D’où vient votre intérêt pour l’environnement ?Je suis née dans une ferme du Poitou, de parents agriculteurs : de là vient ma sensibilité pour tout ce qui concerne la terre. Mes parents étaient engagés dans la défense de l’environnement et des droits humains, deux sujets qui se retrouvent dans mes documentaires et qui sont complètement liés. La Terre est vraiment notre maison commune, comme le dit le Pape dans son encyclique Laudato Si. Si on la détruit, plus aucune vie n’est possible pour nous.Comment avez-vous découvert le village d’Ungersheim ? Est-ce un exemple unique ?En 2014, j’ai réalisé le documentaire « Sacrée croissance ! », qui m’a conduite à faire un tour du monde des plus belles initiatives. À la fin d’une projection, à Thann en Alsace, le maire d’Ungersheim, Jean-Claude Mensch, est venu me voir : tout se faisait déjà dans son village de 2?200 habitants ! Ungersheim est vraiment unique au monde – c’est Rob Hopkins, l’initiateur du mouvement des villes en transition, qui le dit.Les élus et les citoyens ont-ils enfin pris conscience des enjeux environnementaux ?Comme le dit Nicolas Hulot, ça commence à infuser. Au parti socialiste, Benoît Hamon fait enfin le lien entre les crises écologique, économique et sociale. Ce n’est pas le cas de François Fillon, ni d’Emmanuel Macron. Il reste un gros travail à faire pour sensibiliser les syndicats. En revanche, je sens une prise de conscience chez les élus locaux. J’étais invitée par Ségolène Royal, la ministre de l’Environnement, à la signature des conventions de cent premiers territoires à énergie positive (Tepos), en décembre dernier. Tous ces projets sont impressionnants ! On pressent qu’il se passe quelque chose sur la transition énergétique. Mais sur la transition alimentaire, c’est moins évident. Pourtant, c’est un sujet central. Pour arriver dans un supermarché, un aliment a déjà parcouru en moyenne plus de 2?300 km. Aujourd’hui, pour produire une calorie alimentaire, on a besoin de 7 calories d’énergie fossile ! Transition alimentaire et énergétique sont indissociables. Il faut prendre conscience que si on ne mange pas bio et local, on contribue au réchauffement climatique. De plus, relocaliser la production alimentaire crée des emplois."Il faut croire en la possibilitéque les gens changent."Que peuvent les élus ?Jean-Claude Mensch est un exemple fort pour eux. Il a une grande capacité à rassembler, à miser sur les valeurs humaines. Ce maire a réussi à lancer des projets locaux, à créer des emplois, du lien social, sans endetter la commune. Il a commencé par l’économie, avec le projet du Trèfle rouge. Pour cela, il loue un terrain agricole municipal de 8 hectares à l’association Icare, membre du Réseau national des Jardins de Cocagne. Ça, c’est facile à faire ! Au final, une ferme bio emploie 25 personnes en insertion, fournit 200 paniers, la cuisine collective et offre des réductions pour l’utilisation de la monnaie locale, le Radis. La cuisine centrale est aussi issue d’un partenariat. Un élu qui veut entraîner sa municipalité dans la transition écologique doit tout d’abord avoir une vision des enjeux. Ensuite, rassembler. Et enfin, abandonner son ego pour faire aboutir des projets communs. Il faut croire en la possibilité que les gens changent.On n’a pas l’impression d’une grande mobilisation citoyenne à Ungersheim...Dans le film, on voit une cinquantaine de personnes mobilisées, mais en fait elles sont environ 150. Soit 20 % des adultes du village. C’est beaucoup ! Les enfants sont bien conscients des enjeux, et les adolescents participent aussi, par exemple au cadastre solaire ou au ramassage des bottes de paille.Est-ce transposable à une grande ville ?À Toronto, on casse des parkings pour installer de l’agriculture urbaine. Si la place manque, il faut casser ! Si on construit un bâtiment, il faut le végétaliser ! Toutes les friches industrielles sont des fermes urbaines potentielles. Pour une nouvelle construction, il faut une charte zéro déchets, etc. Le conseil municipal a du pouvoir.Par où commencer ?Au niveau local ! Rob Hopkins, qui a développé une approche du bas vers le haut (bottom-up), a changé d’avis après avoir été à Ungersheim. Il a reconnu le rôle des élus et adapté son discours… Il faut bien sûr que la société civile se mobilise, mais on a besoin des politiques, et l’engagement des élus permet de gagner du temps. C’est important, car on est dans une vraie situation d’urgence.Vous considérez-vous comme un lanceur d’alerte ?J’ai fait plusieurs documentaires sur des lanceurs d’alerte – je travaille d’ailleurs sur un documentaire sur le glyphosate pour Arte, huit ans après celui sur Monsanto. Mais aujourd’hui, je soutiens surtout les lanceurs d’avenir. Mais ce n’est pas facile. Pour Sacré Village, nous avons eu une aide et le soutien d’environ 7?000 personnes qui ont préacheté le DVD. En faisant cette version de 52 minutes, nous avons eu envie de faire une version plus longue, qui laisse plus la parole aux habitants d’Ungersheim. Pour ce film, mon mari, producteur, et moi-même nous sommes engagés personnellement. Notre objectif est de 100?000 entrées. Début février, nous en étions à 45?000, surtout grâce au bouche-à-oreille. Nous avons bon espoir car de nouvelles salles le programment pour les mois à venir.Propos recueillis par Albane Canto