Les spécialistes allemands de la méthanisation ont perdu le sourire. Le nombre d'installations sorties de terre est passé de 335 en 2013 à 94 en 2014. En 2011, année prolifique, 1 270 unités avaient ouvert. Malgré cette tendance à la baisse, ces chiffres laissent dubitatifs. En France, l'Ademe n'a accompagné que 430 dossiers entre 2009 et 2014 et seuls 37 % ont pour le moment été construits ! Certes, il n'est pas question de copier le modèle de nos voisins centré sur des cultures réservées à cet usage. Pour éviter la concurrence entre les emplois énergétiques et alimentaires, la France voit la méthanisation comme un moyen de valoriser des déchets avant de l'envisager comme source de production d'énergies renouve-lables. Il n'empêche. Le gouvernement veut que 1 500 projets de méthaniseurs soient recensés d'ici à 2017. En 2030, le gisement mobilisable de matière brute est estimé par l'Ademe à 130 millions de tonnes (hors culture énergétique). De quoi produire 56 TWh. Mais, impossible d'atteindre ces objectifs sans coup d'accélérateur.
Les collectivités et différentes structures se mettent en ordre de marche pour accompagner les porteurs de projets. Cherchant à verdir le mix du gaz qu'il distribue, GRDF est en première ligne. « Avant même d'aller voir une banque ou de réaliser une étude de faisabilité, souvent on nous appelle. Pour voir », rapporte Catherine Foulonneau, sa directrice chargée de la stratégie et des territoires. L'opérateur s'est doté de trente-quatre interlocuteurs sur le biométhane, plutôt aguerris, répartis dans tout l'Hexagone. Leurs compétences techniques vont bien au-delà de la seule qualité des molécules à injecter dans le réseau. « Porteur de projet, c'est titanesque, estime-t-elle. On se rend vite compte que c'est plus compliqué qu'installer une toiture photovoltaïque car il faut gérer une procédure d'installation classée, un besoin de financement et un plan d'approvisionnement. »
Faute de réseau à proximité ou de demande locale suffisante, toutes les installations n'ont pas vocation à injecter le biométhane qu'elles produisent. Lorsqu'on choisit la cogénération, trouver des consommateurs de chaleur est une priorité. « Pour bénéficier de financements, un projet doit en valoriser au moins 70 % », prévient Gilles Deguet, vice-président de la Région Centre-Val de Loire chargé de l'énergie et du climat. « S'il n'a pas de débouché, peut-être un agriculteur a-t-il intérêt à se tourner vers son voisin qui dispose d'un poulailler et qui a donc à la fois un gisement de matières et un besoin de chauffage. Cela va augmenter la rentabilité de son projet », analyse Carine Pessiot, animatrice méthanisation dans le Morbihan et experte technique nationale pour l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Celles-ci proposent des prédiagnostics aux agriculteurs en s'appuyant sur des logiciels adaptés aux caractéristiques de chaque région. Et d'autres structures qui accompagnent traditionnellement le monde agricole contribuent à faire en sorte que les projets individuels « à la ferme » se transforment en projets collectifs. Les collectivités locales sont, quant à elles, bien placées pour rapprocher l'offre et la demande. Elles sont nombreuses à exploiter des réseaux de chaleur et ont a priori une bonne connaissance du tissu industriel de leur territoire.
De fait, de nombreux projets voient le jour grâce à l'énergie d'élus prêts à prendre leur bâton de pèlerin pour convaincre les uns et les autres. « Ce ne sont pas forcément de grands élus nationaux ou des maires qui y parviennent. Ce sont ceux qui y croient. C'est comme ça que les projets avancent le mieux », constate Catherine Foulonneau. La remarque vaut pour la recherche de débouchés comme pour les plans d'approvisionnement, l'autre grand enjeu des porteurs de projets, sinon le plus grand. Dans un contexte de marché ouvert et volatil, les matières méthanogènes sont disputées et vont souvent au plus offrant, passant d'une installation à l'autre, traversant même les frontières. En Belgique, en Allemagne ou en Italie, les tarifs d'achat réglementé du biogaz sont 15 à 20 % supérieurs et les producteurs ne craignent donc pas de faire monter les enchères. Pour investir ou pour prêter une partie des fonds, la Caisse des dépôts estime que « le gisement de matières du porteur de projet doit être assuré pendant cinq à dix ans pour au moins les deux tiers des intrants », explique Christian Kokocinski, chargé des énergies renouvelables à la direction interrégionale du Sud-Ouest de CDC. Mais signer un contrat long avec un collecteur peut s'avérer coûteux. Choisir des transactions de gré à gré avec des agriculteurs ou des industries agroalimentaires voisines est répandu, mais pas anodin. D'abord, parce que l'exploitant de l'installation s'engage alors à collecter les déchets en permanence, y compris quand son digesteur est à l'arrêt. Ensuite, parce que « même quand un industriel signe un contrat long, on ignore si son activité va durer », constate Carine Pessiot. Conséquence, « des contrats de trois ans nous satisfont ».
Partir sur des données précises permet de prendre conscience assez tôt que, parfois, plusieurs entreprises ont des visées sur les mêmes matières. À travers leurs outils de planification, les collectivités ont donc tout intérêt à identifier les gisements existants. Plusieurs conseils régionaux se sont lancés. En Centre-Val de Loire, la chambre d'agriculture a par exemple réalisé un atlas des produits méthanogènes, intégré ensuite dans le schéma régional climat air énergie (SRCAE). Et dans les Pays de la Loire, GRDF travaille avec la Région pour évaluer si mul ta-nément le potentiel d'injection et les gisements de déchets.
En incorporant plusieurs outils existants, le schéma régional d'aménagement durable du territoire (SRADDT) tel que défini par la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (Notre) devrait généraliser cette approche en associant énergie et déchets. Via son projet Concerto, l'Ademe planche parallèlement à un guide de mise en relation des acteurs du territoire. Cette démarche peut évidemment être reproduite à un échelon plus local, comme Perpignan s'y est attaché à travers son plan climat-énergie territorial. Difficile, néanmoins, pour les collectivités d'utiliser ces outils pour hiérarchiser leurs aides. « Il n'y a pas autant de projets qu'on pourrait le croire. Nous sommes donc très ouverts », reconnaît bien volontiers Gilles Deguet.
Passer à la pratique demande un effort de mise en réseau qui implique l'organisation de rencontres entre porteurs de projets. « Pour sécuriser l'ap pro vision nement, nous aimons bien quand les apporteurs d'intrants sont dans l'opération », prévient Christian Kokocinski. Les agriculteurs adoptent souvent cette logique de territoire. En revanche, « il est rare que les industriels s'impliquent directement, car cela leur demande des investissements longs alors qu'ils ont des logiques à court terme », regrette Armelle Damiano, directrice de l'Association d'initiatives locales pour l'énergie et l'environnement (Aile). À l'image de la ville de Locminé (Morbihan) via la société d'économie mixte Liger, des collectivités peuvent aussi travailler avec des agriculteurs pour valoriser leurs déchets… Avec quelques contraintes supplémentaires : en termes sanitaires puisque dès qu'on mélange des effluents d'élevage et des tontes de pelouse ou des biodéchets, l'hygiénisation est impérative ; et en termes de débouchés pour les digestats dès lors qu'on intègre des boues de station d'épuration dans le méthaniseur.
Même quand la situation est moins complexe, « attention à ne pas négliger le retour au sol, prévient Christian Kokocinski. Il faut avoir des certitudes sur la valorisation des digestats ». Dans les territoires en excédent structurel, comme la Bretagne, impossible par exemple de les valoriser directement. Car « contrairement à ce qu'est dit parfois, le méthaniseur n'est pas une unité de traitement. Ce qui y entre en ressort avec les mêmes valeurs, la quantité d'azote par exemple, rappelle Carine Pessiot. Il faut donc trouver un équilibre agronomique, ce dont peuvent se charger certaines chambres d'agriculture ». l