Par loyauté pour l'entreprise, je ne répondrai pas à vos questions... » Chez Suez et Veolia, pas facile de rompre le silence sur la manière dont les salariés vivent l'ambiance interne. Est-on heureux dans une major ? « On s'attend en arrivant à ce que chacun soit cantonné dans son secteur ; mais l'organisation en petites structures peu éloignées du centre décisionnel préserve une bonne ambiance », défend Olivier Courquin, chez Sita. Chez Veolia Eau comme à la Lyonnaise, même constat : « Dans l'eau, pas de délocalisation possible, on fonctionne par centres régionaux et on se connaît à force de manger le midi côte à côte », ajoute François Bernazeau, responsable eau potable à la Lyonnaise-Yvelines. « Certes la solidarité existe entre collègues, rétorque un salarié d'Elyo, autre filiale de Suez, mais tout est fait pour favoriser l'individualisme, et le rapport de force est nécessaire pour se faire entendre. » Un individualisme accentué, selon des salariés de Veolia, par un système de notation et de prime d'efficacité à l'impact certain sur la paie mensuelle. « L'ambiance dépend donc des managers et, en la matière, ça tourne vite, trop vite, au rythme d'un directeur tous les deux ans », confie une salariée de Veolia Eau. Stimulantes pour les uns, rotation du personnel et mobilité interne sapent l'attachement à l'entreprise et à ses valeurs pour les autres. « Des valeurs auxquelles je n'ai pas adhéré car elles sont décalées par rapport aux inégalités visibles sur le terrain entre salariés », précise un jeune responsable parti chez un concurrent après avoir entamé la formation d'apprenti proposée par Veolia.
Au trop-plein de discours et de communication s'ajoute un autre reproche : la course au profit. Une pression parfois mal ressentie en interne, a fortiori lorsque l'entreprise a, par voie délégataire, quasi vocation de service public. Ce qui est le cas de Veolia Eau, ex-Générale des eaux, dont les principaux clients sont des collectivités. « L'ambiance a longtemps été familiale, paternaliste ; on recrutait même les fils des agents. Notre métier reposait sur la confiance des élus et la conscience du service rendu aux usagers. Avec le scandale Messier et la restructuration, on est passé d'un métier d'exploitant de réseau à un métier de service avec obligation de rentabilité. Depuis, fini l'illusion d'une maison où on se sentait bien. Chez les anciens, le choc a été rude ; beaucoup n'attendent plus que la retraite », explique Jean-Luc Touly, ex-responsable administratif, licencié de Veolia Eau après avoir publié un livre sur l'époque Vivendi. Et les jeunes ? Certains se sentent bien intégrés lorsqu'ils évoluent dans le service où ils ont effectué au préalable une formation. D'autres ont conscience qu'ils pourront vite profiter d'opportunités de carrière. « Car dans le cas où on se lasserait, conclut François Bernazeau, vingt ans de métier derrière lui, le groupe offre deux atouts imparables : pouvoir exercer comme je l'ai fait à l'international [lire p. 111] ou changer de métier. Certains sont ainsi passés de l'eau au déchet ! » Plusieurs métiers dans une seule vie, bouffée d'air pour les uns, cauchemar de la flexibilité pour les autres.