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Quand les sciences humaines transforment les éco-entreprises

PUBLIÉ LE 13 JUIN 2017
LA RÉDACTION
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Le magazine pour les acteurs et décideurs du développement durable et des métiers de l’environnement.
Dans une tour de La Défense, un petit groupe déambule de bureau en bureau. Une pause café qui s’éternise ? Non. Ces employés d’une grande administration publique partagent la perception qu’ils ont de leur espace de travail sous l’œil d’Isabelle Richard, psychologue environnementaliste. Elle prend note, relance la parole, les invite à mobiliser leurs sens, à prendre leur temps, quitte à revenir sur leurs pas : « C’est un parcours commenté, une technique courante dans mon métier, éclaire-t-elle. Il consiste à analyser les interrelations homme-environnement à l’aide de diverses méthodes dont celle-ci, très pratique pour travailler en situation sur le ressenti, les observations, les représentations et comportements spatiaux ». C’est de la recherche – mobilisée dans un but précis : faire certifier cet immeuble en exploitation HQE –, mais tournée vers l’action « car nous façonnons ensemble la possibilité d’un meilleur aménagement de l’environnement intérieur ».Un laboratoire utilisateursL’exercice n’est pas anodin : ce volet confort importe bel et bien dans l’obtention de la certification. Reste que ces questions d’espace vécu, représenté et ressenti, longtemps ignorées dans l’approche environnementale du bâti, bousculent les conventions sur la priorité donnée depuis des lustres à la technique. Et voilà, sur ce seul exemple, réactivé le débat entre sciences dures, s’affranchissant du facteur humain, et sciences molles, aux outils mal compris et résultats difficilement quantifiables ! Si les premières ont la faveur des entreprises de l’environnement, les secondes s’y frayent un chemin, non sans peine : « Comme j’évolue dans un monde de techniciens et d’ingénieurs, il faut faire preuve de pédagogie, confie Jessie Huynh, l’unique ergonome à la R&I (recherche et innovation) de Veolia (300 chercheurs). Avant de participer à un projet, je dois expliquer mon métier, mes méthodes et ce que signifie le fait de travailler sur le facteur humain. » Au quotidien, elle exerce au sein d’un pôle d’une quinzaine d’experts spécialisés dans les sciences molles : « Ces dernières ont fait leur entrée à la R&I par le biais de recherches sur la propreté, les transports, l’énergie, puis l’eau. Nous montons actuellement un laboratoire utilisateurs, une vitrine pour sensibiliser en interne à nos métiers et toucher notamment les RH et chefs de projets. » Avec ses collègues expertes en sociologie et santé, elle joue la carte des complémentarités, intervient sur des projets de conception et d’accompagnement au changement, intègre des équipes projets en apportant sa valeur ajoutée. « En étudiant la relation entre l’homme et ses outils, méthodes et milieux de travail, c’est le bien-être des personnes et leur efficacité au travail que nous cherchons à optimiser. J’ai par exemple travaillé sur un prototype de tri téléopéré testé dans le centre d’Amiens, en analysant l’activité de l’opérateur de tri dans son ensemble, ses gestes, ses stratégies d’anticipation, de collaboration et de reconnaissance des divers types de déchets plastiques. »La crainte du rejetSituations de vie ou de travail, erreur et fiabilité humaines, valeurs, croyances, attitudes et habitudes, « autant d’aspects dont le secteur de l’environnement devrait être friand, puisqu’il implique par nature l’activité humaine et donc les usages », estime Gaëtan Brisepierre, sociologue spécialisé dans l’énergie et l’habitat. Passé par Engie avant d’enchaîner notamment les missions pour l’Ademe et Leroy Merlin – « deux acteurs qui ne se parlaient pas et se découvrent une culture commune depuis un travail sur la façon dont l’habitant s’approprie un logement BBC » –, il voit dans le chercheur un créateur de synergies, un jeteur de passerelles. Et prévient : « Méconnaître les usages et leur complexité, découpler la technique et l’humain, c’est, quelle que soit l’action menée, partir d’un mauvais pied. » Outre les sonder, l’enjeu dans sa discipline est de déconstruire les stéréotypes, par exemple la norme des 19 °C en décalage avec la réalité des pratiques de chauffage, et les concepts un brin passe-partout comme la sobriété énergétique, d’apporter un éclairage à partir d’investigations et de produire des données pour aider l’entreprise à se positionner et bâtir des stratégies efficaces, acceptables des usagers. « La crainte du rejet d’un projet est une voie d’entrée pour nous, qui sommes souvent sollicités sur des difficultés d’acceptabilité, poursuit-il. Nous ne plaquons pas de solutions toutes faites. Ne sommes pas consultants mais de bons artisans élaborant à chaque fois une démarche spécifique. Le sociologue ne dit pas voilà ce que vous devez faire, mais voilà le problème. »Une baguette magiqueDes freins pointés, parfois peu de leviers fournis. Une faute avouée, à moitié pardonnée car ces chercheurs s’emploient à la corriger en se frottant à l’action, apportant ainsi plus de pragmatisme et de valeur au client final. « J’aime la dimension interventionnelle de mon métier, faire qu’un diagnostic soit suivi d’une action, comprendre les comportements pour les faire évoluer, confirme la psychosociologue Delphine Labbouz. Elle aussi explore le subjectif : « Prenez une fenêtre, ce qui m’intéresse n’est pas de dire “Vous pouvez l’ouvrir” mais “Pourquoi ressentez-vous le besoin de l’ouvrir ?”. » Depuis qu’elle a passé sa thèse en entreprise chez Elithis (ingénierie du bâtiment), elle perçoit une acculturation des professionnels de la performance énergétique à l’égard des sciences molles : « Ils reconnaissent progressivement leur complémentarité avec les sciences de l’ingénieur. » Actuellement, elle travaille pour l’agence Sircome sur la réduction des consommations d’énergie de l’université de Rouen-Normandie, en utilisant les méthodes de psychologie sociale auprès des personnels et étudiants, pour cerner par exemple la perception qu’ils ont de la politique environnementale du campus. Comme nombre de confrères, elle est attachée à son indépendance : « Être intégrée dans une entreprise est enrichissant, mais on vous réclame parfois des choses décalées qui ne relèvent pas de votre discipline. On projette sur vous une capacité à prédire des comportements ou à tout résoudre d’un coup de baguette magique. » S’il existe des sociologues intégrés dans les grandes directions R&D, leur profil est particulier, selon Gaëtan Brisepierre : « Ils ne font pas de la recherche, mais l’interface entre leur hiérarchie et un vivier externe de chercheurs. Formulent la demande, suivent la prestation, assurent sa restitution. Et défendent sa portée qualitative, point sur lequel les entreprises ont du mal car dès qu’on sort du quantitatif, de la culture du chiffre, elles perdent pied. »Mêler les techniquesAvec les sciences molles, nul démonstrateur ni brevet : prouver qu’elles concourent au changement ou à une innovation n’est guère aisé. L’un des faits d’armes de la sociologie de l’énergie est néanmoins entendu : avoir décelé que dans les bâtiments performants énergétiquement, la technique ne rend pas forcément l’occupant économe. En interrogeant cet enjeu, cette discipline a su imposer l’idée qu’un accompagnement est obligatoire et qu’il faut se poser la question de la participation des usagers à la performance énergétique du bâtiment dès la conception de ce dernier. Les professionnels qui l’ont compris intègrent cette prestation : la sociologie de l’énergie a ainsi contribué à faire émerger un métier, celui d’assistant à la maîtrise d’usage (AMU). Experts de certains secteurs à force de les observer, les chercheurs en sciences molles ont le don pour cerner un problème et employer de bonnes méthodes pour le résoudre. Pour ce faire, Isabelle Richard embarque dans ses projets des ingénieurs, climatologues, acousticiens ou ethnologues. Sa marque de fabrique : mêler les techniques et impliquer aussi bien les chercheurs que les acteurs participant à l’expérimentation, avec un recours au jeu, à la créativité. Très active dans la mobilité – elle a fait sa thèse sur le covoiturage –, elle vient de cibler l’inefficacité des services de covoiturage créés dans le cadre des plans de déplacements interentreprises (PDIE). Et trouver preneur à la communauté d’agglomération Roissy-Porte-de-France (Val-d’Oise) : « J’ai travaillé avec des salariés pour comprendre pourquoi ils ne se les approprient pas. Et dégagé des solutions pour y remédier. » Une posture tournée vers l’action qui offre un avenir à ces métiers qui, discrètement mais sûrement, savent se rendre utiles.Morgan Boëdec
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