La première et seule étude de la Fédération nationale des bois-sons (FNB) réalisée en 2013 évalue à 500 000 tonnes les bouteilles en verre consignées chaque année par les cafés, hôtels et restaurants (CHR), et à 400 000 tonnes les emballages boissons jetés… dont 75 % sont en verre. Que devient ce verre ? Pas de surprise : il est, à plus de 95 %, pris en charge par le service public de gestion des déchets.
Pour reprendre la main et fidéliser ses clients, la FNB a concocté deux offres de collecte via la logistique retour, dans laquelle les camions de livraison repartent avec les bouteilles vides. L'une consiste à récupérer les emballages non consignés, dits verre perdu ou encore à usage unique dans des caisses qui, elles, sont consignées. L'autre, à installer un concasseur à verre chez le client. « Ils sont 75 à avoir choisi ces services, et seulement deux ont arrêté. Nous allons maintenant les déployer plus lar gement », indique Jean-Jacques Mespoulet, président de la FNB, qui table sur 150 adhérents au service d'ici à la fin de 2016. France Boissons et Olivier Bertrand Distribution, par exemple, ont commencé à installer des concasseurs à verre chez leurs clients, et visent un déploiement plus massif à partir de la fin de l'année. Le groupement d'indépendants C10 a, de son côté, fait fabriquer des caisses d'une capacité de 40 bouteilles, « qui améliorent d'un facteur 3 le taux de recyclage », assure Philippe Guérin, directeur général délégué et responsable des projets développement durable de C10. « À 500 grammes par bouteille, un petit point de vente qui fait 20 bouteilles par jour totalise à la fin de l'année 2 tonnes », compte Philippe Guérin. C10 estime ainsi collecter 16 tonnes par mois en phase pilote, avec seulement 35 adhérents. Fin 2015, Xavier Sipos, chez France Boissons, mise sur environ 50 tonnes par mois avec une centaine d'adhérents, représentant 1 000 clients.
Mais pourquoi, les cafés, hôtels et restaurants paieraient-ils ce service 1,90 euro pour la rotation de la caisse alors que souvent ils peuvent s'appuyer gratuitement sur le service public ? En fait, la collecte du verre par les collectivités est une vraie concurrence pour les distributeurs de boissons.
« Les collectivités ont l'obligation de collecter les déchets des ménages. Elles peuvent prendre en charge les déchets des professionnels, contre paiement du service », rappelle Sylvain Pasquier, à l'Ademe. Le financement est alors assuré par le biais de la redevance spéciale (RS, dans le cadre de la Teom), ou de la Reom. « Mais la RS, obligatoire depuis 1992, est loin d'être appliquée partout. C'est un vrai problème », reconnaît Sylvain Pasquier. Et elle a un coût : 32 millions d'euros pour la collectivité par an, selon l'étude de la FNB. Sans parler des points d'apport volontaire que les professionnels utilisent sans complexes ! « À Limoges, il y a des points d'apport volontaire du verre partout. Du coup, il est difficile de faire accepter un service payant. Pourtant, notre système coûte 40 % moins cher que celui du service public », témoigne Jean-Jacques Mespoulet, sous sa casquette de président de l'entreprise de distribution Mespoulet.
La réalité est encore plus complexe. Car si les distributeurs de boissons peuvent légitimement se plaindre de la concurrence de la collectivité, ils lui confient pourtant gratuitement eux aussi les bouteilles qu'ils collectent. Après quoi, la collectivité déclare les tonnages récupérés à Eco-Emballages et Adelphe, alors qu'aucune écocontribution n'est versée en contrepartie. « Nous collectons le verre des professionnels, en porte-à-porte, en centre-ville, comme celui des particuliers. De fait, nous déclarons le tout à Eco-Emballages, et nous touchons des soutiens pour tout le verre collecté », confirme un directeur des services propreté, qui souhaite rester anonyme.
Résumons : les CHR peuvent se débarrasser du verre perdu gratuitement, ou à peu de frais, via le service public, alors que les professionnels de la distribution développent un service payant de collecte du verre, qu'ils confient de toute façon à la collectivité. Et les collectivités touchent les soutiens des éco-organismes pour toutes ces tonnes collectées. Le système n'est-il pas, a minima, compliqué, voire dévoyé ? « La logistique retour des professionnels coûte moins cher que la collecte municipale, et permet d'insérer les professionnels dans le dispositif en préservant son équilibre, reconnaît Sylvain Pasquier. Et les éco-organismes et les collectivités améliorent leur taux de recyclage ». Et voilà quelques pourcents de gagnés, à faible coût, vers l'objectif de 75 % de recyclage des déchets ménagers. l