1 BIEN DIMENSIONNER SON RÉSEAU
Un réseau de chaleur au bois tiendra ses promesses écologiques, sociales et économiques si le projet est bien conçu au départ. Le linéaire de tuyaux peut rapidement alourdir la facture.
Le bois est en marche dans les collectivités locales. Appréciée pour son bilan carbone (presque) neutre, cette énergie convient bien aux communes rurales, proches de la ressource et pas toujours connectées au réseau de gaz. A fortiori pour alimenter un réseau de chaleur, qui desservira aussi bien des bâtiments collectifs (piscine, gymnase, école, hôpital) que des entreprises ou des logements. L'engouement pour les écoquartiers milite en sa faveur, d'autant que le bois-énergie est créateur d'emplois locaux, non délocalisables. « Pour produire 20 000 tonnes par an de plaquettes forestières, il faut deux tracteurs, un broyeur, une plate-forme et cinq personnes. Cela fait un emploi pour 4 000 tonnes », chiffre Franck Lacroix, directeur général France de Dalkia, premier opérateur en la matière. Chez Cofely (groupe GDF Suez), les dix projets au bois sélectionnés dans le cadre de la deuxième édition de l'appel à projets BCIAT de l'Ademe créeront 180 emplois.
Certains réseaux en profitent pour faire de l'insertion, comme celui de la communauté de communes du Toulois (54), inauguré cet hiver. L'aspect pédagogique est également mis en valeur, comme à Aubenas (07), qui prévoit un circuit de visite pour les scolaires sur sa chaufferie de 8 MW. À Nanterre (92), la chaufferie au bois de l'écoquartier Hoche est couverte d'une toiture végétalisée. Pour certaines collectivités, c'est également l'occasion de revoir la gestion des déchets végétaux de leur service des espaces verts. Ainsi, le contrat de délégation de service public entre Dalkia et le quartier de val de Ranguin, à Cannes (06), prévoit que la chaufferie de 2,1 MW utilisera, en partie, des bois d'élagage de la ville. À Saint-Denis (93), Cofely envisage de recourir au « bois fatal » provenant du patrimoine arboré de la communauté de communes Plaine commune.
Autre motivation qui préside au choix du bois-énergie en réseau de chaleur urbain : la possibilité d'abaisser la TVA à 5,5 % pour les mix énergétiques à plus de 50 % renouvelables. Combiné à la décorrélation du prix des énergies fossiles, cela réduit la facture pour l'usager. Un argument qui porte, auprès des bailleurs sociaux comme 3F, à Savigny-sur-Orge (91) : la chaufferie au bois du quartier des Tilleuls réduira de 20 % les charges de chauffage et d'eau chaude sanitaire. Celle d'Auray (56) vise 18 %. À Maromme (76), la ville propose même aux particuliers résidant à proximité du futur réseau (3 000 éq.log sur 25 km) de s'y raccorder gratuitement pour toute souscription avant le 1er juin 2012. À Saint-Étienne-du-Rouvray (76), la nouvelle chaufferie au bois dessert 365 logements étudiants, autre clientèle à la recherche de charges locatives modérées. Celles d'Allevard (38) et de Vandoeuvre-lès-Nancy (54) se sont équipées d'une toiture photovoltaïque, de quoi réduire les charges de fonctionnement avec les recettes de la vente d'électricité. La conduite de la chaufferie elle-même ne semble pas plus onéreuse. Dans son étude de faisabilité, le réseau de chaleur au bois de Saint-Astier (24), concédé à Idex avec eau chaude sanitaire l'été, prévoyait une économie en dépenses de fonctionnement de 7 % par rapport aux énergies fossiles.
Mais attention : tout n'est pas rose dans le monde des chaufferies au bois. Tout d'abord, comme dans d'autres secteurs, les porteurs de projets ne sont pas à l'abri d'un syndrome Nimby dans le voisinage, d'autant que les panaches de chaufferie à biomasse sont plus consistants que ceux des chaufferies fossiles, la faute à un taux d'humidité supérieur.
Ensuite, les volumes de bois à mobiliser peuvent effrayer certains élus à la recherche d'une totale sécurité d'approvisionnement (lire article suivant). Comme le bois dispose d'un pouvoir calorifique inférieur à celui du gaz ou du fioul, il faut en brûler davantage pour délivrer la même quantité d'énergie, à plus forte raison si le réseau est étendu et dispose de nombreuses sous-stations. À Cergy-Pontoise (95), Dalkia communique le chiffre de 18 000 t/an pour ses deux chaudières de 4 MW. À Bourges (18), Cofely annonce 30 000 t/an pour 2 x 8 MW et 5 000 éq.hab. La filière d'approvisionnement doit donc être irréprochable, surtout si elle est relativement éloignée du lieu de consommation.
Troisième point de vigilance : la technicité de la chaufferie et l'investissement à concéder imposent quasi systématiquement de recourir à une délégation de service public et d'abandonner l'idée d'une exploitation en régie. « Nous aurions choisi la régie si notre réseau de chaleur au bois n'était pas une création ex-nihilo. Après tout, l'eau, l'assainissement, nes cantines fonctionnent en régie. Mais nous sommes là face à un nouveau métier et nous ne maîtrisions pas l'aspect commercialisation », explique Gilbert Lecas, directeur général des services de la ville d'Aubenas (lire encadré p. 38). La proximité d'un incinérateur d'ordures ménagères, lui aussi relié au réseau de chaleur, est ici un plus : l'exploitant de l'UIOM connaît déjà le réseau, et il peut être judicieux de le choisir, lui ou sa filiale, pour la chaufferie.
La ville de Montdidier (80) a fait un choix autre : elle a attribué un contrat de DSP de quatre ans qui prévoit le basculement de l'exploitation en régie à son terme, en 2012, avec formation progressive du personnel. Le choix du bois impose aussi une gestion des cendres, ce qui n'est pas le cas du gaz ou du fioul. À Saint-Denis, Cofely prévoit une valorisation agronomique par cocompostage, ce qui suppose du transport. Enfin, les montages financiers peuvent paraître complexes, eu égard à la diversité des sources de financement possibles. Ce qui exige une étude de faisabilité poussée. Ainsi, une opération candidate au Fonds chaleur de l'Ademe (au titre du BCIAT pour les projets de plus de 1 000 tep/ an, et des aides des délégations régionales pour ceux de 100 à 1 000 tep/ an) se privera d'un complément de financement par des certificats d'économies d'énergie (CEE). Le recours aux CEE est, en effet, possible pour la réalisation d'une chaufferie au bois.
À Nancy, Dalkia a financé 10 % de l'investissement (soit 1,5 million d'euros sur 10,5 millions hors réseau) par ce moyen, en plus des aides du Feder (400 000 euros) du conseil régional (250 000 euros) et du conseil général (152 000 euros). Toutefois, on évitera de faire la fine bouche devant l'ampleur des aides accordées par l'Ademe pour la chaleur renouvelable (1 milliard d'euros sur trois ans). La procédure du Fonds chaleur est certes très encadrée (rendement minimum à respecter, 50 % au moins de plaquettes forestières, plans d'approvisionnement à déposer en préfecture, aide versée sur cinq ans, etc.) et ouverte à des utilisateurs de chaleur autres que les collectivités, mais le jeu en vaut la chandelle. Il faut dire que les objectifs assignés au bois-énergie sont ambitieux (voir tableau ci-contre). Les résultats du troisième appel à projets BCIAT, clos le 1er février, seront connus cet été. Reste à savoir si l'opération sera renouvelée.
2 SÉCURISER SES APPROVISIONNEMENTS
Après le prix, l'obsession des propriétaires de réseaux de chaleur au bois est la garantie d'approvisionnement en combustible. Les exploitants imposent à leurs fournisseurs des clauses de régularité, mais la situation est parfois tendue.
Le cauchemar de tout exploitant de réseau de chaleur au bois est le camion qui n'arrive pas. « Nos 140 installations à biomasse, en France, consomment un million de tonnes de bois par an. Nous avons l'intention de doubler ce chiffre en 2012, puis de le quadrupler en 2020. Mais comme nous investissons pour vingt ans, il faut que nous soyons assurés de la disponibilité de la matière », explique Franck Lacroix, directeur général de Dalkia pour la France. La garantie d'approvisionnement est, en effet, une obsession. « C'est d'autant plus vrai quand les collectivités brassent des volumes importants », souligne Benoît Fraud, directeur général délégué d'ONF Énergie, filiale commune à l'ONF et à la FNcofor (Fédération nationale des communes forestières) chargée de structurer l'approvisionnement depuis les forêts publiques (lire encadré). Pour cela, les grands groupes ont créé leur propre centrale d'achat ( Bois énergie France chez Dalkia, Soven chez Cofely), à charge pour elles de contractualiser avec les propriétaires forestiers, les scieries ou les centres de traitement de déchets triant les bois non traités (palettes, cagettes).
Ces centrales d'achat se constituent un portefeuille de fournisseurs et préparent la matière pour le client, voire pour d'autres plateformes manquant ponctuellement de ressources. Ainsi, Soven fournit ONF Énergie ou ONF Énergie Soven, comme sur la nouvelle chaufferie au bois de Saint-Denis-Stains (93). C'est avec ces entreprises que l'exploitant contractualise, sur des durées le plus souvent comprises entre deux et cinq ans. L'interprofession du bois est également un interlocuteur de choix pour structurer une filière d'approvisionnement local. Dans l'Ardèche, c'est même elle qui a poussé au choix du bois pour le nouveau réseau de chaleur d'Aubenas. La Fibois Drôme-Ardèche a proposé à l'exploitant, Revia, une structure toute faite, Synerbois, qui rassemble trois exploitants forestiers, trois scieurs et un recycleur, comme fournisseur unique. Et local. « Comme la procédure d'appel d'offres exclut toute référence à un critère géographique restrictif, ce type de montage est une bonne solution », apprécie Gilbert Lecas, directeur général des services de la ville, qui utilisera 10 000 tonnes de bois par an « collectés dans un rayon de 60 km ».
Ces regroupements ne sauraient être réservés aux grosses chaufferies. Initiatrice du programme « Mille chaufferies bois pour le milieu rural », la FNCofor a créé une association, France-Forêt, en partenariat avec la forêt privée, « afin de regrouper l'offre publique et privée pour que les exploitants puissent acheter des coupes de taille suffisante », selon son secrétaire général, Alain Lesturgez. Ainsi structurés, ces fournisseurs de bois peuvent prendre en charge d'autres prestations que le simple approvisionnement. Sur la nouvelle chaufferie au bois du quartier de Château-Blanc, à Saint-Étienne-du-Rouvray (76), le fournisseur, Biocombustible SA (qui fédère une cinquantaine de détenteurs de bois), assure également l'évacuation des cendres pendant la durée du contrat de délégation de service public, c'est-à-dire vingt-quatre ans.
Ces centrales d'achat assurent aussi la préparation du combustible, sur des plateformes régionales comme celle de Soven, à Gennevilliers (92), pour l'Île-de-France, ou celle de Dalkia, à Velaine-en-Haye (54) pour la Lorraine. Comme elles reçoivent plusieurs types de bois, au calibrage et au taux d'humidité différents, leur rôle premier est d'homogénéiser la ressource pour livrer un combustible normé, répondant au cahier des charges de l'exploitant. C'est là une deuxième transformation de la matière, après celle qu'opère chaque détenteur de bois, sur le terrain : broyage de rémanents en plaquettes dans les entreprises de travaux forestiers, conditionnement de connexes en scierie, réduction de palettes en copeaux chez les prestataires de traitement des déchets. Contractualiser avec de telles structures a le mérite de diversifier le risque : en cas de difficultés d'écoulement de la part d'un détenteur de bois (tempête en forêt ou panne d'engin, par exemple), d'autres peuvent prendre le relais, même si la chaufferie tolère mal les variations de qualité.
Cette stratégie est encore plus payante dans le cas des centrales hybrides, qui associent d'autres énergies au bois (lire article suivant). Mais pour un exploitant de réseau de chaleur, la principale menace sur la sécurité d'approvisionnement reste l'implantation d'une centrale au bois-énergie à proximité de chez lui. Et si cette centrale a le malheur de fabriquer de l'électricité, à plus forte raison dans le cadre des appels d'offres de la CRE (Commission de régulation de l'énergie), les craintes sont décuplées. « Le bois-énergie à échelle industrielle, type appel à projets BCIAT de l'Ademe ou appel d'offres CRE, repose sur une logique de masse, qui s'oppose à celle des collectivités territoriales, plus raisonnables en taille. Il est très consommateur de ressource, met en péril celle des autres et rend le système très vulnérable : à la moindre fermeture d'usine, la filière s'écroule », analyse Sébastien Huet, à l'Ademe de Haute-Normandie, dont la réalisation de Saint-Étienne-du-Rouvray est cernée par trois projets CRE allant jusqu'à 450 000 tonnes de bois par an. « Dans certaines régions comme la Picardie, la concurrence sur la ressource est forte », témoigne Emmanuel Goy, qui suit l'énergie chez Amorce et a fondé le C3biom (Club des collectivités chaleur biomasse) pour faire entendre la voix des chaufferies au bois municipales. À charge pour les « cellules biomasse » de chaque préfecture de région de repérer les éventuels conflits d'usage et, le cas échéant, de réorienter les projets vers d'autres ressources.Toutefois, quand concurrence il y a, elle s'exerce entre utilisateurs de bois-énergie. Les utilisateurs de bois dans l'industrie (professionnels du meuble, papetiers, panneautiers) s'intéressent à un gisement qui n'est pas celui du bois-énergie. « Il peut y avoir une concurrence sur certains bois ronds, rectilignes et de section moyenne. Mais les usages énergétiques concernent plutôt les rémanents (houppiers, branchages), un gisement qui n'est pas calibré pour l'industrie », rassure Benoît Fraud. Et, en la matière, la France a du bois à revendre. « Nous avons encore des marges de manoeuvre sur les forêts communales, qui peuvent fournir 2 millions de mètres cubes supplémentaires par an avec des houppiers, bois ruinés et autres taillis », indique Pascal Viné, directeur général de l'ONF.
Une concurrence sur le bois-énergie a ceci de bien qu'elle tire les prix vers le haut, ce qui rentabilise des opérations délicates comme la coupe de bois à flanc de montagne. En mars, il fallait compter entre 5 et 12 euros le mètre cube en bois-énergie, contre 30 euros pour le bois d'oeuvre et le bois d'industrie. Revers de la médaille : un cours du bois d'énergie élevé incite à ramasser le moindre branchage au sol, ce que les écologues déconseillent. « Attention à ne pas prélever tout le bois mort des sols forestiers, cela fragilise l'écosystème », insiste Sébastien Genest, spécialiste du sujet chez France Nature Environnement. « Actuellement, seulement 57 % de la croissance biologique de la forêt sont exploités. Mais, dans certaines régions, comme la Bretagne ou le Nord-Pas-de-Calais, l'exploitation du bois s'approche déjà de son seuil maximal », conclut une récente étude du cabinet Alcimed sur la filière.
3 HYBRIDER SA CENTRALE
Solaire, géothermie, huiles alimentaires usagées... Le bois n'est pas toujours le seul à brûler dans la chaudière. Plusieurs réseaux de chaleur jouent la carte d'un mix énergétique diversifié.
Les réseaux de chaleur au bois disposent souvent d'un appoint fossile, gaz ou fioul. En ce sens, leurs chaufferies sont toutes hybrides. Mais on ne parle réellement d'hybridation que lorsque la combustion de plusieurs matières différentes a lieu dans un même brûleur. Or, le plus souvent, chaque forme de combustible a sa chaudière, même si ensuite, la vapeur produite par chacune d'entre elles est injectée indifféremment dans le réseau. En effet, impossible de brûler dans la même chambre un combustible solide et un combustible liquide, comme le mélange bois + huiles alimentaires usagées qu'a choisi Dalkia, à Nancy, et tout récemment Cofely, à Brétigny-sur-Orge (lire encadré). Ou le mélange bois + huile végétale pure que le même Cofely met en place sur l'écoquartier Ginko, à Bordeaux.
Une cocombustion dans une même chambre n'est possible qu'avec des combustibles qui ont le même état physique (solide, liquide ou gazeux) et la même apparence. Ainsi, les centrales à charbon peuvent fonctionner en cocombustion avec du bois, car les plaquettes forestières présentent une granulométrie proche de celle des boulets d'anthracite. « Après tout, c'est le même matériau... à quelques millions d'années près », sourit Thierry Lahaye, directeur régional adjoint de Cofely. En région parisienne, la CPCU teste une cocombustion d'un genre nouveau : charbon + boues de stations d'épuration séchées en boulettes, à raison de 80-20 %. L'entreprise rapporte des essais concluants, mais bute sur un point réglementaire : les boues de step sont classées comme déchets, et s'en servir comme combustible fait donc passer la chaufferie en installation de combustion de déchets, au sens de la nomenclature ICPE, ce qui n'est pas sans conséquences sur les maxima d'émission de polluants à la cheminée.
Certains réseaux de chaleur en développement font le choix d'une autre forme d'hybridation, en associant un combustible renouvelable à un procédé thermodynamique, renouvelable lui aussi. Ainsi, Cofely a prévu un mix bois + solaire thermique sur le nouveau réseau de chaleur du quartier Vidailhan, à Toulouse (voir EM n° 1696). Pour les réseaux de chaleur des grandes villes éloignées des zones forestières, on pensera à réduire la facture du transport de bois en hybridant la chaufferie avec les calories du réseau d'eaux usées. Développée par le groupe Suez sous la marque Degrés bleus, cette solution en vogue est plutôt destinée à des bâtiments individuels (comme la piscine municipale de Levallois-Perret), mais peut très bien être déclinée dans un réseau de chaleur, associée à d'autres sources d'énergie thermique, pour peu que le débit d'eaux usées soit important. « À Clichy, notre étude de faisabilité fait apparaître un potentiel de 3 MW », chiffre Thierry Lahaye. Cofely met en oeuvre cette solution associée à de la géothermie sur nappe sur l'écoquartier Boule-Sainte-Geneviève, à Nanterre (92), qui déploiera 60 000 m2 de bâti.