L
es temps ont bien changé depuis 1997 et, ce qui est certain, c'est que rejouer Kyoto est impossible. » En vieux routier des négociations climat, Pierre Radanne, président de l'association 4D et conseiller de l'Afrique francophone, voit arriver la Conference of parties (COP) 21 avec une grande appréhension : « Ce qui nous attend en 2015, c'est l'horreur ! » Et de faire le tour de relations internationales bien dégradées : le Moyen-Orient en feu, la Russie et la Chine en plein raidissement nationaliste, le nouveau gouvernement indien de Narendra Modri glissant l'agenda climat tout en bas de la pile des urgences, le Canada, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon qui se défont de leurs engagements internationaux, une Europe affaiblie par une terrible crise économique, un président américain en fin de mandat impuissant devant un Congrès hostile.
Kyoto ne pourra pas se reproduire. Ce protocole qui imposait juridiquement des objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GES) aux États les plus riches de la planète serait donc le dernier accord comportant des engagements contraignants. En théorie, à Doha en décembre 2012, les négociateurs de la Convention climat ont décidé d'une deuxième phase du protocole courant jusqu'en 2020. Mais cet accord, s'il est entériné, n'engagera que l'Union européenne (UE), la Norvège, la Suisse, l'Ukraine, la Biélo russie, le Kazakhstan, le Liechtenstein et Monaco. Soit environ 15 % des émissions mondiales de GES. L'année suivante à Varsovie, la COP 19 procrastine en renvoyant à 2015 et à la COP 21, à Paris, l'échéance d'un réel accord mondial. À un an de ce rendez-vous, bien peu nombreux sont ceux qui annoncent une issue heureuse.
Pour éviter l'échec de Copenhague où les négociateurs sont arrivés sans avoir au préalable énoncé leur proposition nationale de réduction des GES, la Convention climat a décidé d'inverser la méthode. Les États ont jusqu'au printemps 2015 pour mettre sur le bureau de la convention onusienne un objectif volontaire qu'ils déposent au pot de la négociation commune. « Mais il serait illusoire de penser que chacun va transmettre un pourcentage de réduction et une échéance ferme, suppute Benoît Leguet, directeur de recherche climat de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Il s'agira plutôt d'un vaste éventail d'actions telles que des normes, des taxes, des standards industriels, des politiques d'efficacité énergétique. » Un premier aperçu de cette boîte à outils climatique a été donné en septembre dernier à New York (lire encadré ci-contre). La plupart des pays mettent sur la table ce qui semble ne devoir coûter qu'un effort « supportable » qui n'obère pas leur développement économique. Plus de quinze ans après Kyoto, la commu nau té internationale n'est en effet toujours pas sortie de l'impasse du partage du fardeau : les pays développés pointent les émissions fortement en croissance des pays émergents quand ceux-ci signalent la responsabilité historique de ceux qui brûlent de l'énergie fossile depuis le début de la révolution industrielle. « Un débat de plus en plus dépassé depuis que la Chine est devenue le premier émetteur mondial de GES et comble à grande vitesse le fossé qui la sépare des vieilles écono-mies », souligne Benoît Leguet. Pour en sortir, il faudrait donc de la souplesse. Accepter que tel pays ne s'engage que sur « l'intensité énergétique » de son industrie, que tel autre n'ait pour seul objectif que de diminuer, voire stopper la disparition de ses forêts, qu'un dernier impose des normes techniques drastiques sur sa production industrielle. « La question est : où sont les marges de négociations qui vont nous permettre de progresser vers la voie des 2 °C ? » s'interroge Pierre Radanne.
Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a vu très vite que la négociation allait buter dans le même mur qu'il y a cinq ans à Copenhague. D'où son invitation aux chefs d'État à se retrouver à New York pour un Sommet climat, la veille de l'assemblée générale de septembre. Au menu, un « agenda positif ». Sans attendre une prise de position de chaque État, l'ONU met l'accent sur la multitude d'actions, d'initiatives, d'innovations qui permettent déjà d'atténuer les émissions de GES. « À Copenhague, les collectivités étaient certes présentes, revendiquaient leur part de responsabilité, mais n'étaient pas vraiment prises au sérieux, se souvient Ronan Dantec, sénateur Vert et porte-parole climat de l'organisation internationale Cités et gouvernements locaux unis (CGLU). À Paris, nous arrivons avec des plans climat territoriaux bien établis, des politiques locales éprouvées et surtout des résultats. » Les élus locaux brandissent un argument massue : 50 % des émissions proviennent des villes. Les politiques de gestion urbaine, de transports collectifs, d'urbanisme constituent des outils puissants de réduction de l'utilisation des énergies fossiles. La transition énergétique se jouera principalement dans les villes « et notamment dans celles du Sud, qui connaissent actuellement un exode rural massif », poursuit Ronan Dantec. Accord international sur le financement de transports collectifs dans les villes des pays en voie de développement, plan d'urbanisme et d'habitat bioclimatique pour les agglomérations de l'Afrique de l'Ouest, les initiatives se multiplient, souvent sous l'égide du programme Habitat de l'ONU.
Le sommet new-yorkais
a également été l'occasion pour les acteurs économiques de montrer leur volonté de s'engager contre le réchauffement climatique. Le plus spectaculaire est sans conteste l'initiative de la Banque mondiale d'appeler à l'instauration d'un prix de la tonne de carbone émise. 74 États et 1 044 entreprises (dont des sociétés pétrolières chinoises, américaines et européennes !) ont déposé à l'ONU une déclaration sur la tarification du carbone. « En 2014, on compte quelque 40 gouvernements nationaux et plus de 20 instances infranationales qui ont instauré des taxes carbone ou des régimes d'échange de quotas d'émissions », clament les promoteurs de l'opération. Selon la Banque mondiale, ces pays représentent plus de 22 % des émissions mondiales (lire ci-contre). Reste à convaincre les investisseurs de se détourner des industries polluantes. À ce titre, l'initiative de la Fondation Rockefeller a marqué les esprits. La célèbre famille américaine, qui a fait fortune dans le pétrole, a annoncé à New York s'engager dès à présent à réduire de près de 860 millions de dollars ses investissements dans le secteur des énergies fossiles. Les Rockefeller donnent ainsi un coup d'accélérateur au « divest-ment movement », né il y a trois ans aux États-Unis, et qui incite le monde de la finance à divorcer des industries du pétrole, du charbon et du gaz de schiste.
L'ONU semble bien décidée à pousser ces mouvements de fonds pour contraindre les gouvernements à conclure un accord. Que se passera-t-il à Paris ? Un schisme entre les États et leurs villes et industries est peu probable. « Les acteurs de terrain ont besoin d'objectifs nationaux », tempère Pierre Radanne. L'issue reste incertaine. Mais les nœuds de la négociation sont bien identifiés : « Sortir du tête-à-tête entre la Chine et les USA et impliquer les plus pauvres », préconise Pierre Radanne.
« Insuffler un accord Chine-USA-Union européenne, et les autres suivront », corrige Ronan Dantec. « Ne pas se faire trop d'illusions », conseille Benoît Leguet. C'est la principale leçon que Paris doit retenir de Copenhague. l