Le compte à rebours qui prévoyait, à partir de 2008 et jusqu'à fin 2011, l'abandon progressif par les services de l'État des missions d'ingénierie publique au bénéfice des collectivités rurales, s'est écoulé plus rapidement que prévu. Depuis le début de l'année dernière, les directions des territoires ou DDT (fusion des DDA et DDE), qui ne prenaient déjà plus de commandes de maîtrise d'oeuvre en matière d'eau et d'assainissement, se sont massivement désengagées de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO).
Pour les collectivités rurales qui, pendant longtemps, ont fait appel sans compter aux services de l'État pour les aider à définir et à mener leurs projets, le réveil est difficile. Les collectivités de taille conséquente, disposant de moyens humains et techniques internes, font appel depuis longtemps à l'ingénierie privée et sont bien armées pour le faire. Les petites, elles, se trouvent démunies. « Souvent, le privé ne répond pas lorsqu'il s'agit d'opérations représentant un tout petit volume financier, ou bien trop complexes ou trop longues au regard de la rémunération attendue. Il y a donc, de fait, un système à deux vitesses, avec des laissés-pour-compte », affirme Benoît Mouline, chef de service au Satese du Calvados (14). Et même lorsque l'ingénierie privée répond présent, elle ne remplit pas exactement le même rôle que l'ancienne ingénierie publique, qui allait au-delà d'une simple relation contractuelle et commerciale.
Autre difficulté, la baisse vertigineuse des prix des prestations d'AMO et, surtout, de maîtrise d'oeuvre. Quand les prix sont dérisoires (parfois 1 % du montant du marché !), la qualité est à l'avenant : standardisation des projets, conception à la va-vite, absence aux réunions, pas de surveillance de chantier... « Les gros bureaux d'études sont bien structurés, mais l'effet d'opportunité liée au retrait de l'ingénierie publique a attiré beaucoup de monde. C'est la porte ouverte au grand n'importe quoi, avec des résultats dramatiques en termes de qualité des travaux », met en garde Jacques Dolmazon, président de Canalisateurs de France. Les services de l'État apportaient aussi un appui aux collectivités rurales, pour la préparation et la négociation des contrats de délégation de service public, puis pour leur suivi et leur contrôle (missions de DSP et de GSP). Là aussi, la transition est largement engagée. L'État n'accompagne plus les renouvellements de contrats d'affermage, seule la mission de GSP reste parfois assurée en eau potable, un peu moins en assainissement, pour les contrats en cours, si la DDT dispose de personnel compétent. Là encore, les bureaux d'études privés n'offrent pas des prestations comparables en termes de rapport qualité-prix. Les ingénieurs des DDA, très aguerris, étaient redoutables. « Les contrats se négociaient durement dans leur bureau », confirme un cadre d'un grand délégataire. Aujourd'hui, incapables de s'offrir les services des grands cabinets réputés, les petites collectivités doivent se contenter d'un appui de qualité moindre.
Pour organiser une nouvelle forme d'ingénierie publique, de qualité équivalente, certains départements se mobilisent et créent des structures d'appui aux formes diverses : une société d'économie mixte comme dans le Tarn-et-Garonne (82), l'association Asmeau 71, pour Association pour la mutualisation des moyens en eau en Saône-et-Loire, un syndicat mixte comme dans le Lot (46, lire encadré) ou encore, à l'instar de la Mayenne (53), une agence technique départementale. Quelle que soit la solution trouvée, ces dispositifs ont pour effet pervers de renforcer les inégalités entre collectivités, selon qu'elles sont dans un département où il en existe un ou dans un département sans la volonté politique ou les moyens d'en créer un. D'ailleurs, compte tenu des difficultés financières que connaissent les conseils généraux (finances en baisse, charges en hausse), l'heure est plutôt au désengagement sur l'eau et l'assainissement. Finalement, face à ce panorama plutôt sombre, une seule option paraît pérenne : le regroupement des services d'eau et d'assainissement, permettant de se doter en interne des compétences techniques, administratives et financières nécessaires. On parle bien, ici, d'intercommunalités de gestion. « Les structures qui se constituent, sous forme mutualisée et coopérative, pour proposer un appui technique à leurs membres, sont des embryons prometteurs, susceptibles d'évoluer, à terme, vers de véritables intercommunalités de gestion : je vois cela comme une étape transitoire », remarque Régis Taisne, adjoint au chef de service de l'eau à la FNCCR. « Si le retrait de l'ingénierie publique contribue, au final, à favoriser le regroupement des services, il aura été salutaire. Mais on n'en est pas là », note, de son côté, Sylvain Rotillon, chef de projet à l'Onema. D'autant que l'on n'aura alors réglé que la moitié d'un problème : celui de la perte de qualité de la maîtrise d'ouvrage dans les petites collectivités rurales. « Pour autant, avec deux pauvres, on ne fait pas un riche : le regroupement ne donnera pas forcément les moyens de financer les travaux eux-mêmes, notamment le renouvellement des réseaux, dont le coût est colossal en milieu rural », ajoute Régis Taisne.