Les relations que les services d'eau et d'assainissement entretiennent avec leurs usagers prennent diverses formes. C'est lié à la notion « d'usager », qui désigne tout à la fois des abonnés ou clients ayant des attentes en termes de qualité de service et de tarif, et des citoyens ou habitants ayant des attentes complémentaires en termes d'emploi, de social, de transparence et de gouvernance.
De toutes ces dimensions, celle qui connaît les changements les plus visibles est sans doute la relation client. « Désormais, les outils disponibles ouvrent des possibilités nouvelles, rappelle Étienne du Couëdic, directeur du service Consommateurs chez Saur. C'est un vrai enjeu pour nous car, à l'origine, l'eau est un domaine où il n'est pas facile de créer véritablement une relation client. Il n'y a que deux factures par an, elles sont finalement assez peu élevées, l'usager se sent "captif", le produit lui est indispensable, mais lui semble "évident". La satisfaction client n'est donc pas comparable à celle du consommateur qui choisit une offre de téléphonie mobile ou un nouveau portable. »
En effet, la facture reste, en pratique, le principal lien de communication entre le gestionnaire du service d'eau ou d'assainissement et l'abonné. S'il n'y a pas de problème sur la facture, l'abonné a peu d'occasions d'entrer en contact avec le service client. Dans un tel contexte, difficile de parler de nouvelles attentes de la part des usagers. Mais les services, eux, estiment dans leur grande majorité qu'ils doivent évoluer pour s'adapter à une société qui a changé.
La télérelève et la radiorelève sont des technologies qui connaissent aujourd'hui une expansion forte. Elles permettent d'offrir aux abonnés des services associés, comme la possibilité de visualiser l'index des consommations ou de bénéficier d'un système d'alerte fuites. Les collectivités y voient un grand intérêt, notamment pour réduire les conflits puisque la majorité des réclamations auprès du service clientèle est liée à la consommation : erreur d'estimation, fuites... « Plus on est en capacité d'offrir au client une facturation fine et un suivi de sa consommation, plus on évite les risques de contestation. C'est l'un des leviers principaux du développement du télé ou radiorelevé », remarque Louis-Marie Pons, directeur clientèle France chez Veolia Eau.
« La technologie de la télérelève n'est pas adaptée sur le domaine rural, a fortiori à l'échelle d'un grand territoire comme le nôtre, juge de son côté Armelle Lesecq, directrice finances et gestion des abonnés au Syndicat des eaux et de l'assainissement du Bas-Rhin ( SDEA). Elle nécessite des antennes-relais intermédiaires, qui généreraient un surcoût de 30 euros/an/abonné. Le syndicat propose plutôt des compteurs radiorelevés que nos équipes de terrain interrogent depuis l'extérieur des habitations. Le capteur radio enregistre l'historique des consommations jour par jour, et il est relevé une à deux fois par an selon le choix des communes. »
Ces offres naissantes reçoivent encore un accueil modéré. Ainsi, moins de 20 % des clients de Veolia Eau bénéficient de télérelève ou de radiorelève. L'une des explications possibles est que, sauf s'ils l'ont déjà expérimenté, les gens ne se rendent pas compte du coût d'une fuite et de l'intérêt d'une alerte.
FRANC SUCCÈS DES OUTILS DÉMATÉRIALISÉS
Les services sont donc dans une situation où ils doivent créer la demande. Malgré cela, dans les nouveaux contrats, les élus retiennent volontiers des offres comprenant ce type de technologies et leurs services associés, comme c'est le cas à Montauban, où un nouveau contrat avec Veolia Eau démarre (lire p. 7).
« Les abonnés demandent de plus en plus de pouvoir faire leurs démarches en ligne, constate Armelle Lesecq. Notre portail permettait déjà de payer la facture en ligne par carte bleue. Depuis quelques mois, les abonnés peuvent également saisir sur Internet le relevé de leur compteur. » Au premier semestre 2012, le SDEA se dotera d'un nouveau portail abonné, qui permettra en plus la visualisation des factures, le changement des coordonnées personnelles ou bancaires, l'accès à l'historique des consommations, etc.
De son côté, Saur développe de tels systèmes et encourage l'adhésion à la facture électronique. Par exemple, le groupe reverse un euro par adhésion pour financer des projets de restauration de bâtiments dans des communes rurales pauvres, cette année dans le cadre d'une opération avec la Fondation du patrimoine en Limousin. « Pour concilier des outils modernes et une certaine conception du rapport au territoire », précise Étienne du Couëdic.
Tous ces outils en ligne pour s'abonner, s'informer, payer sa facture, sont une tendance de fond du service clientèle, ils se développent un peu partout. Ce ne sont pas des « gadgets », selon Louis-Marie Pons, qui se félicite du fait que « les usagers s'en saisissent pleinement ». Il cite quelques chiffres : une hausse de 40 % des visiteurs d'une année à l'autre sur la plateforme Internet du service client de Veolia Eau, une augmentation de 107 % des abonnés ayant choisi de payer leur facture en ligne en 2011. « On cherche à multiplier, pour nos clients, les modalités d'accès. Veolia Eau va d'ailleurs prochainement généraliser une application smartphone permettant de saisir le relevé de son compteur ou de payer sa facture, un dispositif qui existe déjà dans la région niçoise », ajoute Louis-Marie Pons.
INTERNET VERSUS OFFRE DE PROXIMITÉ
Ces changements intervenus au sein des services clients déshumanisent-ils pour autant le service ? La réponse, en demi-teinte, varie localement. Dans le cadre de nouveaux appels d'offres, certains élus exigent la création de nouveaux lieux d'accueil physique en centre-ville. « Il est vrai que, parfois, ici ou là, on ouvre une agence. Cela va être le cas à Montauban, indique Louis-Marie Pons. Mais la tendance est plutôt à la diminution des accueils physiques, en lien avec le développement des services par téléphone et Internet. À titre d'exemple, quand j'ai commencé ma carrière, il y avait une vingtaine d'agences sur le territoire du Sedif, il n'y en a plus que deux. »
Dans les régies, la tendance n'est pas forcément différente : pas de réduction, mais pas non plus de renforcement des accueils physiques, parfois simplement des relocalisations. C'est le cas à Grenoble où la Régie des eaux a récemment fait d'un petit bureau en centre-ville son lieu d'accueil principal, en lieu et place de celui qui se situait au siège, dans une zone plus excentrée. « L'aménagement a été pensé avec les agents, de façon à ce qu'il soit plus adapté, moins administratif. La localisation convient bien mieux : les gens passent en faisant leurs courses en centre-ville. Et puis le bureau d'à côté est celui de la SEM Gaz Électricité de Grenoble », détaille Éric Grasset, président de la régie des eaux.
En parallèle, apparaît un besoin de maintenir ou renforcer une offre de service de proximité, en particulier en milieu rural. Ainsi, pour le SDEA « le service à l'usager est une des priorités, qui s'inscrit dans une logique de proximité », souligne Armelle Lesecq. Le syndicat a ainsi créé des centres dans différents points du territoire du Bas-Rhin, « le but étant que l'usager n'ait pas à parcourir plus de 50 kilomètres pour s'y rendre ».
Pour tous les services, délégués ou en régie, la difficulté est d'arbitrer entre cette notion de proximité et l'envolée des coûts. Or, si économiquement, dans une grande ville, la création d'une agence se justifie, ce n'est pas nécessairement le cas dans une commune moyenne ou un territoire plus rural.
Pour résoudre ce dilemme des dispositifs d'accueils originaux ont vu le jour. Saur, qui intervient beaucoup en milieu rural, a réfléchi à la manière de maintenir et de développer l'accueil dans des zones où peuvent se cumuler des problèmes de déplacement, de pauvreté, de fracture numérique... « Saur s'est engagé avec les collectivités et au sein de l'Union des Pimms (Points d'information médiation multiservices) avec de grandes entreprises de service public (EDF, GDF, La Poste...) pour développer des modes d'accueil mutualisés où les gens peuvent régler leurs problèmes d'eau, mais aussi d'électricité, d'emploi ou de CAF », détaille Étienne du Couëdic.
RÉUNIR DEUX MONDES : L'ENTREPRISE ET LE SOCIAL
En Normandie, région pilote, les partenariats se multiplient pour Saur : Maison du Pays de Lessay, Manche numérique (projet de visio-relais de service public), Points Info 14 (crées à l'initiative du conseil général du Calvados pour faciliter les démarches administratives en milieu rural) ou encore Pimms de Caen et d'Hérouville-Saint-Clair, qui dépendent de l'association Unir la ville. La création d'un Pimms est également à l'étude sur l'île d'Yeu pour permettre l'ouverture d'un nouveau point d'accueil de proximité. Les agents, formés par le distributeur, peuvent notamment aider les usagers à faire des opérations simples sur une interface, ou à contacter un interlocuteur au centre d'appels. « On développe aussi de la "médiation sortante" à travers ces structures mutualisées. Elles vont à la rencontre de gens que nous avons identifiés comme étant en rupture totale avec nos services et collaborent avec des travailleurs sociaux sur la résolution des problèmes », ajoute Étienne du Couëdic. L'avantage de ces dispositifs : ils sont à cheval entre le monde de l'entreprise et le monde social, qui les cofinancent. « Ces associations partenaires connaissent très bien les mécanismes sociaux et peuvent aussi trouver des solutions directement avec les entreprises. C'est enfin un cadre dans lequel on peut mener des actions d'information et de sensibilisation à la consommation ou promouvoir les gestes économes », juge encore le responsable.
De son côté, Veolia Eau est membre fondateur de l'Union des Pimms. L'entreprise est présente dans 21 Pimms sur 42, situés notamment dans les quartiers difficiles de la région lyonnaise. En juin dernier, une convention signée par Veolia Environnement a élargi l'engagement du groupe envers les Pimms à l'ensemble de ses activités.
Ainsi, la dimension sociale de la relation à l'usager est un sujet qui monte en puissance ces dernières années, en particulier dans le cadre des nouveaux contrats. « Il est clair que l'offre sociale, au sens large, prend une place prépondérante dans les nouveaux marchés. Elle apparaît comme un plus dans le choix d'un délégataire, dans un contexte de forte crise. La tendance est partie des collectivités de taille importante, elle se généralise aujourd'hui », témoigne Étienne du Couëdic.
Traditionnellement, ce que les élus demandaient à un délégataire, c'était que la gestion de l'eau en elle-même (activités d'exploitation principalement) contribue à préserver et à développer l'emploi local. Aujourd'hui, la demande s'élargit. Il s'agit, par exemple, de créer de nouveaux leviers d'insertion. Il en va ainsi de l'intérêt pour toutes les structures d'accompagnement et d'accueil évoquées plus haut, Pimms, associations, qui emploient généralement des agents en réinsertion. « À la sortie, 60 % de ces postes débouchent sur une formation qualifiante ou un emploi, souvent d'ailleurs dans nos entreprises », indique Étienne du Couëdic.
Plus largement encore, l'offre sociale recouvre toute une série d'actions en faveur des usagers. « Cela inclut les aspects prévention, par exemple le partenariat avec des associations comme Unis-Cité, en Île-de-France. Son programme MediaTerre a pour vocation d'aider les familles modestes à adopter des gestes d'économies d'eau. Sans oublier les aspects accompagnement des équipes dédiées - des mairies, des centres communaux d'action sociale (CCAS - ou encore la gestion d'urgence - fonds de solidarité pour le logement (FSL), dispositif d'abandon de créances », confirme Louis-Marie Pons.
TARIFICATION ET DISPOSITIFS AMORTISSEURS
Dans ce cadre, la tarification dite « sociale » tient une place particulière. C'est un thème en vogue qui, du fait des débats agités qu'il suscite, a le défaut de mobiliser l'attention sur une partie seulement des enjeux sociaux autour des services d'eau. « À mon sens, une offre sociale ne peut pas prendre la forme d'un mécanisme automatique, comme par exemple un quota de mètres cubes à prix réduit, prévient Étienne du Couëdic. Elle doit au contraire être ciblée, bénéficier à ceux qui en ont besoin, en s'appuyant sur les dispositifs FSL, mais aussi sur le circuit privilégié des Centres communaux ou intercommunaux d'action sociale (CCAS/CIAS) qui sont les structures connaissant le mieux les dossiers. Il est dommage que le volet social soit souvent réduit à cette question de la tarification dite sociale : il faut l'élargir à la médiation et à la sensibilisation sur le suivi de la consommation et du budget eau. »
Le sujet est brûlant. Le battage médiatique a été colossal quand la ville de Libourne, suivie par quelques collectivités à sa suite, ont mis en place une tranche tarifaire à un prix symbolique. À Libourne, les 15 premiers mètres cubes, considérés comme vitaux, sont ainsi facturés 0,10 euro le mètre cube hors taxes.
Mais en réalité, la plupart des collectivités privilégient plutôt la mise en place de dispositifs « amortisseurs » pour les plus démunis. Au lieu d'agir sur la structure tarifaire, elles aident ainsi directement les personnes en difficulté à acquitter leur facture ou les font bénéficier d'un abandon de créance. Dans le cadre de son nouveau contrat avec Veolia Eau, le Sedif a, par exemple, instauré un système de chèques Eau, pour venir en aide aux usagers connaissant des difficultés d'ordre social ou financier pour le règlement de leur facture d'eau : 1 % des recettes des ventes d'eau est consacré au programme Eau Solidaire et les chèques eau destinés à ces usagers en difficulté sont confiés aux CCAS ou aux CIAS.
Concernant la transparence de l'information sur le service, il y a eu, ces dernières années, un renforcement des contraintes légales : exigences concernant le rapport du maire, du délégataire, indicateurs de performance, données à remonter au système d'information sur les services publics d'eau et d'assainissement (Sispea), commission consultative des services publics locaux...
VERS UNE GOUVERNANCE PARTAGÉE
Cependant, il y a des manières plus ou moins volontaristes et ambitieuses de répondre à ces contraintes. Le SDEA est ainsi particulièrement fier de ses pratiques en matière de gouvernance et de concertation. Le lieu des débats : la commission consultative des services publics locaux. Celle-ci n'est pas qu'un lieu d'information, elle est un lieu de vie et de discussion. Les échanges y sont denses, réguliers. Tous les nouveaux projets y sont débattus et l'avis des membres est largement pris en compte. C'est donc réellement une structure participative. Le SDEA a d'ailleurs été récompensé, notamment pour son excellence en matière de participation, par le Prix français de la qualité et de la performance 2011. On peut citer aussi le comité des usagers de la Régie des eaux de Grenoble . « Mis en place à l'origine de la Régie, dans les années 2000, il a une forte dimension usagers et consommateurs. Il renvoie à l'histoire particulière de ce service : sa privatisation, puis sa remunicipalisation, dont ses membres ont largement été acteurs. On s'y réunit, notamment, pour construire le prix de l'eau de l'année à venir », relate Éric Grasset.
Par ailleurs, quelques nouveaux contrats ont également mis à l'honneur le sujet de la gouvernance et de la participation des usagers. Ainsi, la ville d'Orléans vient d'instaurer avec Lyonnaise des eaux un comité des usagers. Même principe pour Veolia Eau et le Sedif, avec la création de groupes participatifs. Certains devraient s'appuyer, comme cela existe déjà à Marseille, sur des conseils de quartier préexistants. « Parvenir à une réelle participation active des usagers est une ambition réaliste, ce n'est pas un voeu pieux. Même si pour l'instant, cela reste assez localisé », conclut Louis-Marie Pons