«Nulle jouissance privative du domaine public n'est p o s s i b l e qui a u ra i t pour résultat de supprimer, ou simplement de compromettre, le libre exercice des droits de tous : les biens du domaine public doivent être, avant tout, conservés à leur destination. L'on ne voit, par contre, aucun obstacle de principe à ce que des usages privatifs soient exercés sur le domaine public, dès lors qu'il n'en peut résulter aucune atteinte aux droits de la communauté?» (1). Les dépendances du domaine public profitent à tous, car elles peuvent être en principe librement et gratuitement utilisées ou e m p r u nté e s conformément à leur destination (2). Elles peuvent aussi être affectées à un usage privatif, temporaire ou prolongé, si celui- ci est compatible avec la destination de la dépendance concernée (3) et sans que l'autorité compétente n'ait en principe à faire précéder leur délivrance d'une procédure de publicité et de mise en concurrence (4), même si elle le peut. Ces occupations peuvent juridiquement revêtir la forme de conventions, administratives par détermination de la loi (5), ou d'actes unilatéraux prenant la forme d'arrêtés (6). Lorsque sont concernées des dépendances du domaine public routier, les autorisations unilatérales de voirie relèvent des permissions de voirie ou des permis de stationnement.
I.Une distinction fondée sur l'existence ou non d'une atteinte à l'assiette de la dépendance
La d i s t i n c t i o n entre permis de stationnement et permission de voirie est ancienne et fait suite à un différend pour déterminer la collectivité bénéficiaire des ressources procurées par l'occupation du domaine public. Dans un avis du 30?novembre 1882, le Conseil d'État a estimé que «?l'occupation entraînant une emprise du domaine public ou une modification de son assiette ne rentre pas dans la catégorie de celles à raison desquelles un droit de stationnement ou de location peut être perçu par la commune ; mais, dans les autres cas, au point de vue de la perception de ce droit, il n'y a pas à distinguer si l'occupation est seulement instantanée ou si elle se prolonge plus ou moins longtemps?». Ainsi, «?les dispositions législatives [les lois des 11 frimaire an?VII et 18?juillet 1837] n'ont pas d o n n é aux co m mu n e s le droit de p e rce vo i r des redevances à l'occasion des occupations qui entraînent une emprise sur le domaine national et en modifient l'assiette?». Le c r i tè re de d i s t i n c t i o n est donc l'atteinte, la modification de l'assiette de la dépendance domaniale (7). Il sera consacré par la jurisprudence administrative (8), puis par les tex tes. En ver tu de l'ar ticle L. 113-2 du Code de la voirie routière, «?(…) l'occupation du domaine public routier n'est autorisée que si elle a fait l'objet, soit d'une permission de voirie dans le cas où elle donne lieu à emprise, soit d'un permis de stationnement dans les autres cas (…) ». Ainsi, le seul fait de poser un meuble sur une dépendance du domaine public routier nécessite un permis de stationnement, qu'il s'agisse de terrasses de café, d'échafaudages, d'abribus, de panneaux publicitaires, de palissades de chantier ou de la neutralisation d'une voie pour cause de déménagement ou d'emménagement. Si des travaux sont nécessaires, comme un ancrage au sol ou des fondations (canalisations, k iosques, abribus (9), etc.), une permission de voirie devra être sollicitée auprès de l'autorité p ro p r i é t a i re de la d é p e n d a n c e. Ce t t e distinction h i s t o r i q u e et matérielle mérite d'être remise en cause. Dans sa thèse de 1935 sur «?Le stationnement sur la voirie terrestre?», E.?Laquien posait la question suivante, avant d'y répondre sans ambages : «?Est-il e n co re p o s s i b l e de d i re que le permis de stationnement n'est qu'une autorisation de police de la circulation ? Nous ne le croyons pas. L'intérêt général, tel que l'entend la jurisprudence est plus qu'un intérêt de police, puisqu'il embrasse la bonne gestion du domaine et le permis tend de plus en plus à se transformer en un instrument d'exploitation rationnelle et productive du domaine public de voirie?» (10).
I I. La d i s t i n c t i o n des autorités a d m i n i s t r at i v e s compétentes
Les permis de stationnement sont définis par le professeur L. Tro-tabas comme «?un mode précaire d'utilisation privative, accordé par l'autorité titulaire des pouvoirs de police générale, qui se manifeste par une occupation du D omaine permanente et sans emprise?» (11). Ils sont délivrés par les autorités de police compétentes en matière de circulation, c'est-à-dire les maires pour toutes les voies qui traversent l'agglomération (12) et en dehors de celles-ci, par le préfet sur les routes nationales et par le président du conseil général sur les routes dépar tementales (13).
Quant aux permissions de voirie, elles relèvent de la compétence des autorités propriétaires du domaine public, c'est-à-dire l'exécutif dépar temental pour des routes dépar tementales (14) et le préfet (15) pour les dépendances et routes nationales, qu'elles traversent ou non une agglomération (16). Si une agglomération doit être traversée, le préfet doit solliciter l'avis du maire (17) et cette formalité présente un carac tère substantiel (18). Une disposition du Code général des collectivités territoriales qui mériterait d'être réexaminée prévoit que le représentant de l'État puisse accorder une permission de voirie relevant des attributions du maire s'il estime que le refus de ce dernier n'est pas justifié par un motif d'intérêt général (19). Mais, dans tous les c a s, le conseil m u n i c i p a l n'a pas à se p ro n o n ce r, ni à être consulté au préalable (20).
I I I. La n a t u r e des autorisations de voirie
Les autorisations de voirie ne peuvent être légalement délivrées que si elles sont co m p a t i b l e s avec l'a ffe c t a t i o n du domaine public ro u ti e r, qu'il s'agis s e des voies, places p u b l i q u e s, t rottoirs et a u t re s dépendances. Il a pp ar ti en t à l'autorité c hargée de la gestion du domaine public de fixer «?tant dans l'intérêt du domaine et de son a ff e c t a t i o n que de l'intérêt g é n é ra l, les conditions a u xq u e l l e s elle e n te n d subordonner les permissions d'occupation?» ( 2 1 ). C e t t e réglementation doit également ré po n dre à des con s id érations t enant à l'intérêt du domaine public et à son a ff e c t a t i o n à l'intérêt général ( 2 2 ). «?Si, dans l'exercice de ses pouvoirs de gestion du domaine public maritime, il a pp ar ti en t à l'administration d'accord er à titre temporaire des autorisations d'o c c u p a t i o n privative d ud i t domaine et dans les conditions prévues par la réglementation en vigueur, ces autorisations ne peuvent légalement inter venir que, si, compte tenu des né ces s i tés de l'intérêt g é n é ra l, elles se co nc i l ie nt ave c les u sa g e s conformes à la de s ti nati o n du domaine public que le public est no rm al e me nt en droit d'y e xe rce r, ai n si q u'ave c l'obligation qu'a l'administration d'assurer la conser vation de son domaine public?» (23). Ces autorisations sont temporaires (24) et c'est pourquoi le titre doit fixer la durée de l'occupation ou de l'utilisation du domaine public ( 2 5). El les sont également pré cai res et révocables en ver tu des dispositions législatives et réglementaires a p p l i c a b l e s du Code général de la propriété des personnes publiques (26) qui confirment une jurisprudence constante du Conseil d'État (27), car elles «?n'existent que dans l'intérêt même du domaine sur lequel elles ont été accordées?» ( 2 8 ). Par s u i te, les occupants n'ont pas de droits acquis ni à leur maintien, ni à leur renouvellement (29). Ces carac tère s font en outre obstacle à ce que la responsabilité de la puissance publique puisse être engagée sur le fondement du principe de l'égalité des citoyens d evant les charges publiques à l'ég ard d'un p ar t icu li e r s'étant vu refu s er une autorisation de voirie ( 3 0).
I V. La s o u m i s s i o n des autorisations de voirie au paiement d'une redevance
Selon l'a r t i c l e L. 2 1 2 5 - 1 du Code général de la propriété des personnes p u b l i q u e s, «?Toute occupation ou utilisation du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'a r t i c l e L. 1 donne lieu au paiement d'une redevance?». L'ar ticle L. 2125-3 de ce même code dispose que «?La redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des a va n t a g e s de toute n a t u r e procurés au titulaire de l'a u t o r i s a t i o n (…) ». E n outre, aux t e r m e s de l'a r t i c l e L. 2 2 1 3 - 6 du Code général des collectivités territoriales : «?Le maire p e u t, m o ye n n a n t le paiement de droits f i xé s par un t a r i f dûment é t a b l i, d o n n e r des permis de stationnement ou de d é p ô t temporaire sur la voie p u b l i q u e, sur les r i v i è re s, p o r t s et q ua i s fluviaux et a u t re s lieux publics, sous réser ve que cette autorisation n'entraîne aucune gêne pour la circulation, la na vi g ati o n et la l i b er té du commerce?». La d é l i v r a n ce des autorisations de voirie a pour co n t re p a r t i e le paiement d'une redevance. La détermination de son montant relève de la compétence de l'a s s e m b l é e délibérante, s a u f d é l é g at i o n accordée au m a i re ( 3 1 ), qui fi xe le p r i x unitaire au mètre c a r ré en fo n c t i o n notamment des s e c te u r s concernés, de la nature et de l'objet de l'autorisation (32). «?Les communes sont f o n d é e s à re co u v re r au titre des o cc u p a t i o n s privatives de leur domaine public des re d e va n ce s calculées en te n a n t compte des a va n t a g e s de to u te nature p ro c u ré s au co n ce s s i o n n a i re ou permissionnaire de voirie?» (33). La valeur locative des propriétés p r i vé e s comparables n'e s t donc q u'u n critère i n d i c at i f parmi d'a u t re s (34). Le t a r i f doit être fixé en fo n c t i o n des re s s o u rce s procurées par c e t avantage, mais il ne doit pas être manifestement e xc e s s i f compte tenu de l'a v a n t a g e que l'occupant est s u s c e p t i b l e de re t i re r de l'o c c u p a t i o n privative de c e t t e dépendance du domaine public ( 3 5 ). Il sera donc n é c e s s airement plus é l e v é pour une exploitation c o m m e r c i a l e que pour une utilisation p o n c t u e l l e et l i m i té e du domaine dans un intérêt non c o m m e rcial.
V. Les motifs de refus et de retrait d'une autorisation de voirie
Les motifs premiers de refus de délivrer une autorisation de voirie étaient tirés de l'intérêt de la voirie, c'est-à- dire de sa conservation et de la circulation (36). Ils se sont élargis au fur et à mesure que le domaine public suppor tait des activités de plus en plus diverses et variées. Désormais, l'ar ticle R. 2122-7 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose que, «?En cas d'inobservation de ses clauses et conditions ou pour un motif d'intérêt général, il peut être mis fin à l'autorisation d'occupation ou d'utilisation temporaire du domaine public par les autorités compétentes (…) ». Tout motif d'intérêt général peut donc justifier une mesure de refus, de renouvellement ou d'abrogation d'une autorisation de voirie. Si c'est un tel motif qui justifie le retrait de l'autorisation d'occupation avant l'expiration du terme fixé, le titulaire évincé peut prétendre, outre à la restitution de la par tie de la redevance versée d'avance et correspondant à la période restant à courir, à une indemnité égale, sous déduction de l'amor tissement calculé dans les conditions fixées par le titre d'autorisation, au montant des dépenses exposées pour la réalisation des équipements et installations expressément autorisés, dans la mesure où ceux- ci subsistent à la date du retrait (37).
L'a u to r i s at i o n de voirie ne doit pas e nt ra î n e r une gêne pour la circulation des piétons et des véhicules p u i s q u e telle est l'a f fe c t a t i o n du domaine public ro u t i e r. E l l e doit p ré vo i r un passage suffisamment large sur les trottoirs pour les piétons (38). L'installation d'une terrasse ou d'un panneau suppor tant par exemple un plan urbain ne pourra être légalement autorisée sur un trottoir qui ne serait pas assez large au point de gêner les piétons ou les obliger à passer en face. Est ainsi illégal un permis de stationnement ayant pour effet de réduire à à peine plus d'un mètre la largeur de la par tie du trottoir maintenue à la disposition des piétons (39). Si une autorisation qui prévoit la délivrance d'autorisations d'occupation privative du domaine public communal ne por te pas, par elle - même, atteinte au principe de la liber té du commerce et de l'industrie (40), elle ne doit cependant pas y contribuer indirec tement (41). Ne peut ainsi être légalement autorisée l'installation d'une terrasse devant la devanture d'un autre commerce dont elle cache ou empêche l'a ccès. Les motifs p euvent également être tirés de l'at te inte à la sécurité publique l o r s q u e l'occupant ne re s p e c te pas la délimitation prévue et gêne l'accès des véhicules de secours (42). Les droits d'accès des riverains à leur propriété doivent être respec tés (43), mais une permission de voirie peut cependant être légalement refusée pour des motifs tirés de la conser vation et de la protec tion du domaine public ou de la sécurité de la circulation sur la voie publique (44). Le refus de délivrance peut avoir pour fondement un motif financier se rattachant à une meilleure exploitation du domaine, soit parce que l'occupant ne s'acquitte pas de son obligation financière, et dans ce cas il s'agit du non-respec t par le permissionnaire des conditions imposées, soit parce que la collectivité a décidé d'augmenter le montant de la redevance exigée (45). Le refus ou le retrait peut encore être justifié pour tout motif tiré de l'intérêt général (46), d'hygiène et de salubrité publique (47) ou pour des considérations esthétiques (48). Un retrait fondé sur la condamnation pénale du titulaire de l'autorisation d'occupation pour avoir employé dans son établissement des étrangers en situation irrégulière a été jugé légal (49). Enfin, l'administration ne peut laisser subsister un ac te illégal. Aussi est- elle en situation de compétence liée pour mettre fin à une autorisation illégale d'occupation du domaine public (50).