Les temps changent. On a longtemps expliqué aux agriculteurs qu'avec un peu de temps et de motivation, ils pouvaient diversifier leur activité en devenant des producteurs de biogaz. Bon nombre d'entre eux se sont lancés avec succès et la méthanisation à la ferme a encore de beaux jours devant elle. Ces opérations basiques ont toutefois tendance à se faire voler la vedette par les projets de territoire. Comme les collectivités, les agriculteurs ont compris qu'ils avaient intérêt à mobiliser d'autres déchets que les leurs pour rentabiliser leurs investissements. Il n'existe pas de taille critique idéale pour la méthanisation. En 2013, Solagro, Aile et Erep ont constaté l'absence de cor-rélation entre le volume de déchets traités (de 7 000 à 140 000 tonnes dans cette étude) et la rentabilité de l'unité… Ce qui montre au passage que les tarifs réglementé dégressifs en vigueur n'ont pas de sens économiquement. Pour définir un périmètre cohérent à chaque projet, mieux vaut toutefois se fixer des bornes. « La taille maximale d'une unité dépend des débouchés de chaleur (quand on opte pour la cogénération) ou du débit du réseau de gaz (avec l'injection) », explique Sébastien Couzy, cofondateur de Methaneo. En zone rurale en particulier, l'infrastructure de GRDF (opérateur de distribution sur la quasi-totalité du territoire) n'est pas toujours suffisante pour supporter le gisement de biométhane d'une unité conséquente. En particulier en été, quand la demande est faible. Plusieurs options s'offrent dès lors aux porteurs de projets : se rapprocher d'une ville, du réseau de transport de gaz de GRT ou de TIGF (qui lui n'est jamais saturé) ou d'une structure qui a besoin de chaleur. À Bannalec par exemple (dans le Finistère), la société Naskeo a conçu son unité à côté des salaisons Tallec.
La taille maximale du projet dépend aussi du gisement local de matière. À moins de traverser la France, le bilan carbone de la méthanisation est toujours positif. « On produit davantage d'énergie qu'on en consomme malgré le transport. Il n'y a pas de discussion sur ce point », insiste Antoine Jacob, directeur du développement ENR d'Idex… Se pose en revanche un problème de coût pour les allers (les intrants à méthaniser) et pour le retour au sol (du digestat à épandre). On ne dépasse pas a priori 10 à 15 km autour du site pour des fumiers. Pour des déchets très méthanogènes comme les menues pailles des agriculteurs ou les dé-chets carnés de l'industrie, on peut en revanche aller plus loin.
La réglementation de plus en plus exigeante
Quelques détails ont encore leur importance pour définir une taille à ne pas dépasser, à commencer par l'acceptation locale. Les riverains comprennent facilement l'intérêt environnemental d'une unité qui valorise des déchets produits localement. Ils sont moins enthousiastes lorsqu'ils voient poindre une installation taillée pour capter tous les intrants de la région. Un autre argument justifie un projet à taille humaine. « Les décisions doivent être faciles à prendre, souligne Sébastien Couzy. Notre plus grand projet réunit une centaine d'agriculteurs. C'est déjà beaucoup ». A contrario, mieux vaut ne pas dépendre d'un fournisseur d'intrants. Les matières agricoles et les déchets ménagers sont des ressources pérennes. Une industrie agroalimentaire qui ferme peut en revanche mettre à mal une unité qui en serait trop dépendante.
« Le digesteur est un appareil digestif géant », rappelle Caroline Marchais, déléguée générale du Club Biogaz. Par conséquent, il a besoin de stabilité. Son régime alimentaire doit respecter certains équilibres biologiques. Les intrants à fort potentiel méthanogène sont particulièrement recherchés, mais doivent pour certains être incorporés en quantités raisonnables. Difficile, par exemple, de dépasser 10 % de graisses. Gare par ailleurs aux changements de régime : à la saison des melons, pas question d'en déverser un chargement entier dans un digesteur. Les bactéries ne supporteraient pas cet apport brutal d'acidité. De même, chaque nouveau contrat avec un industriel nécessite une introduction progressive des nouveaux intrants.
Les porteurs de projets convoitent souvent les déchets agroalimentaires et les déchets de restauration collective du territoire. D'abord parce qu'ils ont un potentiel méthanogène important. Ensuite parce que les coûts de traitement sont élevés et que les industriels sont en attente de solutions alternatives de valorisation. Enfin, parce que la réglemen-tation est de plus en plus exi-geante.
La technique choisie en fonction des intrants
Les gros producteurs de bio-déchets sont désormais « tenus de mettre en place un tri à la source et une valorisation biologique ». En 2014, il faut dépasser 40 t annuelles pour être concerné. Le seuil sera abaissé à 20 t en 2015 et 10 en 2016.
Mieux vaut savoir le plus en amont possible quel est le gisement à escompter. « On choisit la technologie en fonction des intrants disponibles », conseille Caroline Marchais. Certaines options ont par ailleurs un impact réglementaire. D'un régime ICPE de déclaration ou d'enregistrement (en fonction de la taille de l'unité), on peut basculer dans un régime d'autorisation en intégrant de la matière carnée. En élargissant le panel de déchets accueillis, il est parfois nécessaire d'ajouter des étapes de traitement qui n'étaient pas prévues à l'origine comme l'hygiénisation ou le désemballage des déchets. Or le jeu n'en vaut pas toujours la chandelle. Pour des yaourts périmés, il faut investir dans une presse. Pour la viande en barquette, un système plus complexe… Avec, malgré cela, un risque d'avoir un digestat dégradé. « Il est difficile d'obtenir une matière exempte à 100 % d'éléments indésirables comme le plastique », souligne Sébastien Couzy.
En Moselle, le Sydeme n'a pas hésité à s'équiper d'un système évolué de déconditionnement pour étendre son service de collecte de biodéchets aux grandes et moyennes surfaces. Reste à fidéliser les professionnels pour que ces ressources soient pérennes. « Avec le recul, on aurait pu les associer au projet initial, mais en 2005, ils s'intéressaient assez peu à la question. L'obligation de tri et de valorisation biologique n'est entrée en vigueur qu'en janvier 2012 », note Serge Winkelmuller, directeur général des services du syndicat. En tout état de cause, la structure qui porte un projet de méthanisation ne doit pas nécessairement intégrer tous les fournisseurs d'intrants. « L'entrée dans le capital est une garantie, mais il est facile de sortir d'une entreprise », rappelle Nicolas Chapelat, chargé de mission énergies renouvelables chez Semaeb. De même, si les banques sont demandeuses de contrats d'approvisionnement sur des longues durées, il est difficile de les signer dans les faits. Pour éviter les mauvaises surprises, « l'essentiel est d'être pertinent techniquement et économiquement dans ce qu'on propose », estime Nicolas Chapelat, citant l'exemple de Geotexia de Mené. Les industriels voisins produisant des boues très humides ont tout intérêt à utiliser le débouché que leur offre cette installation.
Si les déchets agroalimentaires sont courus par les spécialistes de la méthanisation à la ferme et par les collectivités, les déchets agricoles et ménagers se mélangent assez peu. L'explication est en partie technologique. Pour méthaniser des biodéchets et la fraction non ligneuse des déchets verts, les syndicats privilégient des procédés par voie sèche, pas forcément adaptés aux effluents d'élevage. « Nous n'incorporons pas de produits agricoles, car notre technique est trop luxueuse », ajoute Serge Winkelmuller. Le fumier ou le lisier n'ont pas besoin de solutions de défer-raillage, par exemple. Ils ne sont pas non plus compostés avant épandage… « Travailler ensemble peut toutefois s'avérer intéressant pour atteindre une taille critique dans une collectivité plus petite que la nôtre », souligne-t-il.
En théorie, des boues d'épuration pourraient facilement être mélangées à du fumier ou à du lisier, comme le sont déjà des boues industrielles. Une option qui n'enthousiasme pas les agriculteurs, très attentifs à la qualité du digestat. Habitués à épandre leurs effluents, ils rechignent parfois à utiliser celui de leur voisin. A fortio-ri, pas question d'y ajouter des matières susceptibles d'être souillées par des métaux lourds ou des résidus de médicaments. Dans les zones en excédent structurel (avec trop de nitrate, de phosphore ou d'azote), il est essentiel de décorréler les apports et les retours au sol avec un plan d'épandage mutualisé. « Toutes les terres agricoles n'ont pas les mêmes besoins en matière organique », rappelle Antoine Jacob. En Bretagne en particulier, la méthanisation a un rôle à jouer. À Bannalec par exemple, « le digestat est en partie séché, explique Nicolas Chapelat. Puis exporté dans des régions déficitaires en amendement organique ».