L'été dernier, le secrétariat d'État chargé de l'eau du Maroc déclare que 152 communes rurales, dans le sud et le centre du pays, sont sinistrées, et débloque 59 millions de dirhams (environ 500 000 euros) pour leur fournir une aide d'urgence sous forme de forages et de réservoirs de stockage. Le Maroc, qui est le pays d'Afrique du Nord bénéficiant du plus important bénéfice pluviométrique, a enregistré plus de vingt épisodes secs durant les trente dernières années. Les études de séries ont permis de montrer que les sécheresses étaient de plus en plus longues et sévères, avec une réduction des apports pouvant dépasser 60 %, comme lors de la sécheresse de 1998-2001. Désormais, l'administration marocaine considère la sécheresse comme un phénomène structurel, qu'elle intègre à sa stratégie de gestion de l'eau. En Algérie, l'érosion des sols due à l'augmentation des phénomènes climatiques violents, a provoqué l'envasement de 25 % des barrages. Le ministère des Ressources en eau a confié à Sogreah une étude sur les changements climatiques et leurs éventuelles influences sur la politique de l'eau. L'étude a commencé il y a un an et n'est pas encore terminée. « Pour le moment nous ne pouvons pas trancher, explique Dominique Combe, responsable des filiales internationales pour Sogreah. Les séries que nous utilisons pour notre étude varient beaucoup en fonction des régions. Il est difficile de savoir si l'on assiste à un véritable changement climatique, ou simplement à une suite de séries difficiles. » Selon Alice Aureli, spécialiste du programme PHI (Programme hydrologique international) à la division des sciences de l'eau de l'Unesco, le plus grand problème n'est pas la sécheresse : « Ce qui nous inquiète le plus c'est que, pour faire face à une demande grandissante, les États puisent dans les nappes souterraines qui ont un taux de recharge très faible. L'évolution climatique et ses projections dans l'avenir sont certes préoccupantes, mais le problème le plus crucial concerne l'utilisation de ressources non renouvelables qui manqueront aux générations futures. »Dans son dernier rapport annuel, le PNUD désigne la région Maghreb-Machrek comme « la région soumise au stress hydrique le plus important ». On y apprend que le GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat) prévoit « une diminution des précipitations en Égypte, en Jordanie, au Liban et en Palestine. La hausse des températures et l'évolution des modèles de ruissellement influenceront le débit des fleuves dont dépendent les pays de la région ». En ce qui concerne l'Afrique du Nord, « des augmentations, même modestes, de température pourraient changer de manière drastique la disponibilité de l'eau. Par exemple, une augmentation de 1 °C pourrait réduire les écoulements dans le bassin d'Ouergha au Maroc de 10 % à l'horizon 2020 ». Pour la Syrie, les projections prévoient une diminution des ressources en eau renouvelables de 50 % en 2025, par rapport à 1997.Le PNUD souligne également que le Jourdain, le Nil, le Tigre et l'Euphrate font partie des fleuves les plus touchés dans le monde par « une surextraction sévère et une diminution des débits ». Au final, la région Maghreb-Machrek devrait voir ses ressources en eau baisser d'un quart à l'horizon 2020, date à laquelle 90 % de la population habitera dans un pays en état de pénurie d'eau.Et pourtant, la majorité des pays de la région affichent des chiffres satisfaisants au regard des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ainsi, un pays au climat aride et semi-aride comme la Jordanie, qui ne dispose que de 135 m3/hb/an, offre un accès à l'assainissement à 99 % de sa population et à 96 % pour l'eau potable. L'Algérie a reçu l'an dernier un satisfecit du représentant-résident du PNUD dans le pays, qui a déclaré : « L'Algérie, qui a fait des progrès pour l'accès à l'eau potable, peut atteindre 100 % des objectifs de développement d'ici à 2015 si elle réalise ses projets en chantier, notamment ceux de dessalement d'eau de mer. » Deux faiblesses persistent cependant dans la région : le retard des ménages ruraux dans l'accès à l'eau et la priorité accordée à l'eau potable, qui relègue l'assainissement à l'arrière-plan.Seuls deux pays dans la région accusent un important retard : le Yémen qui voit s'ajouter à la pauvreté de ses ressources économiques une démographie galopante (sa population devrait doubler d'ici à 2025, ce qui diminuerait d'un tiers ses ressources en eau à cette date), et l'Autorité palestinienne. L'ensemble des décideurs de la région ont pris conscience que l'eau est une ressource qui va aller en se raréfiant et que seule une politique de l'eau appropriée permettra d'éviter que les populations n'aient à supporter, dans l'avenir, de grandes pénuries. Dès les années 90, les pays du Maghreb ont édicté des programmes ambitieux pour économiser les ressources en eau et faire face aux besoins du pays. Actuellement, l'ensemble de la région légifère sur le sujet et des études complémentaires sont commandées à des sociétés de conseil pour améliorer les stratégies existantes.Rationnaliser l'utilisation de la ressourceLa mise en place d'une véritable politique intégrée de l'eau passe par une meilleure utilisation des ressources. L'un des problèmes les plus préoccupants pour la région est le développement désordonné, voire anarchique, des forages. Le Yémen souffre particulièrement de cette déréglementation : en milieu rural, sur les 13 000 puits en service, seulement 70 sont publics.Au début de la décennie, pour encourager l'agriculture, le gouvernement algérien avait mis en place des subventions aux forages. Depuis, le pays a confié à Sogreah le soin d'inventorier ses ouvrages de petites et moyenne hydraulique. Selon Dominique Combe : « Entre l'appel d'offres et maintenant, le nombre d'ouvrages repérés a été presque multiplié par trois. Il y a eu une véritable explosion dans ce secteur ». L'étude proposera des orientations générales en matière d'aménagement du territoire. Dans les régions les plus favorables à l'agriculture, des regroupements de petits producteurs sur un même forage seront conseillés. La Jordanie a, elle aussi, lancé une étude pour faire le point sur ses ressources et réglementer l'offre et la demande d'eau issue du pompage. Il est prévu de rendre obligatoire le permis de forer. Mais pour le moment, la moitié des 2 000 puits en service ont été construits illégalement.Dans son rapport de 2006, le PNUD insiste longuement sur l'importance de réduire ce qu'il nomme « les subventions iniques ». L'Arabie Saoudite y est citée en exemple : après une utilisation massive de l'argent du pétrole pour financer une irrigation coûteuse pour la culture et l'exportation de luzerne et de blé, gros consommateurs d'eau, le pays a effectué un tournant en 2004 en réduisant ses subventions en direction de ces cultures dispendieuses.Le Maroc a mis au point un projet de redistribution des ressources en eau des bassins excédentaires du Nord, vers ceux du Sud. À partir du Loukkos, l'eau va descendre par un système de transfert en cascade, par canalisation, vers le bassin de Sebou. Elle se rend ensuite dans le Bouregreg, l'Oum el Rabii, avant d'arriver à Marrakech. Selon Majid Ben Biba, du secrétariat d'État chargé de l'eau, ce système permettra d'acheminer l'eau vers le Sud, et aussi de pratiquer une interconnexion entre les bassins, en pratiquant des échanges, en cas de déficit. « Les bassins du Sud, et notamment celui d'Agadir, ont demandé à être raccordés à ce projet, mais c'est pour le moment impossible à réaliser », précise-t-il. Le bassin de Marrakech est prioritaire dans ce transfert, dont il doit pouvoir bénéficier à partir de 2010-2012. Le choix de Marrakech comme zone prioritaire s'explique par l'épuisement de sa nappe (dont le niveau baisse de 1 à 3 mètres par an) et par l'afflux croissant de touristes dans la ville.L'importance des phénomènes climatiques violents est prise en compte dans les politiques de l'eau. La Jordanie a mis en place un plan sécheresse qui prend en compte les degrés de gravité de manque d'eau. À chaque cas correspondent des mesures d'économie adaptées, impliquant des coupures dans la distribution, plus ou moins prolongées. En 2006, le ministère de l'Eau et de l'Irrigation a fait appel à la société américaine STS International pour améliorer ce plan sécheresse.Le Maroc s'est lancé dans une politique d'agrandissement des barrages. « Il faut que nous opérions une révolution mentale, souligne Majid Ben Biba, du secrétariat d'État chargé de l'eau. Nous devons accepter qu'un barrage reste à moitié vide pendant de longues périodes, si cela nous permet d'augmenter nos approvisionnements. Nous devons nous adapter à ce que nous offre la nature. » Dans quelques mois, les travaux portant sur le barrage Sidi Mohammed Ben 'Abdallah, qui alimente Rabat, seront achevés. Engagés il y a quatre ans, ils permettront de porter la capacité de l'ouvrage de 433 Mm3 à 1 000 Mm3.L'exploitation des aquifèresLe recours aux transferts d'eau se poursuit. Pays précurseur en la matière, avec la construction de la « grande rivière artificielle », lancée en 1985, la Lybie achemine l'eau du sud du pays, pompée dans le grand aquifère des grès de Nubie, vers ses villes côtières dont les nappes superficielles ont été surexploitées. Le long de cette énorme canalisation, des bassins de contention vont compléter l'ouvrage, qui devrait être terminé en 2010. De son côté, la Jordanie vient d'attribuer à la compagnie turque Gama son projet de transfert de l'eau sur 250 km, de l'aquifère du Disi, dans le Sud du pays, vers Amman. Ce projet, qui coûtera au moins 600 M$, pourrait être achevé dans quatre ans. Il permettrait de renforcer la sécurité hydrique du pays pour vingt ans. L'Algérie poursuit sa politique de transfert commencée dans les années 80, avec l'annonce, l'été dernier, de l'attribution du projet de transfert In Salah-Tamanrasset (700 km de canalisations, pour un coût estimé à 300 M€) à la société chinoise CGC/SIPSC. En 2009, trois autres transferts devraient être lancés, à partir de pompages dans l'aquifère du Complexe Terminal à Laghouat, Aïn Séfra et Goléa vers les Hauts Plateaux du Nord.Les pays du Maghreb et du Machrek comprennent trois grands aquifères : le Complexe Terminal, réparti entre l'Algérie, la Lybie et la Tunisie, le Grès de Nubie ; l'un des plus importants au monde et dont les dimensions restent inconnues, caché sous le Tchad, le Soudan, l'Égypte et la Lybie ; et plus à l'Est, l'aquifère de la péninsule arabique qui couvre les pays du Golfe et qui s'étend jusqu'aux abords de la Méditerranée. L'eau pompée dans les grands aquifères représente 95 % des approvisionnements en eau de la Lybie et 93 % de ceux de l'Arabie Saoudite. Ces deux pays ont multiplié par dix leurs prélèvements souterrains entre 1970 et 2000. Jean Margat, hydrogéologue et vice-président du Plan Bleu, a établi un indice de production d'eau non durable, qui est particulièrement élevé pour les pays de la région : 89 % en Arabie Saoudite et en Lybie, plus de 50 % pour les Émirats arabes unis, la Jordanie et le sultanat d'Oman, et 29 % en Algérie.Cette grande dépendance vis-à-vis de ressources non renouvelables mobilise l'Unesco. « En Europe du Sud, nous avons effectué les mêmes excès dans les années 70, explique Alice Aureli. Il y avait de l'eau à profusion, et nous avons pompé sans nous préoccuper de l'appauvrissement des ressources. Comme nous, les pays du Maghreb et du Machrek ont utilisé largement une ressource qui promettait d'être inépuisable. Il ne faut pas oublier que l'étude des nappes souterraines est une discipline très jeune, apparue dans la fin des années 60. La découverte du faible taux de recharge de ces nappes est récente. » Depuis 1999, le programme Isarm de l'Unesco entreprend de recenser et d'étudier en détail les grands aquifères partagés du monde.Ressources complémentaires et économiesPour s'orienter vers une politique durable, les pays s'orientent vers les ressources complémentaires. Lors d'un discours optimiste datant de janvier dernier, le ministre algérien des Ressources en eau, Abdelmalek Sellam, a affirmé que la population serait à l'abri de pénuries grâce à l'utilisation conjointe des nappes souterraines, des barrages et du dessalement. Le pays s'est également donné comme objectif de réutiliser 60 % de son eau. Le programme H24, qui doit permettre une distribution en continu d'eau, devrait être atteint pour Alger avant la fin de l'année, grâce à la mise en service en février du barrage de Taksebt (150 000 m3/j) et de l'usine de dessalement d'El Hamma (200 000 m3/j), construite par GE Water %26 Process Technologies. Cette usine fait partie d'un programme de construction de 14 stations de dessalement à travers l'Algérie d'ici à 2010, qui permettra de produire près de 2,3 milliards m3/j d'eau potable supplémentaires.La Jordanie, outre le projet du Disi, envisage de conforter sa situation grâce à un autre grand ouvrage, un canal reliant la mer Morte à la mer Rouge, assorti d'une usine de dessalement, permettant de fournir 850 Mm3 /an. La Jordanie fait également appel à « l'eau virtuelle », présentée par le PNUD comme un des moyens de substitution à des ressources non durables. Selon les chiffres de l'Unesco, le royaume hachémite importe entre 60 et 90 % de son eau, sous forme de nourriture. L'administration lybienne pense également à ce genre de solution. Selon la Direction générale de l'eau, le programme de la grande rivière artificielle a été prévu pour cinquante ans d'exploitation, et des solutions de rechange sont déjà examinées : importation de produits agricoles en provenance des pays voisins, comme le Tchad, investissement et production agricole dans ces pays, ou achat d'eau à des pays aux importantes ressources, comme le Congo. Enfin, l'accent sera mis également sur la réduction des pertes des réseaux de distribution, estimée entre 20 et 40 % au Maroc. Ce pays a également axé ses efforts sur les milieux ruraux, avec un objectif de 60 % d'économies d'eau, en réduisant les fuites et en améliorant l'irrigation.