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a volonté de l'Union européenne est de développer les matières recyclées. Et pourtant, concernant la réutilisation des déchets, il y a un vide juridique. » En quelques mots, Gaëtan Remond, directeur associé du cabinet-conseil Inddigo, résume l'enjeu de la sortie du statut de déchet (SSD). Partant du principe que ce manque est une source d'insécurité, et donc un frein à l'emploi de matières recyclées, l'Union européenne a prévu, dans la directive-cadre sur les déchets de 2008, la possibilité d'une sortie du statut de déchet. Le « non-déchet » qui en résulte doit impérativement avoir une utilisation identifiée, un marché potentiel, respecter les réglementations relatives aux produits ainsi que les spécifications industrielles d'usage. « De plus, son changement de statut ne doit pas créer d'effets indésirables sur l'environnement ou la santé humaine », indique le ministère de l'Écologie (Medde).
Trois niveaux de SSD sont prévus : européen, national ou local. Des règlements européens fixent déjà les conditions de la sortie du statut de déchet pour les ferrailles (depuis 2011), le verre (depuis 2013) et les débris de cuivre (depuis cette année). Des études sont en cours pour d'autres déchets.
En France, après la transposition du texte en 2012, les premiers dossiers ont été déposés au Medde en 2013. Ce sont les broyats d'emballages de bois qui en ont bénéficié en premier, avec la parution d'un arrêté le 29 juillet 2014. « C'est la première SSD nationale en Europe », précise Gaëtan Remond, qui a assisté, au sein d'Inddigo, le consortium d'industriels dans la préparation du dossier soumis au Medde. Cette procédure va-t-elle doper le recyclage de ces broyats ? Rien n'est moins sûr. En fait, la parution du texte est liée à une évolution de la rubrique ICPE sur les installations de combustion, en réponse à la directive IED qui revoit la définition de la biomasse. En résumé, pour certaines catégories de biomasse, les chaufferies basculent dans une rubrique 2910-B qui nécessite une procédure d'enre gistrement, sauf si elles incinèrent de la biomasse sortie du statut de déchet et non des déchets. Il s'agit donc, dans ce cas précis, de valorisation énergétique. À noter que sur 800 000 tonnes par an de broyats de bois triés et calibrés, 80 % brûlent déjà en chaufferies et le reste finit en panneaux de bois. « Il fallait pérenniser une filière existante. Les papetiers étaient d'ailleurs opposés à cette SSD », précise Gaëtan Remond.
En septembre dernier, le texte concernant la SSD des granulats à des fins d'utilisation routière était en consultation, ce qui laisse augurer une publication au JO début 2015. La valorisation matière est ici indéniable. « Il faut développer les utilisations des granulats recyclés sur les chantiers et cette SSD devrait apporter une nouvelle dynamique, espère Cyril Fraissinet, directeur général adjoint de Sita France. Cela étant, les évolutions réglementaires en cours viennent surtout clarifier des standards que les opérateurs appliquaient déjà. »Vu le nombre de dossiers en attente au Medde, la procédure semble avoir suscité un certain engouement de la part des industriels. Une dizaine de demandes sur le désulfogypse, les résidus de distillation d'huiles usagées, les réfractaires usagés, les chiffons d'essuyage coupés et autres solvants régénérés reposent sur les bureaux du ministère… Chez Federec, la branche textile s'interroge sur la pertinence d'une SSD pour la friperie, les acteurs de la déconstruction automobile font de même pour les pièces de réutilisation et les pneus. Il y en a sans doute d'autres…
Si ce changement de statut est si important, comment faisaient les industriels pour vendre les matières recyclées avant ? « Au-delà du statut juridique, la matière recyclée est une marchandise de qualité, parfois considérée comme un produit de base », explique Anne-Claire Beucher, responsable qualité, sécurité et environnement chez Federec. C'était notamment le cas pour les déchets très recherchés : les ferrailles, le cuivre… « Ce sont les flux pour lesquels la SSD était la plus facile », indique l'avocat Laurent Grinfogel, par ailleurs membre de la Commission consultative sur le statut de déchet. « Il existait déjà un vrai marché pour les ferrailles et les débris de cuivre sous statut de déchet. Ces SSD vont dans le sens de la non-discrimination entre matières premières et secondaires », juge Muriel Olivier, directrice des relations institutionnelles de Veolia, activités recyclage et valorisation des déchets. En résumé, ce sont les matériaux sans problème de recyclage qui disposent d'une procédure de SSD.
Par ailleurs, avant même la SSD, la jurisprudence et la doctrine administrative considéraient qu'un déchet pouvait sortir implicitement du statut de déchet : « Le compost avec la norme NFU 44051, issu de déchets organiques, est l'équivalent d'une SSD nationale. De même pour l'incorporation de PET recyclé dans les bouteilles : avec les critères stricts édictés par l'ANSM, la matière recyclée est autorisée à être valorisée en tant que produit », juge Cyril Fraissinet. Enfin, SSD ou pas, « nous devons produire des matériaux répondant aux cahiers des charges de nos clients », rappelle Muriel Olivier.
Tant qu'il existait des filières industrielles fortes pour organiser le recyclage de certains sous-produits, elles prenaient en charge les flux. La disparition de ces activités a entraîné celles de débouchés pour les sous-produits, qui deviennent des déchets. Cette absence de demande, associée à des divergences entre pays sur la finalité de la SSD, est sans doute une des raisons pour lesquelles les SSD européennes lancées sur les plastiques, les papiers-cartons, le compost, les pneus, les granulats ou les huiles usagées sont bloquées. Et a incité la Commission européenne, en juin 2014, à dresser un bilan des SSD existantes avant d'aller plus loin.
« Pour recycler plus, il faut un peu plus de souplesse dans la législation sur les déchets, et la SSD est l'une des modalités permettant de faciliter le recyclage », argumente Laurent Grinfogel. Et de citer le modèle allemand, où les industriels ont élaboré des cahiers des charges précis, avec des processus de certification et de normalisation qui garantissent la qualité des matières recyclées, à l'instar de produits. « Aujourd'hui, entre le recyclage de déchets, la SSD, la SSD implicite, plusieurs modèles coexistent. Il n'est pas toujours aisé de distinguer un produit d'un déchet. Les professionnels doivent régler entre eux, contractuellement, lors de l'achat, ces questions de statut de déchet ou de produit », estime l'avocat. l