La situation des métaux non ferreux n'est pas brillante. Et le ralentissement de l'activité industrielle commence à entamer sérieusement la confiance des professionnels de la récupération et du négoce. Après le rebond post-crise de 2010-2011, le marché s'est grippé fin 2012. Au troisième trimestre, les volumes commercialisés par la profession ont chuté de 4 %, note Federec dans son enquête conjoncturelle trimestrielle. Et le niveau d'activité du premier trimestre 2013 démontre que le marché n'est pas mieux orienté, bien au contraire. « Nous avons une déperdition de volumes évidente, affirme Patrick Kornberg, président de Federec Métaux non ferreux et directeur commercial de Derichebourg. L'industrie tourne au ralenti, il y a moins de chutes de production, moins de déchets collectés et tous les acteurs se battent sur le peu de déchets disponibles, ce qui conduit à une dépréciation des marges pour tout un chacun. Certaines matières prennent aussi la direction de la Belgique ou de l'Allemagne, où les contraintes de paiement des marchandises ne sont pas les mêmes que les nôtres. » Au final, certains professionnels commencent à avoir du mal à honorer les contrats qu'ils ont engagés. De plus, au ralentissement économique, sont venus se greffer d'autres obstacles comme la frilosité des banques, les risques en matière de solvabilité des clients et les problèmes sur l'assurance-crédit, qui pénalisent aussi l'activité.
Le vrai problème du marché repose, en effet, sur la partie amont. « Il y a de gros soucis d'approvisionnement en marchandises sur des métaux comme le cuivre, le zinc ou le plomb, qui se raréfient, affirme Raphaël Baptista, directeur de l'entreprise de courtage en métaux Baptista, cela devient très compliqué de trouver des non-ferreux en France, les achats au détail chez les récupérateurs ont chuté de 50 % par rapport à la même époque en 2012. » « Il y a très peu de business, confirme Franck Simon, directeur commercial des non-ferreux chez Bartin Recycling, et les entreprises ont peu de visibilité, elles ne se lancent pas dans des achats en pensant qu'elles pourront se refaire dans quelque temps. » Une situation qui ne devrait pas évoluer avant l'été.
Disparition des marges
En fin d'année 2012, un beau produit comme du Millberry neuf pouvait se négocier avec une décote de 200 euros par rapport au LME, « aujourd'hui, on achète presque flat LME, les décotes ont considérablement diminué, indique Raphaël Baptista, donc, malgré une légère baisse des cours, les prix n'évoluent pas. » Même constat sur le plomb : « Il y a 5 ans nous payions les batteries à 20 % du cours LME, aujourd'hui on est à 42 %, le prix des déchets a décroché par rapport au cours du plomb. »
Contrairement aux volumes à recycler, qui font défaut, les cours des métaux ne sont pas en cause dans la situation actuelle. Les prix des non-ferreux sont même plutôt bons par rapport à la période 20082010 et ont peu évolué depuis fin 2010. « Les marchés des matières premières ne sont pas mauvais, le cours du cuivre est bon pour notre profession, la demande est là », confirme Patrick Kornberg. Même avec des niveaux de cours en légère baisse de 150 à 200 euros, les valeurs affichées au LME restent élevées, sauf peut-être sur l'aluminium, retombé en mars sous les 1 900 dollars/tonne, niveau qu'il n'avait plus atteint depuis début novembre 2012. Voire sur le nickel à 16 500 dollars/tonne, qui fait notamment face à une baisse de la demande sur les produits en inox. Sans une chute brutale des cours du LME, les prix des métaux de récupération ne sont pas près de baisser, compte tenu du manque de marchandises.
Les stocks des entreprises ont diminué. Certaines usines veulent travailler sans stocks, avance Raphaël Baptista, « c'est le cas pour certains industriels de l'inox qui opèrent avec 100 tonnes de stocks là où ils en avaient 1 000 auparavant ». D'autres n'ont plus les moyens de conserver des volumes ou n'ont plus envie de se risquer à la spéculation. Du côté des stocks du LME, les niveaux n'ont guère évolué depuis un an, exception faite du cuivre, dont les stocks ont doublé sur la période, « ce qui pourrait être un indice de surcapacité en cuivre, avance Thierry Desarbres, fondateur de la plateforme Internet de négoce Recycling Transaction (1,7 million de tonnes de déchets proposées, 400 contacts quotidiens), mais il faut rester prudent sur les analyses ». En effet, les professionnels du secteur, des récupérateurs aux recycleurs en passant par les négociants accordent aujourd'hui de moins en moins d'intérêt aux stocks de Londres. « Auparavant, on pouvait se fier aux stocks du LME, mais les niveaux ne veulent plus dire grand-chose », résume Raphaël Baptista. « Il y a beaucoup de spéculation sur le LME, en particulier sur le cuivre, confirme Franck Simon, certaines entreprises produisent même du cuivre pour le mettre dans les stocks LME, ce n'est pas de la production réelle. »
Ralentissement économique
Le ralentissement de la production industrielle en France, mais aussi en Europe et sur certains marchés émergents, contribue à limiter les volumes de métaux de récupération. Prenons le cas de l'aluminium, certainement l'un des métaux les plus fragiles en ce moment. En France et en Europe, les crises cumulées de l'industrie automobile et du secteur de la construction et de la rénovation entraînent de grosses chutes de production de déchets. Les usines ne tournent pas, il y a donc moins de chutes de fabrication, tournures d'alu et autres chutes de fonderie. « Un seul secteur tire encore son épingle du jeu, c'est l'aéronautique, pointe Franck Simon, les récupérateurs qui ont des contrats en cours avec les sous-traitants aéronautiques s'en sortent mieux. »
En aval de la filière aluminium, la situation n'est guère meilleure. « En Europe, malgré des prix corrects et une demande stable, les affineurs d'aluminium souffrent, car le prix des déchets est trop élevé par rapport aux coûts de production des lingots et leur prix de vente », explique Patrick Kronberg. Et Franck Simon de tirer la sonnette d'alarme : « On est en train d'étouffer nos clients, car les prix de nos produits restent élevés en raison du manque de matières », malgré un tassement des cours sous les 1 900 dollars. Les affineurs ont besoin d'aluminium de seconde fusion pour travailler, mais sont aussi plus exigeants sur la qualité des produits, note Raphaël Baptista : « Auparavant, nous arrivions à vendre des alu à faible teneur, c'est beaucoup moins le cas aujourd'hui. » Cependant, les affineurs sont toujours aux achats sur des carters mêlés et des alu mêlés, même si, contrairement à ce qu'on peut observer sur des métaux comme le cuivre, le zinc ou le plomb pour lesquels la demande en usine reste soutenue, les clients de l'aluminium ne se bousculent pas pour rentrer de la marchandise coûte que coûte. Quant au cuivre, le marché semble résister tant bien que mal au marasme ambiant. « Il y a un bon équilibre entre l'offre et la demande sur les cathodes de cuivre, mais l'activité est pénalisée par la pénurie de déchets en amont, affirme Patrick Kornberg, il y a moins de démolitions, moins de collectes, moins de fabrication. » La demande reste bonne en aval, tant sur le cuivre que sur l'aluminium et les batteries au plomb, « nos clients n'ont pas de difficultés pour vendre leurs produits, renchérit ce dernier, je ne dis pas qu'ils vendent au bon prix, mais les débouchés existent. »
L'atonie obser vée sur le marché français n'est pas sauvée par un surcroît d'activité à l'export. « Les marchés émergents ne sont pas là aujourd'hui sur le marché de la récupération, nous ne sommes pas portés par la Chine ou l'Inde dans le recyclage, indique Patrick Kornberg, ils restent acheteurs mais avec des prix que ne sont pas suffisamment compétitifs pour le marché européen. » De plus, les Chinois sont de plus en plus exigeants sur les qualités des produits qu'ils achètent et beaucoup les soupçonnent d'avoir des stocks, notamment de cathodes de cuivre. « Les Asiatiques n'arrivent pas à rafler beaucoup de lots en Europe en ce moment, confirme Raphaël Baptista, compte tenu des besoins européens en marchandises. Inde, Pakistan et Chine sont moins présents qu'il y a un an. » « Selon des informations qui me viennent de contacts chinois, la situation là-bas n'est pas non plus mirobolante, souligne Thierry Desarbres, certains ferrailleurs ne vendent rien depuis plusieurs mois. »
Des moments difficiles
Le manque de confiance dans l'avenir de l'industrie française commence à entamer sérieusement les perspectives de certains professionnels, comme Thierry Desarbres : « À moyen terme, le métier des non-ferreux apparaît limité en France, disparition des industries, moins de déchets, pas de mines, seuls les grands comme Veolia, Sita, Derichebourg ou GDE peuvent s'en sortir. » « Nous vivons des moments difficiles, les bons professionnels devraient s'en sortir par l'optimisation des qualités, la formation, le savoir-faire », avance Patrick Kornberg, qui avoue une grande inquiétude face à la situation actuelle, si elle perdure, et les répercussions à long terme sur la profession. « Je pense que beaucoup d'entreprises risquent de ne pas se remettre de la période que nous traversons », corrobore Franck Simon. Celles qui ont engagé de gros investissements pourraient souffrir de la guerre des prix et du manque de matières. « Sans être ultra pessimiste, l'avenir n'apparaît pas très brillant, on peut penser que 2013 ne sera pas une bonne année, mais les marchés peuvent aussi changer du jour au lendemain », pointe Patrick Kornberg, qui dit espérer une amélioration pour le second semestre avec la reprise annoncée de l'économie américaine, à condition que les orientations prises par la réserve fédérale (FED) soient favorables.
Prudence et patience
Les trois dernières années ont été plutôt bénéfiques pour la récupération et le recyclage, au moins jusqu'à la mi-2012. Il convient de rester prudent et patient, pour ceux qui le peuvent. « Notre métier est en train de changer, il prend un virage à 180° compte tenu des lois environnementales et des nouvelles filières comme les DEEE », rappelle le président de Federec Métaux non-ferreux. Mais la question est de savoir comment l'industrie française et européenne par extension, s'adaptera dans les prochaines années aux évolutions du marché mondial. Si le déplacement du centre de gravité de nombreux pans de l'économie industrielle vers l'Asie est une réalité toujours plus présente, la demande en provenance d'Europe n'a pas pour autant disparu. Et en l'absence de gisements miniers de matières premières, le recyclage reste bien la source prioritaire. Encore faut-il trouver des déchets à récupérer.