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TERRITOIRES

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LA RÉDACTION, LE 1er JANVIER 2013
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Un pied-à-terre construit sur un terre-plein, agréablement situé sur le littoral méditerranéen mais en contrebas d'une ancienne voie ferrée, relève-t-il du domaine public de Réseau ferré de France (Rff ) ? Si oui, l'établissement public national, de caractère industriel et commercial, créé par la loi du 13 février 1997 pour le renouveau du transport ferroviaire, pourrait alors rechercher devant le juge administratif l'expulsion de son occupant sans titre. Voici, à peu de chose près, la question qui a été soumise à la juridiction administrative, au tribunal administratif de Nice d'abord puis à la cour administrative de Marseille ensuite, cette dernière s'étant prononcée dans un arrêt de sa 7e chambre en date du 7 février 2012 (1) Plus précisément, et d'après les indications données dans ses conclusions par le rapporteur public (2), était en litige l'occupation d'une parcelle située de part et d'autre de l'ancienne voie ferrée Nice–Monaco, en bordure de Méditerranée, sur le territoire de la commune de Cap d'Ail, parcelle sur laquelle est édifié un bâtiment. Ce terrain, propriété de Rff, était occupé par M. A en vertu d'une « convention d'occupation d'un immeuble bâti ou non bâti dépendant du domaine public de Réseau ferré de France non constitutive de droits réels », conclue en 2002 et arrivée à son terme en 2007. Depuis lors, M. A, devenu occupant sans titre, refusait de libérer les lieux. En réponse, Rff avait donc saisi le tribunal administratif de Nice, d'un recours au fond d'après ce qui ressort des conclusions devant la cour, demandant qu'il soit enjoint à M. A de libérer sans délai et totalement la parcelle irrégulièrement occupée. Toutefois, Rff n'a pas obtenu satisfaction en première instance puisque le président du tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête par une ordonnance du 19 mars 2010, l'estimant manifestement irrecevable (art. R. 222-1, 4° du Cja) en se fondant sur l'exception du recours parallèle. Le président du tribunal a en effet jugé que l'occupant pouvant être poursuivi pour contravention de grande voirie, Rff ne pouvait pas demander sur un autre fondement qu'il lui soit enjoint de libérer les lieux. Si cette solution peut éventuellement se discuter (3), ce n'est pourtant pas cette question qui va retenir l'attention des juges de la cour administrative d'appel de Marseille. En préalable, se pose un problème de compétence juridictionnelle : la juridiction administrative est-elle bien compétente pour statuer sur ce litige ? Si cette question se pose, c'est tout simplement parce qu'il n'est pas certain que la parcelle en litige relève bien du domaine public. Si tel n'était pas le cas, et qu'était en jeu l'occupation du domaine privé de Rff, le litige relèverait du juge judiciaire. Ainsi, c'est la qualification de domaine public d'un bien propriété de Rff qui fait tout l'intérêt de cette affaire. Il est aujourd'hui bien connu que Rff a été créé, en 1997, pour être le gestionnaire du réseau ferré national, en lieu et place de la Snc f, afin de permettre dans le futur, l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire. Le législateur avait alors prévu que les biens constitutifs de l'infrastructure (c'est-à-dire les voies ferrées, passages à niveaux, etc.) et les immeubles non affectés à l'exploitation des services de transport (c'est-à-dire les biens autres que les gares, entrepôts, etc.) appartenant à l'État et gérés par la Snc f soient apportés en pleine propriété à Rff (4). La solution semblait simple et radicale. Elle était complétée par un article également limpide quant à la qualification de ces biens, l'article 11 de la loi de 1997 précisant que « les biens immobiliers appartenant à (Rff ), affectés au transport ferroviaire et spécialement aménagés à cet effet, ont le caractère de domaine public ». Le législateur reprenait là, sans surprise et sans innovation éventuellement hasardeuse, les critères traditionnels dégagés par la jurisprudence pour identifier une dépendance du domaine public : la propriété publique (Rff est un établissement public), l'affectation à un service public (le service public du transport ferroviaire) et l'aménagement spécial, ainsi que l'exige le Conseil d'État depuis le classique arrêt Sté le Béton (5). Mais depuis lors, la loi a changé. Le Code général de la propriété des personnes publiques est passé par là. La qualification des biens de Rff s'en trouve-t-elle pour autant modifiée ? C'est ce que nous chercherons à savoir au travers de l'étude de l'arrêt de la cour administrative de Marseille relativement à ce plaisant petit pied-à-terre en bordure de Méditerranée, en cherchant d'abord à déterminer les critères de qualification applicables aux biens de Rff avant d'examiner l'application qui en est faite en l'espèce. I. La détermination des critères applicables aux biens de Rff Jurisprudence traditionnelle du Conseil d'État, loi spéciale relative à Rff, Code général de la propriété des personnes publiques : les sources sont potentiellement nombreuses pour qualifier les biens de Rff. Posent-elles des critères différents ? Sur lesquelles le juge doit-il se fonder ? En réalité, ces questionnements imposent de traiter deux problèmes différents : l'identification des critères applicables spécifiquement aux biens de Rff et ensuite la détermination des critères applicables à l'espèce, compte tenu de la succession des textes dans le temps. A. Quels sont les critères applicables aux biens de Rff ? On l'a dit, la loi du 13 février 1997, adoptée pour le renouveau du transport ferroviaire, permettait par son article 11, alinéa 1er , une continuité et une cohérence certaines avec la situation antérieure (la propriété des biens par la Snc f ) en retenant, pour qualifier de dépendances domaniales les biens de Rff, les critères jurisprudentiels traditionnels : propriété publique, affectation au service public et aménagement spécial. La codification du droit des biens des personnes publiques, en 2006, par le Code général de la propriété des personnes publiques (Cg3p) a permis, elle, la reconnaissance officielle d'un domaine public ferroviaire. Il est défini, dans un jargon moderne, à l'article L. 2111-15 du code, comme constitué des biens immobiliers des personnes publiques « affectés exclusivement aux services de transports publics guidés le long de leurs parcours en site propre ». Les rédacteurs du code, par le biais de l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à sa partie législative (6) ont bien pris soin d'abroger en conséquence le premier alinéa de l'article 11 de la loi de février 1997. Les critères traditionnels ont donc disparu, remplacés par une définition uniquement centrée sur l'affectation, le critère étant plutôt restrictif dans sa formulation (« exclusivement »). Par ailleurs, la disposition générale de définition du domaine public (Cg3p, art. L. 2111-1) a maintenu l'exigence de la propriété publique et surtout de l'aménagement désormais « indispensable » en cas d'affection à un service public. Mais cette disposition générale ne s'applique que « sous réserve de dispositions législatives spéciales ». En somme, et en résumé, les critères de la loi de 1997 qui permettaient de qualifier l'ensemble des biens appartenant à Rff ne s'appliquent plus, abrogés depuis 2006. Désormais, les biens de Rff seront qualifiés de dépendances domaniales s'ils répondent à la définition du domaine public ferroviaire c'est-à-dire s'ils sont exclusivement affectés aux services de transport ferroviaire (en simplifiant). Si telle n'est pas leur affectation, ils pourront éventuellement relever du domaine public « non ferroviaire », en vertu de la définition générale, Rff possédant alors des dépendances du domaine public simplement immobilier. En application de la définition du Cg3p (art. L. 211115), les voies ferrées entrent clairement dans la catégorie « domaine public ferroviaire ». Mais qu'en est-il du terrain adjacent, sur lequel peut éventuellement être édifié un bâtiment comme dans notre affaire ? Autrement dit, jusqu'où s'étend le domaine public ferroviaire ? Couvre-t-il uniquement le terrain d'assiette de la voie ferrée, en y ajoutant le soubassement, en tant qu'accessoire ? Concerne-t-il l'ensemble de la parcelle traversée par la voie ferrée ? Sinon, cette parcelle relève-t-elle du domaine public “simplement” immobilier de Rff ? Ou en l'absence d'affectation au transport ferroviaire, entre-t-elle dans le domaine privé de Rff ? Cependant, avant même d'envisager répondre à ces questions, il faut déjà s'assurer que ce sont bien les nouveaux critères posés par le Cg3p qui s'appliquent à cette affaire. Il y a là un problème d'application de la loi dans le temps. B. Quels sont les critères applicables dans le temps ? Malheureusement, les rédacteurs du code ne se sont pas prononcés sur l'application dans le temps des nouveaux critères, sachant pourtant qu'ils ne codifiaient pas “à droit constant”… La définition d'un domaine public ferroviaire (affecté exclusivement, etc.) s'applique-t-elle seulement à partir de l'entrée en vigueur du code ? Le critère de l'aménagement désormais indispensable vaut-il seulement pour les biens à faire entrer dans le domaine public postérieurement au code ? Le Conseil d'État, réuni en section, semble avoir entendu régler cette question par son arrêt Brasserie du théâtre du 28 décembre 2009. Dans cette affaire relative à un contrat autorisant l'exploitation d'un café-restaurant dans l'enceinte d'un théâtre municipal, le juge devait déterminer si le contrat était un bail commercial ou une convention d'occupation domaniale c'est-à-dire si les locaux occupés relevaient du domaine privé ou public de la commune. Après avoir visé le nouveau code, le Conseil d'État choisit pourtant de ne pas en faire application à l'espèce jugeant que « l'appartenance au domaine public d'un tel bien était, avant la date d'entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques (le 1er juillet 2006), sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ». Ainsi que l'écrit M. Olivier Févrot (7), puisque « une règle législative de fond nouvelle ne peut remettre en cause une situation déjà constituée au moment de son entrée en vigueur », « aucune raison ne justifiait que l'on déroge, pour l'article L. 2111-1 du Cg3p, à la présomption de non-rétroactivité de la loi ». Le Conseil d'État se prononce donc en faveur de la non-rétroactivité du Cg3p ; une position qu'il a récemment affinée en reformulant le considérant de principe initial de la manière suivante : « avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du Code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance au domaine public d'un bien était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné ; qu'en l'absence de toute disposition en ce sens, l'entrée en vigueur de ce code n'a pu, par elle-même, avoir pour effet d'entraîner le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui, depuis le 1er juillet 2006, ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1 » (8). Par conséquent, il en résulte que l'application du Cg3p n'est pas rétroactive et qu'un bien appartenant au domaine public en vertu des critères antérieurs ne se trouve pas automatiquement déclassé du fait de l'entrée en vigueur du nouveau Code. Il conviendrait donc de régler les litiges en appliquant le droit en vigueur à la date à laquelle la situation juridique, source du litige, a été constituée. Il faut relever que le Conseil d'État avait tranché sensiblement de la même façon la question de la qualification des biens de Rff après l'entrée en vigueur de la loi de 1997. Ainsi avait-il jugé que « ces dispositions législatives de l'art. 11 (de la loi de 1997), qui se bornaient à reprendre les conditions de principe pour qu'un bien immobilier fasse partie du domaine public ferroviaire, n'entraînaient pas, par elles-mêmes, une modification du caractère des biens apportés à Réseau ferré de France, en l'absence d'acte exprès de déclassement, quand bien même ces biens ne seraient, à la date de l'adoption de ces dispositions, ni affectés au transport ferroviaire ni pourvus d'aménagements à cet effet ». Dans cette affaire, après avoir vérifié que les terrains en cause « se trouvaient affectés au service public de transport de marchandises et étaient aménagés de telle sorte qu'ils permettaient l'embarquement et le débarquement direct des objets transportés », le Conseil d'État en conclut que « ces terrains appartenaient, jusqu'à leur déclassement prononcé en 2004, au domaine public ferroviaire » et « qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, l'article 11 de la loi du 13 février 1997 n'a eu ni pour effet ni pour objet de modifier leur domanialité publique » (9). Dans l'affaire de Cap d'Ail, la convention d'occupation date de 2002, donc avant l'entrée en vigueur du Cg3p. À défaut d'acte formel de classement de la parcelle dans le domaine public, cette convention signée par les parties donne une date certaine à l'incorporation (supposée) au domaine public et son antériorité par rapport au Cg3p justifierait de ne pas l'appliquer au présent litige. Toutefois, le litige se noue à l'arrivée du terme de la convention, c'est-à-dire en 2007, au moment où l'occupant refuse de quitter les lieux. Et, au surplus, Rff n'a engagé d'action contre l'occupant qu'en 2009 c'est-à-dire bien après l'entrée en vigueur du Cg3p. Et si, pour ajouter un peu de complexité, on se penche sur la nature du contentieux pour déterminer la règle de droit applicable, on constate que celui-ci ne concerne pas une question de légalité, pour laquelle le juge se prononce effectivement au regard du droit en vigueur au moment où la situation juridique s'est constituée. Non, ici, il est question d'une action en référé (ou au fond, d'après les conclusions de M. Deliancourt), visant à obtenir le prononcé d'une injonction de quitter les lieux à l'encontre de l'oc- cupant sans titre. Dans le cadre de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative – si tel est le fondement de la requête initiale – le juge des référés peut prononcer toutes mesures utiles s'il y a urgence. Pour établir l'utilité de la mesure, il doit logiquement se placer à la date à laquelle il statue. La solution est vraisemblablement identique s'il s'agit d'une requête au fond : pour justifier de l'utilité du prononcé d'une injonction, le juge doit se placer au jour du litige… En somme, plusieurs solutions étaient envisageables. Considérant que le Conseil d'État a jugé que le Cg3p n'est pas d'application rétroactive, la cour administrative d'appel pouvait choisir de se placer à la date de la convention (2002), et appliquer les critères jurisprudentiels repris par la loi de 1997, ou bien de se situer à la date de la fin de la convention (2007), début de l'occupation sans titre, et appliquer le Cg3p… Quel est le choix retenu par la cour administrative d'appel de Marseille quant au droit applicable ? Et comment en fait-elle application à l'espèce ? II. L'application des critères aux biens de Réseau ferré de France La lecture de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille suscite, à tout le moins l'étonnement, voire la perplexité, car celui-ci s'appuie sur tous les critères précédemment évoqués. Il faut donc chercher une explication à ce raisonnement. A. La multiplicité des critères appliqués par la cour La cour commence, dans les visas de sa décision, en ne citant que la loi « n° 97-135 du 17 (sic) février 1997 portant création de l'établissement public Réseau ferré de France en vue du renouveau du transport ferroviaire » omettant par là même de viser le Cg3p et commettant une erreur matérielle (bénigne) en datant la loi de 1997 du 17 février au lieu du 13 (tel que l'arrêt est retranscrit sur Legifrance). Elle semble donc prendre position d'emblée en faveur de la non-application au cas d'espèce des nouvelles définitions posées par le code. Pourtant, le raisonnement de la cour sème le trouble puisqu'énonçant le droit applicable aux faits de l'espèce dans un beau raisonnement syllogistique, celle-ci cite ensuite et les dispositions de la loi de 1997 (art. 5 et 11) et celles du Cg3p (art. L. 2111-15 relatif au domaine public ferroviaire), sachant – on l'aura compris – que la teneur de ces dispositions législatives n'est pas identique. Est-ce pour vérifier l'appartenance supposée du terrain au domaine public au regard de la loi de 1997 au moment de la conclusion de la convention, et au regard du code au moment de la fin de la convention et du litige relatif à l'occupation sans titre ? La suite du raisonnement, c'est-à-dire l'application aux faits de l'espèce des règles de droit précédemment énoncées, devrait donner la réponse. La cour énonce alors qu'« il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des pièces produites par Réseau ferré de France que la parcelle litigieuse soit actuellement affectée au service public de transport de voyageurs ou soit destinée à l'être, ni qu'elle ait fait l'objet ou soit destinée à faire l'objet d'un aménagement spécial pour être affectée exclusivement audit service public ». Ensuite, la cour repousse non seulement l'argument selon lequel le terrain pourrait relever du domaine public en tant qu'accessoire, « dépendance nécessaire », de la ligne ferroviaire, mais aussi l'idée que la dépendance aurait pu être antérieurement affectée au service public du transport des voyageurs et aurait conservé, à défaut de déclassement, le caractère de dépendance du domaine public. à y regarder de près, la cour semble faire un subtil dosage entre les critères antérieurs, jurisprudentiels et repris par la loi de 1997, et les critères nouveaux posés par le Cg3p. En décortiquant les critères utilisés, ressortent de l'arrêt : - le critère de l'affectation au service public (critère jurisprudentiel repris par la loi de 1997) et celui de l'affectation exclusive au service public (critère du domaine public ferroviaire dans le Cg3p) ; - le critère de l'aménagement mais celui-ci est qualifié de « spécial » comme dans la loi de 1997 et non d'« indispensable » comme dans la définition générale du domaine public immobilier donnée par le Cg3p. Une autre tournure de phrase suscite aussi la perplexité. En effet, lors de l'examen de ces deux critères (affectation au service public et aménagement), la cour relève qu'il n'est pas démontré que le respect de ces critères soit « actuellement » rempli ou « destiné à l'être ». Est-ce à dire que la cour fait ici référence à la théorie (jurisprudentielle) dite de la domanialité publique virtuelle ou de la domanialité publique par anticipation en vertu de laquelle un bien pour lequel l'affectation et l'aménagement bien que non encore réalisés sont pourtant certains, est soumis aux règles et principes de la domanialité publique, avant son entrée “officielle” dans le domaine public ? Cette formule suscite également la surprise, car en posant le critère de l'aménagement « indispensable » et non plus seulement « spécial », le Cg3p est réputé avoir mis fin à cette théorie élaborée par le Conseil d'État. Alors, que faut-il comprendre de ce raisonnement ? De quels textes, de quels critères la cour fait-elle application pour se prononcer sur la qualification du terrain en cause propriété de Rff ? B. Les explications à la multiplicité des critères appliqués En se penchant sur la jurisprudence antérieure du Conseil d'État, il est possible de trouver une affaire sensiblement identique à celle-ci et dans laquelle le Conseil d'État a tenu un raisonnement plus que comparable. La similitude des formulations est même troublante puisque la Haute juridiction y énonce « qu'il ne ressort pas des pièces du dossier (…) et notamment des pièces produites par Réseau ferré de France que la parcelle litigieuse ait été affectée au service public ou soit destinée à l'être, ni qu'elle ait fait l'objet ou soit destinée à faire l'objet d'aucun aménagement spécial » (10). La rédaction est identique à celle retenue par la cour de Marseille. Toutefois, cet arrêt date… de 2005, soit l'année précédant l'entrée en vigueur du Cg3p. Est-ce pour prendre en compte l'intervention de la loi nouvelle que la cour a repris le raisonnement du Conseil d'État “mâtiné” ou “hybridé” de la formulation des critères désormais retenus dans le Cg3p ? L'explication de cette solution pour le moins baroque, mélangeant les anciens critères avec les nouveaux, sans prendre clairement parti sur le droit applicable, est sans doute plus simple. En effet, ce n'est sans doute pas à la cour qu'il faut reprocher cet embrouillamini mais plutôt à Réseau ferré de France. Sauf moyen d'ordre public, le juge ne peut que répondre aux arguments des parties et, selon toute vraisemblance, Rff a dû vouloir faire feu de tout bois en exploitant tous les critères envisageables pour éviter que son terrain soit (re)qualifié en dépendance de son domaine privé. Si la référence à l'arrêt du Conseil d'État a un mérite, c'est justement de montrer que même Rff peut avoir un domaine privé. Et tel serait le cas en l'espèce, d'après la cour administrative d'appel. Enfin, si on se penche à nouveau attentivement sur la formulation des motifs de l'arrêt de la cour, il apparaît clairement, tout d'abord, que la cour répond effectivement à Rff et, ensuite, que c'est Rff qui échoue à apporter la preuve de la domanialité publique de son terrain : « il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des pièces produites par Réseau ferré de France », « il ne ressort pas non plus des pièces du dossier ni des dires de Réseau ferré de France »… C'est d'ailleurs sur cette question de la charge de la preuve que le rapporteur public développe longuement ses conclusions. Et c'est également ce point qui donne son intitulé à la publication de ces conclusions : « L'appartenance d'un bien au domaine public ne se présume pas ». Ainsi, l'établissement public Rff a été bien léger dans sa défense sur ce dossier. Le rapporteur public le relève très explicitement et à de multiples reprises dans ses considérations relatives à l'absence de présomption de domanialité publique et au fait que le requérant doit en apporter la preuve : « En l'espèce, Rff ne justifie aucunement que ce local aujourd'hui occupé et habité aurait servi à l'exploitation de la ligne à un quelconque moment et qu'il aurait été utile, que ce soit par exemple lors de la construction de la ligne, ni par la suite pour son entretien, (…). Rff ne vous apporte pas de preuves ou d'éléments de nature à justifier que cette dépendance (…) aurait été affectée à un quelconque moment au service public du transport de voyageurs. Vous ne savez pas quand et pourquoi a été construit cet immeuble bâti. L'établissement public national se prévaut seulement de la situation de cette parcelle en contrebas, mais vous ne savez pas où exactement, de la ligne ferroviaire et du contrat d'occupation temporaire conclu. (…). Vous ne trouverez au dossier ni preuve ni même allégation de cette affectation, (…) de la part de Rff qui a pourtant engagé l'action à fins d'expulsion devant les juridictions administratives ». En conclusion, les requérants ont été bien inspirés de contester la domanialité publique du terrain, car il n'y a pas de précarité de l'occupation sur le domaine privé. Donc si la qualification de domaine privé est bien exacte (et qu'il n'y a pas de recours en cassation devant le Conseil d'État), les occupants ont toute chance, devant le juge judiciaire, de voir leur bail reconduit dans le respect de la législation sur les baux d'habitation.


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