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ÉNERGIE

[Tribune] Pour sortir du nucléaire, l’urgence d’un véritable débat public

PUBLIÉ LE 8 OCTOBRE 2020
AMANDINE ALBIZZATTI, PDG D’ENERCOOP
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[Tribune] Pour sortir du nucléaire, l’urgence d’un véritable débat public
Aujourd’hui, Amandine Albizzatti, PDG d’Enercoop, explique son point de vue sur la politique énergétique française. Pour elle il est urgent de remettre en question la place du nucléaire dans le mix énergétique et de se demander si les trajectoires prises "ne constituent pas un frein à l’amplification de la transition énergétique et à son appropriation par les citoyens".

“Si je devais utiliser une image pour décrire notre situation, ce serait celle d’un cycliste qui, pour ne pas tomber, ne doit pas s’arrêter de pédaler”. Tels étaient les propos de Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, en juin 2018 devant les députés, décrivant la situation du fournisseur historique et argumentant pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Et alors que la Cour des Comptes a rendu en juillet son rapport dénonçant “les dérives de coûts et de délais considérables” de la filière du nucléaire nouvelle génération (EPR), il est impératif d’interroger les trajectoires prises par les politiques françaises - qui multiplient les réformes consacrant la place prépondérante de l’atome. Urgent de se demander si elles ne constituent pas un frein à l’amplification de la transition énergétique et à son appropriation par les citoyens.

Le nucléaire toujours au cœur de la stratégie énergétique française

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) publiée en avril dernier vise une baisse de la part du nucléaire dans le mix électrique de la France à 50 % d’ici 2035 - contre plus de 70 % aujourd’hui. A contre-courant de ces objectifs, le programme de fermeture des centrales existantes implique de prolonger presque tous les réacteurs français jusqu’à cinquante ans, voire plus. En outre, EDF envisage la construction de six nouveaux EPR, entre 2025 et 2035 et ce en dépit du rapport de la Cour des Comptes qui pour la citer, parle “d’échec opérationnel” ou encore de “dérive des coûts.”

Privés de concertation sur la place du nucléaire pour les années futures, les citoyens sont également impactés en tant que consommateurs. En effet, le projet de réforme de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), qui structure le paysage des fournisseurs d’électricité, pose également problème. Ce mécanisme permet aux fournisseurs concurrents d’EDF - sauf ceux qui s’y refusent par engagement éthique - de se procurer chaque année un volume déterminé d’électricité d’origine nucléaire à prix bas. L’administration française prépare une réforme du dispositif, autour d’un contenu assez symptomatique du “dogme” qui entoure l’atome aujourd’hui en France : il est proposé d’assimiler le nucléaire à un bien commun ou "essential facility", et d’associer les consommateurs à son financement en les faisant contribuer, par le biais de leurs fournisseurs d’électricité, non plus seulement aux bénéfices mais également aux coûts et aux risques du parc nucléaire existant - y compris le réacteur “nouvelle génération” de Flamanville tant décrié. Compte-tenu du caractère inflationniste de la filière et de ses risques inhérents, une telle réforme, de surcroît en l’absence de débat public, nous semble inacceptable.

Un recul sur la question du nucléaire dans le futur label “offres vertes”

La plupart des fournisseurs d’électricité qui se sourcent à l’énergie nucléaire par le biais de l’Arenh peuvent, sans que le consommateur en soit réellement informé, proposer des offres d’électricité 100 % renouvelable en acquérant des garanties d’origine - document certifiant qu’un mégawattheure d’électricité renouvelable a été produit quelque part en France ou en Europe. Cette manœuvre revient à passer un coup de peinture verte sur l’électricité nucléaire.

Partant du constat que le marché des offres vertes manque cruellement de transparence, l’Ademe, le Ministère de la Transition écologique et la Commission de régulation de l’énergie coordonnent actuellement des travaux visant la mise en place d’un label “offres vertes” afin de mieux éclairer les consommateurs. Si ces travaux ont permis d’en finir avec l’idée qu’une offre verte peut s’asseoir sur des garanties d’origine et devraient exiger qu’une offre labellisée verte s’appuie sur des achats réels d’approvisionnement vert, la condition initialement sur la table de non recours à l’Arenh par les fournisseurs semble finalement abandonnée. Ce recul, opéré sous la pression de la filière nucléaire qui s’est alarmée des risques de “stigmatisation du nucléaire” dans le label, pourrait maintenir une ambiguïté dommageable sur cette source d’énergie présentée trop souvent encore comme neutre voire bénéfique dans son impact à l’environnement.

Ensemble, faisons le choix d’une sortie du nucléaire pour une transition énergétique 100% renouvelable

La question de l’avenir du nucléaire en regard de la transition écologique est très peu débattue avec la société civile et les citoyens. Sans doute une occasion manquée : elle ne faisait pas partie du mandat des 150 participants à la Convention Citoyenne pour le Climat. Les investissements sont pourtant colossaux, sans parler des risques qui ne font que croître. Cette mise en débat est absolument nécessaire car la transition énergétique et écologique est l’affaire de tous. Elle suppose un changement structurant de modèle, avec des modes de consommation et de production plus décentralisés, impliquant les citoyens et les acteurs des territoires ; or, cette vision s’inscrit dans un mouvement opposé à celui de l’industrie nucléaire. De plus, les investissements massifs mobilisés aujourd’hui pour sauver coûte que coûte la filière, en dépit de ses graves dérives inflationnistes, sont autant de moyens qui ne sont pas alloués au financement des énergies renouvelables, ni aux indispensables mesures pour l’efficacité et la sobriété énergétique.

C’est donc bien de notre avenir collectif qu’il est ici question. Il est urgent d’amener plus de transparence sur les choix industriels, leurs coûts, leurs risques, et leurs liens avec les consommateurs pour que ceux-ci ne se retrouvent pas enfermés dans un système qu’ils ne veulent plus cautionner. Il y a tant à faire et il est urgent d’agir. La transition énergétique est un formidable gisement de création d’emplois locaux et de valeur économique. C’est aussi un levier de création de liens sociaux. Or, c’est de cela que la société a besoin avant tout, retrouver le sens du bien commun, une économie plus humaine, des circuits-courts, du faireensemble, un pouvoir d’agir de chacun à son échelle. Les modèles sont déjà là, ils sont crédibles, éprouvés et enthousiasment déjà des centaines de milliers de citoyens. Élargissons le cercle. Cessons de nourrir l’ancien système. Allons ensemble au bout du débat et ne remettons pas une pièce dans la machine.
Amandine Albizzatti, PDG d’Enercoop
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