Ionel Drumea est Rom. Arrivé à Nantes en 2005, il a fui avec femme et enfants des conditions de vie difficiles en Roumanie. Depuis septembre 2007, sa famille a intégré le dispositif dit de « terrains conventionnés » mis en place par la communauté urbaine Nantes métropole, en partenariat avec le Conseil général de Loire-Atlantique et le Centre communal d'action sociale (CCAS) de Nantes. L'agglomération compte trois aires de ce type pour une soixantaine de familles roms bénéficiaires, soit 330 personnes environ. Après avoir connu la précarité des camps illégaux, les Drumea sont logés à Cheviré, une zone industrielle à l'ouest de la ville. Comme les autres familles, ils disposent d'un mobile-home et de sanitaires communs. Pas le grand luxe mais Ionel est satisfait : « C'est propre et on est aidés ». L'accueil s'accompagne d'un suivi social, une mission confiée à l'association ActaRom. Trois travailleurs sociaux gèrent les lieux, appuient la recherche d'emploi des adultes et suivent la scolarisation des enfants. « Un volet éducation primordial car l'accès au travail est compliqué pour les Roms », constate Dominique Raimbourg, député et élu communautaire à l'origine du projet.
Une situation qui place l'école en principale porte d'intégration. « D'autant que 60 % de la population accueillie est mineure. Parmi elle, 50 % ont moins de 10 ans », ajoute Jérôme Richard, chargé du dossier à Nantes métropole. Les enfants des terrains conventionnés sont tous scolarisés dans différents établissements de l'agglomération. « Pour éviter les phénomènes de concentration, il n'y a jamais plus de 10 enfants roms par école », précise Emmanuelle Fieyre, d'ActaRom.
« S'ouvrir sur l'extérieur demande des efforts... »
Une méthode qui porte ses fruits. Dans la famille Drumea, les parents placent beaucoup d'espoirs dans le parcours scolaire de leurs quatre filles. « Avec des diplômes français, elles ont une chance d'avoir un bon travail », espèrent-ils dans un français approximatif. Parfaitement bilingues, les jeunes filles partagent cette envie de réussir même si la vie en mobile-home n'offre pas des conditions idéales pour les études. Âgées de 9 à 15 ans, elles obtiennent néanmoins de bons résultats scolaires et affichent déjà des ambitions professionnelles. L'aînée Vergenica commence sa 3ème et souhaite devenir infirmière. Sa cadette, Ionela, envisage de s'orienter vers l'informatique. Les deux dernières, encore en primaire, aiment apprendre et retrouver leurs « copines françaises » à l'école. Des amies qu'elles voient cependant peu par ailleurs. Elles disent avoir « honte » de leur vie en camp. Dès qu'elles sortent, les jeunes filles changent d'habits, préférant porter une tenue à la mode occidentale plutôt que la traditionnelle jupe tzigane. « S'ouvrir sur l'extérieur demande des efforts et tous ne sont pas encore prêts à les faire. Cette communauté a des coutumes très ancrées », souligne Emmanuelle Fieyre. Modèle d'intégration, la famille Drumea n'est pas épargnée par certains préjugés. « Des camarades se moquent de moi parce que je suis Rom », témoigne Vergenica.
Une discrimination plus ou moins subie en fonction de l'âge des enfants. « Plus ils sont jeunes, mieux ça se passe, confirme Frédéric Godet, directeur d'école élémentaire. Désormais on accueille des enfants nés en France. Eux s'adaptent très bien ». « Au collège, c'est plus délicat », complète Sébastien Piffeteau. Ancien professeur d'histoire, militant associatif, il suit de près les enfants roms et particulièrement ceux des terrains illégaux. Selon les associations humanitaires, plus de 1 000 Roms vivraient en « camps sauvages » dans l'agglomération nantaise.
« On doit accueillir des adolescents allophones ou analphabètes, ils sont stigmatisés dès leur arrivée », poursuit-il. Ce qui explique en partie un taux d'absentéisme plus important au collège. « Les jeunes se sentent rejetés et ne veulent plus y aller, pointe l'ancien professeur. Une situation d'autant plus difficile à gérer que les établissements ne reçoivent pas de moyens supplémentaires. Or, une bonne intégration des enfants requiert un accompagnement spécifique de la part des enseignants ». Et Sébastien Piffeteau de relayer la demande de nombreux militants qui réclament « un plus grand nombre de classes spécialisées », type Classe d'initiation pour non-francophones (CLIN).
Un dispositif qui ne fait pas l'unanimité
Pour ces enfants des camps illégaux, les conditions de vie n'arrangent rien. « Il y a des problèmes de transports et d'hygiène, décrit Sébastien Piffeteau. Les parents refusent d'envoyer leurs enfants à l'école quand ils ne sont pas lavés. En plus, il est difficile d'aider des familles qui sont régulièrement expulsées ». Un frein à la scolarisation pratiquement réglé sur les terrains conventionnés où les conditions de vie sont meilleures. Les enfants de ces aires bénéficient d'heures de soutien scolaires assurées par des bénévoles. Les transports scolaires sont financés dans le cadre du Plan de réussite éducative (PRE) géré par le CCAS de Nantes. « On a un taux d'assiduité proche des 100 % », se félicite Dominique Raimbourg.
« Cependant, faire comprendre l'importance des études aux Roms demande aussi un travail de fond, souligne Emmanuelle Fieyre. Les jeunes garçons s'identifient à leurs pères qui, faute d'emploi, passent beaucoup de temps au camp. Un modèle de chef de famille que les enfants veulent imiter, au détriment de l'école ». Autre problématique pour les acteurs de terrain : limiter les mariages précoces des jeunes filles. « La coutume veut qu'elles soient mariées dès 14-15 ans. Dans ce cas, la scolarité est stoppée », regrettent les travailleurs sociaux. Impossible à maîtriser dans les camps illégaux, cette pratique tend à diminuer sur les aires conventionnées. « Mais cela prend du temps de faire reculer les traditions », souligne ActaRom.
Critiqué par certains élus qui le considèrent comme « trop long et trop coûteux », ce dispositif expérimental est aujourd'hui remis en cause. En plus des 300 000 euros d'investissement de départ pour l'aménagement des terrains, Nantes métropole finance les coûts de gestion (167 000 euros par an) et de gardiennage (600 000 euros annuels). Prévu pour ne durer qu'un an, ce programme entame sa deuxième année et « entre désormais dans une phase plus active » indiquent les tenants du dossier. Parmi la soixantaine de familles aidées depuis 2007, « une quinzaine va repartir en Roumanie. Certaines ont décidé ce retour, d'autres ont été invitées à le faire car elles ne respectaient pas les règles du dispositif ». Des exclusions notamment dues à des problèmes de délinquance. Les autres Roms, comme les Drumea, doivent être relogés en HLM. Une sédentarisation progressive programmée sur plusieurs années. Toutes ces familles bénéficieront d'un « accompagnement renforcé » vers l'intégration, toujours via l'emploi et la scolarisation. Elles passeront un contrat avec les partenaires sociaux et leurs efforts seront évalués chaque mois.
Bien accueillie par les Roms concernés, souvent demandeurs de logements en dur, cette nouvelle phase interpelle les associations humanitaires. « Cela ressemble à une sortie de crise politique devant les critiques, estime un militant. Une fois que le processus de relogement sera terminé, y aura-t-il un autre dispositif de lancé pour de nouvelles familles ? » Une question à laquelle personne ne répond pour l'instant. Des élus estiment en effet que cette politique « trop bienveillante » à l'égard des Roms provoque « un appel d'air » dans l'agglomération. « Il y a un afflux de familles mais Nantes n'est pas la seule ville concernée, rétorque Dominique Raimbourg. Pour l'instant, on gère l'urgence. Mais tant qu'on n'arrivera pas à améliorer leur situation en Roumanie, on ne trouvera pas de solution pérenne ».