Sur les 700 000 tonnes de textiles mises sur le marché en France chaque année, seules 128 000 d'entre elles sont collectées puis triées. Ensuite, uniquement 29,6 % sont recyclées. Plus de 7 % sont incinérées et plus de 60 % sont réutilisées après avoir été, en grande partie, exportées vers les pays en voie de développement. « Non seulement, nos vêtements viennent de l'étranger mais, en plus, nous les exportons tels quels quand ils sont usagés. À aucun moment nous n'apportons de valeur ajoutée », regrette Jean-Paul Dupuy, ingénieur spécialiste des TLC à l'Ademe. Un très mauvais calcul, en effet. Il existait bien dans le passé des effilocheurs qui transformaient nos textiles en chiffons. Mais ils ont presque tous disparu. Trouver de nouveaux débouchés à l'effilochage, au broyage et aux traitements chimiques relancerait en France la filière du recyclage textile. Pourtant, la production scientifique en la matière est bien faible. Selon Marc Honoré, directeur du Ceti (Centre européen des textiles innovants) et du pôle de compétitivité UP-Tex, « en 2010, seulement quarante-cinq brevets ayant trait au recyclage textile ont été déposés en Europe. Il y en avait moins de quinze en 2000. C'est bien trop peu ». Un avis que partage Damien Bosschaert : « Cela ne bouge pas vite ». Pour ce chef de projet à Yamana, une ONG experte en responsabilités sociétales, le constat à propos du recyclage des textiles est que les progrès sont faibles. Ceci en sachant que Yamana intervient sur les enjeux du développement durable dans le textile et s'implique dans plusieurs projets de R&D collaboratifs. Parmi eux, Ecocharges est axé sur le transfert des matériaux textiles vers la plasturgie ; Cryogénie est consacré, quant à lui, aux méthodes de séparation de produits textiles basées sur leur comportement différentiel thermique.
Anne Perwuelz, enseignant chercheur à l'Ensait (Ecole nationale supérieure des arts et industries textiles), est pourtant persuadée que si peu de laboratoires scientifiques planchent sur ce sujet, « les grandes entreprises internationales travaillent dessus en secret. Surtout celles qui fabriquent des fibres synthétiques ». Une conviction qu'elle s'est forgée en fréquentant les couloirs de nombreux congrès scientifiques sur les textiles. Mais comme de toute façon, la plupart d'entre elles sont indiennes et chinoises, quels que soient les résultats de leur recherche, les industriels français du recyclage auront du mal à en profiter. Il leur incombe donc d'inventer eux-mêmes de nouvelles solutions techniques et voies de valorisation. L'écocontribution que versent les metteurs en marché des textiles a été établie dans cet objectif et plusieurs projets commencent à émerger en France.
Des écomatériaux d'isolation variés
Le premier isolant phonique et thermique fabriqué à partir de fibres de coton extraites de vieux jeans, Métisse, fabriqué par Le Relais, a maintenant plusieurs concurrents. Commercialisés en vrac, en rouleau ou en panneau, ils sont fabriqués en France par La Toison dorée, l'entreprise Buitex, Framimex et la Blanchisserie industrielle du centre. À partir de vêtements usagés et de textiles de récupération, cette dernière réalise des panneaux rigides isolants, thermiques et phoniques, pour le secteur du BTP. Baptisé « IsoKtex », son panneau multicouches est constitué de fibres recyclées nappées avec l'ajout de fibres techniques qui lient l'ensemble en un feutre. L'Isonat Celflex de Buitex ne contient que 15 % de textiles recyclés. Les fibres de cellulose issues du recyclage constituent le reste. Son isolant en vrac à souffler est fabriqué avec des fibres de textiles recyclés, en majorité en coton, auxquelles a été appliqué un traitement ignifuge. Disponible en vrac, en rouleau ou en panneau, le Gisol Coton de La Toison dorée contient 70 % de coton issu de textiles recyclés. Autre recycleur à se lancer dans la fabrication d'écomatériaux d'isolation, la société Framimex développe un écran acoustique sous forme de béton léger contenant des chiquettes en textiles recyclés. Conçu dans le cadre du projet Viacover, ce produit allie les caractéristiques du textile et celles du béton. Il pourrait s'utiliser sous forme d'écran le long de voies ferrées et routières. De son côté, Le Relais n'est pas en reste. Maintenant que son usine de Billy-Berclau, spécialisée dans la production du Métisse, atteint sa vitesse de croisière, il peut donner un coup d'accélérateur à ses autres projets. Mais si Pierre Duponchel, son dirigeant, aime à parler des créations b.a-ba imaginées par le designer Cyrille Candas pour redonner un bel aspect aux vieux mobiliers, il reste très discret sur ses autres travaux de recherche. Le Végémétisse, un substrat de culture à base de textiles recyclés (de composition proche du Métisse) pour murs et toitures végétalisés, est bien à l'étude pour remplacer la terre et ainsi limiter le poids des structures. Mais, annoncés il y a trois ans, le projet de sous-couches acoustiques pour plancher et paillage d'horticulture et celui de production de flocs à introduire dans les peintures ou les plastiques n'ont pas abouti à des solutions exploitables. Les équipes du Relais ne baissent pas les bras pour autant. D'autant que se monte à Lille « La Vallée du recyclage textile ». Elle réunit les ressources de l'Ensait, de l'IFTH, du Ceti, du pôle UP-Tex et du centre technique belge Centexbel, en vue de créer une filière sur le recyclage des textiles. Aucun projet n'est encore programmé officiellement, mais la volonté est là. En Rhône-Alpes, Technymat, le projet lancé en juillet 2013 par le pôle de compétitivité Techtera et porté par la société BIC, est plus avancé. Il réunit différents partenaires de la chaîne industrielle du textile, depuis la production jusqu'au recycleur, en passant par la collecte et le tri. Et il vise la création de matériaux plastiques innovants conçus à partir de rebus textiles, celle de produits d'isolation phonique et thermique, et celle de la fabrication de fibres synthétiques issus du recyclage. Technymat, colabélisé avec le pôle Plastipolis, table également sur l'écoconception des textiles. Tout prête à penser qu'il y aurait une concurrence entre le Nord-Pas-de-Calais et Rhône-Alpes. C'est à qui relèvera le défide créer une filière capable de traiter de gros volumes de textiles usagés.
En amont, un tri manuel très poussé de la matière
Pourtant, l'avenir du recyclage des textiles usagers en France ne saurait se cantonner aux seuls succès d'initiatives visant à des développements économiques locaux. Car les innovations dans ce domaine émergent un peu partout dans le pays.
Dans les Vosges, Ventron Confection a déposé un brevet sur une solution qui, à partir du linge hôtelier et hospitalier usé, sépare le coton du polyester en mélange et en fait des fibres en mélange 50/50 coton et polyester. Cette entreprise de services vient d'investir 12 millions d'euros dans un projet baptisé « Fibers » et qui devrait générer la création d'une quarantaine d'emplois. Elle compte traiter trente tonnes de textiles usés par jour grâce à un système breveté de décantation, dont elle tirera vingt tonnes de polyester. Pour trier le linge en fin de vie, Ventron Confection a même créé une association d'insertion, Adli, qui emploiera à terme une cinquantaine de personnes.
Dans le Tarn (81), le leader français du fil cardé, Les Filatures du parc, travaille sur le prédémaillage de pulls en fin de vie, le défibrage et le filage d'un nouveau fil qui part ensuite au tricotage ou au tissage. « Nous récupérons les six compositions de fil qui représentent 80 % du marché mondial, à savoir la laine, l'acrylique, le coton ainsi que les mélanges d'acrylique et de laine à 50/50 et 50/30 », précise Fabrice Lodetti, gérant de l'entreprise. Dans La Loire (42), Mapea, le spécialiste du compoundage, met au point des mélanges de trois polymères différents issus de textiles usagés ne contenant que du polypropylène, du polyamide et du polyesther. Dans le cadre du projet Valtex, visant à démanteler des véhicules Renault ainsi que des voitures de la SNCF pour en extirper des matériaux d'origine textile, des essais d'effilochage ont été réalisés sur des machines du constructeur Laroche. L'objectif est d'obtenir des supports filtrant pour le secteur automobile. Mais toutes ces solutions de recyclage de textiles en fin de vie nécessitent une approche fibre par fibre qui requiert en amont un tri manuel très poussé de la matière. Tant qu'il n'existe pas de systèmes de tri automatique très fin, avec une reconnaissance et une séparation des textiles suivant leur couleur et leur composition selon qu'ils sont constitués d'une seule matière ou d'un mélange de fibres bien identifiés, les textiles en fin de vie ne pourront pas être recyclés sur de gros volumes. Ils continueront à être exportés ou à partir dans les sites d'incinération de Sita et Veolia, où ils serviront à produire de l'électricité. Une solution qui apporte bien peu de valeur ajoutée à leur valorisation.