplage entre le système d'information géographique et la base clientèle sera réalisé, il deviendra possible à Redal de prévenir les clients par SMS lorsqu'une coupure d'eau est prévue à leur domicile.
Dans le même temps, les factures sont de plus en plus informatives : elles deviennent un outil de communication. La nouvelle facture de Lydec intègre des histogrammes, des explications, éventuellement des alertes. Redal insère avec ses factures, livrées sous pli fermé, des prospectus présentant ses nouveaux services. À l'heure du numérique, les modes de contact avec la clientèle doivent être eux aussi réinventés.