Toute mesure de police administrative étant par nature plus ou moins attentatoire aux libertés publiques et individuelles, elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l'ordre public sous peine d'illégalité (TC, 8 avril 1935, Action française, Rec., p. 226 : à propos d'une saisie de journaux constitutive d'une voie de fait), (CE, 10 août 1917, Baldy, Rec., p. 637), conformément à la maxime selon laquelle « la liberté est la règle, la restriction de police l'exception » (CE, 10 août 1917, Baldy, Rec., p. 637).
Dans ce cadre, le maire est tenu d'adopter des mesures de police adaptées à la gravité de la menace pesant sur l'ordre public (CE, 19 mai 1933, Benjamin, Rec., p. 541). Cette prescription suppose par définition que les interdictions générales et absolues, qui empêcheraient l'exercice effectif d'une liberté, sont illégales et prohibées, dès lors que l'autorité de police compétente pouvait assurer le maintien de l'ordre public par des mesures plus souples que l'interdiction pure et simple.
C'est ainsi la solution qu'a retenue le juge à propos de :
-l'interdiction d'une conférence alors même que l'éventualité des troubles allégués ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il eut été impossible pour le maire de maintenir l'ordre public en édictant des mesures moins contraignantes (CE, 19 mai 1933, Benjamin, préc. ; CE, 27 novembre 1959, Ministre de l'Intérieur c/Salem, Rec., p. 632),
-de la prohibition, sur l'ensemble du territoire de la commune, de la pratique du camping (CE, 14 février 1958, Abisset, Rec., p. 98),
-des hurlements et des aboiements de chiens (CE, 5 février 1960, Commune de Mougins, Rec., p. 83),
-de la fermeture d'une salle de bal en raison des nuisances sonores causées par l'utilisation des véhicules motorisés de la clientèle (CE, 26 juin 1987, Consorts Guyot, Rec., T., p. 623),
-de l'interdiction de toute cérémonie ou tout office religieux organisé dans un local (CE, 14 mai 1982, Association internationale pour la conscience de Krishna, Rec., p. 179),
-des activités musicales et des attractions dans certaines rues piétonnières du quartier des Halles à Paris (CE, 4 mai 1984, Préfet de police c/Guez, Rec., p. 164).
Cependant, toutes les interdictions générales et absolues mettant en jeu des libertés publiques ne sont pas nécessairement frappées d'illégalité dans la mesure où certaines d'entre elles se présentent comme la seule solution pour le maire d'assurer le maintien ou le rétablissement de l'ordre public.
Ce que le maire peut légalement interdire
La jurisprudence administrative offre ici aussi bon nombre d'illustrations avec :
-l'interdiction du stationnement de tout véhicule sur toute la longueur d'une voie publique tous les jours et à toute heure (CE, 14 mars 1973, Almela, Rec., p. 213),
-celle d'exercer son commerce sur les marchés de la ville faite à un forain dont la présence est de nature à troubler l'ordre public et pour laquelle le renforcement de la surveillance aurait été insuffisant (CE, 10 juillet 1957, Feltin, Rec., T., p. 873 ; CE, 13 juillet 1963, Ville d'Alès, Rec., p. 437),
-la décision du maire, suite à de nombreux incidents ayant occasionné d'importants dégâts matériels, d'interdire l'organisation de tout bal durant le mois suivant (CE, 23 juillet 1974, Commune de Génissac, Rec., p. 445) ou « jusqu'à nouvel ordre » (CE, 28 octobre 1983, Commune de Louroux-Beconnais, Rec., T., p. 645),
la prohibition d'une manifestation ayant pour finalité de porter une atteinte illégale aux propriétés privées (CE, 12 octobre 1983, Commune de Vertou, Rec., p. 406).
De la même manière, le maire a pu légalement interdire :
-la circulation aux véhicules de plus de dix tonnes sur la voie communale desservant une carrière dont une société avait obtenu de la part du préfet une autorisation d'exploitation pour une durée de cinq ans (CE, 9 décembre 1983, SA Entreprise Monin, Rec., p. 807),
-prohiber une association luttant contre l'interruption volontaire de grossesse dont les membres avaient, par le passé, été pénalement condamnés pour des faits liés à des troubles sur la voie publique (CE, 30 décembre 2003, Lehembre et autres, req. n° 248264)
-interdire l'ouverture d'un « sex-shop » en raison des dangers particuliers pour la jeunesse et pour la tranquillité de la population que cette ouverture pouvait créer (CE, 8 juin 2005, Commune de Houilles, req. n° 281084),
-la pratique de la chasse sur le site d'une station de lagunage dans un rayon de 150 mètres, eu égard à la nécessité d'assurer la sécurité des personnels intervenant sur ledit site (CE, 26 juin 2009, Lacroix, req. n° 309527).
Limitation dans le temps et dans l'espace
La présomption d'illégalité de principe des interdictions générales et absolues implique que les mesures de police doivent, pour la plupart d'entre elles, être limitées dans le temps et dans l'espace afin de tenir compte des circonstances particulières de chaque situation. Le juge se livre à une appréciation globale de la situation en vue de vérifier si l'autorité de police n'a pas agi de manière disproportionnée eu égard aux impératifs d'ordre public qu'imposaient les circonstances en présence (CE, 4 mai 1984, Préfet de police c/Guez, préc.).
Cependant, la prise en compte des circonstances de temps et de lieu peut aboutir à ce que qu'une même interdiction édictée en des endroits et à des moments différents se révèle légale ou illégale (CE, 23 décembre 1936, Bucard, Rec., p. 1151 ; CE, 26 juin 1937, Storee, Rec., p. 627 ; CE, 9 mars 1938, Masson, Rec., p. 247 ; CE, 17 avril 1942, Wodel, Rec., p. 122).
Ont ainsi été considérées par le juge comme légales car limitées :
-l'interdiction de l'exercice du commerce ambulant du 1er avril au 30 octobre de 10 heures à 20 heures sur huit voies et cinq places d'un secteur réservé aux piétons et situé près d'une cathédrale (CE, 25 janvier 1980, Gadiaga et autres, Rec., p. 44),
-la fermeture, de 22h 30 à 5 heures pendant quatre mois, d'un débit de boissons qui avait été l'objet ou le cadre d'infractions graves liées, pour la majorité d'entre elles, à son ouverture nocturne (CE, 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-les-Lys c/Société Carmag, Rec., T., p. 1087),
-l'interdiction d'exercer la profession de « photographe-filmeur » sur la portion de route menant au Mont-Saint-Michel durant la période estivale (CE, 13 mars 1968, Ministre de l'Intérieur c/Époux Leroy, Rec., p. 178) ou de distribuer des tracts sur la voie publique aux automobilistes en dehors de ceux à l'arrêt ou en stationnement ou des voies non ouvertes à la circulation (CE, 3 février 1978, CFDT et CGCT, AJDA, 1978, p. 388),
-la création, à l'intérieur des remparts d'une ville, d'une zone piétonnière interdite à la circulation automobile durant les mois de juillet et d'août (CE, 14 janvier 1981, Bougie, Rec., p. 15),
-l'interdiction d'utiliser toute tondeuse à gazon, dans l'agglomération de la ville et 100 mètres autour, les dimanches et jours fériés du 1er mai au 31 octobre (CE, 2 juillet 1997, Bricq, Rec., p. 275),
-la fixation à 24 heures de l'heure limite de fermeture d'un établissement de jeux, compte tenu des nuisances pour la tranquillité publique que comportait un tel établissement (CE, 7 novembre 1984, M. Guillaume et SA Guillaume, AJDA, 1984, p. 700),
-l'interdiction de livraison de carburant par camion-citerne sur une voie de la commune ouverte à la circulation conduisant à une gare maritime et limitée à la saison estivale durant les heures d'affluence (CE, 15 octobre 2004, SARL Établissements Lotti, req. n° 261254),
-la prohibition de la mendicité durant la période estivale, du mardi au dimanche de 9 heures à 20 heures, dans une zone limitée au centre-ville et aux abords de deux grandes surfaces (CE, 9 juillet 2003, Commune de Prades, req. n° 229618).
Le contenu des arrêtés doit être adapté
Également, sont jugés légaux les arrêtés visant à instaurer un couvre-feu pour les mineurs, dès lors qu'ils sont justifiés par l'existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels ils ont été pris et qu'ils sont adaptés par leur contenu à l'objectif de protection qu'ils se fixent. Tel est le cas des arrêtés municipaux interdisant les personnes de moins de treize ans de se déplacer non accompagnées par une personne majeure sur une partie limitée du périmètre de la commune de 23 heures à 6 heures du matin (CE, Ord., 9 juillet 2001, Préfet du Loiret, Rec., p. 337 ; CE, Ord., 27 juillet 2001, Ville d'Étampes, Rec., T., p. 1107 ; CE, Ord., 30 juillet 2001, Maire de Luçé, req. n° 236657), contrairement à l'interdiction pour les mineurs de moins de seize ans de circuler non accompagnés après 20 heures (TA Cergy-Pontoise, Ord., 5 mai 2006, Mathias Ott et autres, req. n° 0604074).
À l'inverse, ont été jugées illégaux en raison de leur caractère excessif eu égard aux nécessités d'ordre public alors présentes :
-la prohibition de la circulation et du stationnement dans une rue piétonne assortie seulement d'une dérogation permanente pour les riverains et d'une dérogation la nuit et en milieu de journée pour le chargement et le déchargement de marchandises (CE, 3 juin 1994, Commune de Coulommiers, Rec., p. 287),
-l'interdiction faite par un maire à une personne d'exercer son commerce sur le territoire de la commune dès lors que ni aucune disposition législative n'autorisait ni aucune situation d'urgence ne justifiait l'édiction d'une telle mesure (CE, 27 juillet 1984, Ville de Toulouse c/Jardin, Rec., p. 284),
-l'arrêté municipal réservant aux seuls taxis de la commune le stationnement sur les emplacements réservés devant la gare de la collectivité (CE, 6 juin 2001, Commune de Vannes, Rec., p. 256),
-l'interdiction, sur 400 mètres de voie, de la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes, imposant ainsi un détour de seize kilomètres à une société exploitant sur les lieux, objets de l'interdiction, deux centres de tri des déchets ménagers (CE, 17 juin 2006, Commune de Wissous, req. n° 293110).
De la même manière, les régimes d'autorisation et de déclaration préalables sont prohibés sauf dans l'hypothèse où ils sont institués sur la base d'une disposition textuelle expresse. Tel est le cas pour :
-la subordination par le maire à la délivrance d'une autorisation de l'exercice de la profession de photographe-filmeur sur le territoire de sa commune (CE, 22 juin 1951, Daudignac, Rec., p. 362),
-l'activité de vente ambulante et de colportage dans une partie de la ville et à une certaine période (CE, 28 mars 1979, Ville de Strasbourg, Rec., T., p. 652),
-la circulation de véhicules publicitaires dans les rues de la ville (CE, 2 avril 1954, Pétronelli, Rec., p. 208),
-l'exploitation d'une piste de ski de fond (CE, 22 janvier 1982, Association « Foyer de ski de fond de Crévoux », Rec., p. 30)
-la mise en place d'enseignes publicitaires sur les taxis (CE, 14 mars 2001, Société Rouge Petrus Le média Taxi et Ministre de l'Intérieur, req. n° 196199 et 196203).
En revanche, peuvent faire l'objet d'un régime d'autorisation ou de déclaration préalable :
-la vente de marchandises neuves sous forme de soldes, liquidations ou ventes forcées (art. L. 310-1 et L. 310-2 du code de commerce : il s'agit ici d'une compétence partagée avec le préfet),
-l'occupation privative du domaine public de la commune (art. L. 1311-1 CGCT ; CE, 6 novembre 1998, Association amicale des bouquinistes des quais de Paris, req. n° 171317),
-l'exercice de la profession de colporteur ou de distributeur sur la voie publique ou en tout lieu public ou privé, de livres, écrits, brochures, journaux, dessins, gravures, lithographies et photographies (loi du 29 juillet 1889 sur la liberté de la presse, art. 18),
-à l'exception des sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux, les cortèges, défilés, rassemblements de personnes et, d'une manière générale, les manifestations sur la voie publique (décret-loi du 23 octobre 1935).