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ÉNERGIE

Christian Dupraz, « L'agrivoltaïsme s'imposera comme l'une des manières les plus intelligentes de produire de l'électricité »

PUBLIÉ LE 9 AVRIL 2024
PROPOS RECUEILLIS PAR PAULINE FRICOT
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Christian Dupraz, « L'agrivoltaïsme s'imposera comme l'une des manières les plus intelligentes de produire de l'électricité »
Ll’Ademe a recensé en France 167 projets agrivoltaïques pour 1,3 GW en 2022 / Crédits : @Adobestock
[CHOIX DES LECTEURS* ] L’agrivoltaïsme est-il un atout pour les agriculteurs et la transition énergétique ? Oui, à condition que ce système soit strictement encadré, répond dans cette interview le chercheur à l’Inrae Christian Dupraz, qui a inventé le terme d’« agrivoltaïsme ». Le risque étant que l’agriculture soit abandonnée sur les parcelles concernées. Problème : le projet de décret publié en décembre dernier met les agriculteurs dans une situation impossible, qui menace la réussite même de la filière.

Environnement Magazine : En matière de rendement agricole, les études sur l’agrivoltaïsme sont (très) contradictoires… Quel est le bilan de vos recherches ?


Christian Dupraz : Il faut effectivement être prudent avec les études. Les industriels ont tendance à davantage publier les conclusions positives que négatives, et ils sont souvent propriétaires des résultats puisque ce sont eux qui financent les recherches. Notre base de données est donc probablement un peu biaisée.  

Nous – les équipes de l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae) – avons réalisé une synthèse des résultats validés scientifiquement. A partir de ceux-ci, nous avons observé une relation statistique très claire entre le taux de couverture et le rendement des cultures. Plus le taux de couverture augmente, plus les rendements baissent significativement. Avec un taux de couverture de parcelle de 40 % [tel que le prévoit le projet de décret publié en décembre dernier, ndlr], le rendement chute également d’environ 40 % sous les panneaux en moyenne, en tenant compte des zones non cultivables à cause de l’installation. Il y a bien sûr des contre-exemples – certaines cultures étant moins impactées par l’ombre, comme les framboises, mais cela ne suffit pas à changer cette relation générale.  

N’y a-t-il pas des configurations (sécheresse, gel…) où s’équiper de panneaux photovoltaïques est plus intéressant en matière de production ?

Bien sûr. S’il y a une canicule, une sécheresse, les rendements sous les panneaux peuvent être aussi élevés, voire plus élevés qu’au soleil.

Mais la question importante est : quel va être l’effet en moyenne ? C’est-à-dire, est-ce que cette sécheresse ou cette canicule arrivera tous les ans ou tous les 30 ans ? La compétition pour la lumière arrive tous les ans, alors que les panneaux ne deviennent bénéfiques pour les cultures que de temps en temps.

L’objectif de nos recherches est d’estimer une moyenne de l’impact final des panneaux, en considérant les aléas climatiques.

Du côté de l’élevage, n’était-ce pas bénéfique sur tous les points ?

L’ombre est toujours bénéfique pour les animaux lorsqu’il fait chaud. Les panneaux verticaux peuvent aussi protéger du vent. En revanche, l’herbe fonctionne comme la plupart des autres cultures : elle a besoin de lumière pour pousser.

La France vise 100 gigawatts de puissance photovoltaïque d’ici 2050. Dans quelle mesure l’agrivoltaïsme peut contribuer à cet objectif ?

D’après nos estimations, au moins la moitié de l’objectif de 100 GWc sera produit grâce à l’agrivoltaïsme, qui présente un bon compromis entre la faisabilité et le coût [en 2022, l’Ademe a recensé en France 167 projets agrivoltaïques pour 1,3 GW, ndlr]. 

Évidemment, si on fait de l’électricité à n’importe quel prix, poser des panneaux solaires sur les toits résidentiels, en France, suffirait. Mais cette électricité serait absolument hors de prix : elle nécessiterait d’équiper des petits toits mal foutus, qu’il faut parfois désamianter ou qu’il faut renforcer…  Sans compter que ce sont des projets de petite taille. Le coût de production grimpe à 150-180 € /MWh contre 80-90 pour l’agrivoltaïsme.

La force de l’agrivoltaïsme est de proposer des terrains très simples à aménager, plats et proches des postes de raccordement. Ces projets sont certes plus chers que les panneaux solaires installés directement au sol – de l’ordre de 10 euros par mégawatt, mais ils permettent de conserver le rendement agricole. C’est gagnant-gagnant.

Pour produire l’équivalent de la production électrique actuelle de nos 56 réacteurs nucléaires français, il faut 500 000 hectares en agrivoltaisme, soit seulement 2 % de la surface agricole française. On a donc un gisement énorme, disponible partout. C’est pourquoi je suis persuadé que l’agrivoltaïsme s’imposera comme l’une des manières les plus intelligentes de produire de l’électricité, sans stériliser les sols.

Certains, à l’instar de la Confédération paysanne, estiment pourtant que l’agrivoltaïsme menace directement l’agriculture…

Il y a aujourd’hui un écart d’environ 1 à 100 entre le revenu agricole et le revenu électrique à l’hectare permis par l’agrivoltaïsme. Aujourd’hui, les industriels, pour capter les bons terrains, proposent un loyer jusqu’à 5.000 euros par hectare. C’est une aubaine extraordinaire pour le propriétaire ou l’agriculteur. C’est évident. C’est aussi une incitation à ne plus cultiver. Pourquoi s’embêter à continuer à travailler si on gagne davantage sans rien faire ? Le système « gagnant-gagnant » de l’agrivoltaïsme repose néanmoins sur le fait que l’agriculteur continue à cultiver.

On a par exemple eu un très mauvais précédent avec les serres photovoltaïques, recouvertes jusqu’à 50 % de panneaux. Résultat : plus rien ne poussait correctement dessous, et la plupart de ces serres sont vides aujourd’hui. C’est l’un des risques avec l’agrivoltaïsme, s’il n’y a pas d’encadrement. Pour permettre la réussite de ce système, la réglementation est essentielle pour éviter l’abandon de l’agriculture sur les terrains concernés.

Or, aujourd’hui, la loi [adoptée en mars 2023, ndlr] et le projet de décret, tels qu’il ont été rédigés, mettent les agriculteurs dans une situation impossible. Ils autorisent les exploitants à mettre beaucoup de panneaux mais exigent des agriculteurs qu’ils n’aient qu’une baisse de 10 % du rendement. Les agriculteurs sont piégés. Sans oublier que cela risque de provoquer des tensions entre ceux qui installent des panneaux, et ceux qui n’en installent pas. Pour ces raisons, il est selon moi plus raisonnable de fixer un taux de couverture maximal à 20 %, qui entraînerait une baisse des rendements de seulement 15 à 20 %.

Y a t-il des retours d’expérience à l’étranger ?

Il y a un exemple absolument édifiant au Japon. La loi y est moins exigeante qu’en France : elle demande aux agriculteurs de faire 80 % de rendement. Pendant une dizaine d’années, il n’y a pas vraiment eu de contrôle, jusqu’à récemment... et aucun agriculteur n’arrive à atteindre l’objectif de rendement. La situation est donc devenue très instable parce que le risque est fort que les installations perdent leur tarif de rachat de l’électricité et deviennent déficitaires, ce qui conduirait au démantèlement des infrastructures. La conséquence la plus grave étant que les banques ne veulent plus financer ce type d’investissement parce que la menace de faillite est trop forte.

Il faut absolument éviter cette situation en Europe et en France. Les Allemands ont par exemple été beaucoup plus pragmatiques en fixant un objectif de 66 % de rendement – contre 90 % en France.

De plus, la loi française prévoit des contrôles de rendements, programmés à l’avance. C’est ridicule. Les agriculteurs à qui j’en parle rigolent. Ils me disent : « Ecoutez, s’il faut prouver que ça pousse mieux sous les panneaux qu’au soleil, c’est facile, il suffit d’oublier l’engrais au soleil ». C’est extrêmement facile à falsifier.

La FNSEA, contrairement aux Jeunes Agriculteurs, soutient le taux de couverture à 40 %. Pourquoi ?

Le syndicat s’est rangé derrière les industriels pour que les agriculteurs puissent bénéficier de cette poule aux œufs d’or. Jusqu’à 1 million d’hectares de terres sont déjà pré-contractualisés à ce jour ! Ils ne se sont pas rendu compte du piège dans lequel ils s’enfermaient : les agriculteurs ne pourront pas assurer le rendement. Mais la position de la FNSEA a évolué depuis, ils sont plus prudents maintenant et sont favorables au contrôle et à un encadrement plus strict.

Y a-t-il une piste d’évolution du décret ?

Actuellement, le décret est en consultation au Conseil d’État. On nous dit qu’il a été légèrement modifié. Je ne m’attends pas à ce qu’il y ait une révolution. Il devait être publié en janvier, puis en février, puis en mars… Il est désormais attendu en avril. On verra ! **


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** Le décret a été publié le 9 avril et conserve le taux de couverture à 40 %, avec une baisse de rendement maximum de 10 % par rapport à la moyenne de rendement observée sur une parcelle témoin. 
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