Faut-il triompher ? Les 43 États du Protocole de Kyoto de l'annexe I concernés par les objectifs de réduction des gaz à effet de serre ont présenté en 2013 une baisse globale de 9,3 % de leurs émissions entre 1990 et 2011, de 14,5 % si l'on prend en compte le secteur de l'agriculture, de la foresterie et des changements d'utilisation des terres. Les résultats présentés par les ex-pays de l'Est de l'Europe sont évidemment encore plus spectaculaires. La disparition des énormes combinats industriels de l'ère soviétique a permis une diminution de 36,8 %, hors agriculture. Des résultats à relativiser puisque, sans surprise, les mauvais élèves ont quitté la classe. Le Canada (+18,7 %), l'Australie (+32,2 %) ou la Nouvelle-Zélande (+22,1 %) ont renoncé à remplir leurs engagements. En préparation de la visite de François Hollande au Canada, l'émissaire climat du président français, Nicolas Hulot, a déclaré, le 7 octobre dernier, que la France « avait besoin » du Canada pour réussir la Conférence de Paris de décembre 2015. Sans grand espoir d'être entendu.
Plus inquiétant, le volume des émissions des pays de l'annexe I ne représente plus que 36 % des émissions mondiales. En 2010, les pays en voie de déve lop pement ont rejeté 40 % de GES de plus que les pays développés. La situation de la Chine est la plus caricaturale. En 1990, la République populaire expérimente sa première zone de développement économique à Shenzhen, près de Hong Kong. Au moment de la signature du protocole, c'est encore un nain économique, mais la croissance est en marche. Brutale. Selon les statistiques nationales chinoises, les émissions de CO2 ont augmenté de 7,5 % par an en moyenne depuis 1997, pour atteindre 7,69 milliards de tonnes en 2010, dernier chiffre officiel. « Officiel, mais faux, car les inventaires chinois ne s'appuient pas sur des méthodes solides et reconnues », souffle-ton au Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) chargé d'effectuer les inventaires français et de consolider les méthodes de mesures et de reporting avec ses homologues internationaux. En réalité, cette même année 2010, la Chine aurait émis plus de 9 milliards de tonnes, surpassant les rejets des États-Unis évalués la même année à 6,87 milliards de tonnes.
La séparation entre pays riches et émergents n'a plus guère de sens. Ce qui va se décider à Paris, c'est donc un accord global impliquant les 195 États membres de l'ONU, quel que soit leur degré de développement. « Au vu de son poids économique, la Chine ne peut plus guère parler au nom des pays les moins avancés », note Pierre Radanne. Lequel estime qu'une des clés de Paris 2015 pourrait être le découplage entre les pays émergents et les États les plus pauvres « dont les intérêts ne sont plus les mêmes », poursuit le négociateur. Le Protocole de Kyoto devra donc être revu de fond en comble. Qu'en sera-t-il de ses outils, le marché carbone et les « mécanismes de flexibilité », les mécanismes de développement propre (MDP) et la mise en œuvre conjointe (MOC) ?
À New York en septembre dernier, l'appel à la fixation d'un prix à la tonne de carbone rejetée reste un événement majeur. Le système de quota d'émissions et d'échange sur un marché spécial semble encore promis à un bel avenir. La vision pessimiste de l'Europe est faussée par les aléas de son système d'échange des émissions (ETS), noyé par l'attribution trop généreuse de quotas aux industriels. Bien que la Commission européenne ait retiré en 2013 plus de 900 millions de tonnes de carbone de ce marché, le prix n'excède pas les 5 euros. « Cette situation ne doit pas nous aveugler, corrige Benoît Leguet, à la CDC Climat. Les industriels ont pris conscience que donner un prix à la tonne de carbone était nécessaire et qu'il fallait l'anticiper. Ils disent vouloir s'adapter à la situation nouvelle, à condition que les règles du jeu soient stables. » Engagés dans des marchés internationaux, les propriétaires des 11 500 sites industriels européens concernés par les quotas d'émissions ont bien conscience que la situation évolue dans le reste du monde. La COP de Paris coïncidera ainsi avec la première étape de l'expérimentation des marchés de quotas installés dans sept régions industrielles de Chine. Le treizième plan quinquennal chinois, qui débutera à ce moment-là, devrait intégrer un marché unique à l'échelle du pays. Aux États-Unis, les oppositions sont bien plus élevées, mais le secteur de l'énergie pourrait bien se voir imposer des quotas d'émissions. En Inde, trois marchés couvrant un millier d'industries sont en construction. La Corée du Sud lancera le sien en 2015.
La situation est beaucoup moins claire pour les MDP et autres MOC. Le MDP « est le label de compensation carbone le plus important dans le monde », note Igor Shishlov, chargé d'études à la CDC. En octobre 2014, plus de 7 500 projets étaient enregistrés auprès de la Convention climat pour 1,5 milliard de tonnes d'équivalents CO 2 évitées. Des plus petits projets de méthanisation ou d'énergies renouvelables pour des villages africains aux grands captages industriels de HFC-23, ils ont prouvé leur efficacité. « En onze ans d'activités, les procédures des MDP ont corrigé leurs défauts pour devenir un moyen solide, structuré et efficace qu'il serait bien dommage d'abandonner », défend Benoît Leguet. Les « unités de réduction » accordées par l'ONU aux promoteurs de ces projets valent désormais moins d'un euro du fait qu'elles sont indexées au très atone marché européen du carbone. Les industriels sont donc moins enclins à utiliser l'outil. Mais les ONG en restent friandes. « Des entreprises, des particuliers, des associations compensent volontairement leurs émissions en s'engageant sur nos projets de développement propre, note Renaud Bettin, en charge des crédits carbone au Geres, le Groupe énergies renouvelables environnement et solidarités. Mais avec notre ONG, la tonne de carbone est à 20 euros et le MDP devient alors un moyen citoyen d'agir contre le réchauffement climatique. »
On pensait également les MOC irrémédiablement disparus. Avec cet outil, un industriel pouvait compenser ses émissions dans un pays de l'annexe I, notamment dans les ex-pays du bloc soviétique. Ils retrouvent aujourd'hui une utilité certaine dans des actions de réduction des émissions des pays développés qui cherchent à financer les tonnes de GES évitées. C'est le cas de Bleu-Blanc-Cœur. Cette association promeut une alimentation des élevages français à base de lin qui réduit les émissions de méthane des animaux.
Les négociateurs de la nouvelle phase qui s'ouvrira à Paris l'an prochain ne partiront donc pas d'une feuille blanche. Les outils du protocole de Kyoto ont fait preuve d'une grande solidité et d'une bonne efficacité. Les diplomates n'ont aucune raison de les écarter de leurs longues nuits de négociations à venir. l