Aujourd'hui, la gestion des eaux de pluie est avant tout un problème d'évacuation. Certes, des techniques compensatoires se développent pour réduire significativement les flux d'eau à gérer par temps de pluie. Mais les stratégies actuelles reposent encore largement sur la mise en place de réseaux d'évacuation, avec des tuyaux de taille suffisante, des pompes et un milieu récepteur pour acheminer l'eau de pluie en toute sécurité vers son exutoire. Si les tuyaux d'évacuation ou la capacité de traitement des eaux de pluie recueillies ne suffisent pas, il faut mettre en place des structures de stockage tampon pour étaler l'évacuation dans le temps.
Mais se posent alors deux problèmes distincts, selon la configuration du réseau. Dans les réseaux séparatifs, l'eau de pluie est simplement conduite vers un exutoire naturel, le plus souvent sans traitement complexe. L'un des principaux problèmes repose sur la conservation des premières eaux pluviales très chargées, afin d'éviter de contaminer le milieu récepteur. « J'ai été l'un des initiateurs, à la fin des années 1970, des bassins tampons de stockage en zone littorale pour la conservation des premières eaux pluviales chargées en germes fécaux qui représentent un risque pour les plages et les cultures de coquillages. En trente ans, nous avons réalisé plus de cinquante de ces bassins destinés à protéger le milieu récepteur », rappelle Bernard Saunier, PDG de Saunier & Associés. Selon lui, il s'agit là d'une solution économique car elle est facile à gérer et réduit au minimum les rejets dans le milieu récepteur. Certaines collectivités profitent même de l'installation de réseaux d'eau de pluie pour mettre en place une infiltration capable de recharger les nappes phréatiques. La question de l'infiltration se pose dès qu'un bassin est envisagé, mais la nature du sol et des eaux de pluie ne l'autorisent pas toujours. Un compromis est parfois possible, avec la mise en place d'un géotextile perméable sur les parois du bassin, qui permet une infiltration partielle tout en prévoyant un système d'évacuation vers un autre exutoire en surface.
SELON LA DENSITÉ
De nombreux modes de stockage pour les eaux de pluie existent. Le choix se fait avant tout en fonction de la densité de l'habitat environnant. Il y a tout d'abord le surdimensionnement des réseaux, qui est une option fréquente en zone urbaine. Cela concerne le plus souvent des installations nouvelles car leur mise en place en cas de réaménagement est extrêmement coûteuse. Certes, cette technique présente le désavantage de ne pas permettre une dépollution par décantation, mais elle est adaptée pour les réseaux unitaires qui sont largement majoritaires et qui conduisent à acheminer les eaux usées vers la station d'épuration.
Autre possibilité : le bassin à ciel ouvert, sec ou en eau. Il reste le choix le plus classique à l'heure actuelle, notamment en zone rurale car il est peu coûteux à mettre en oeuvre lorsque l'on dispose de l'espace nécessaire. Comme pour la plupart des autres options, sa principale contrainte est l'entretien, qui doit être assuré avec régularité
et avec soin pour éviter le développement d'odeurs. Les résidus de décantation qui s'accumulent au fond de ces bassins doivent régulièrement être évacués pour conserver
le volume utile de rétention.
Le stockage en bassin enterré est le plus souvent utilisé lorsque l'on se trouve en zone urbaine ou périurbaine. Des fournisseurs tels que Bonna Sabla (marque Dunex) ou Stradal proposent des solutions béton complètes, avec des équipements en amont et en aval pour assurer une bonne régulation.
Il est aussi possible de réaliser des chaussées réservoirs en utilisant un matériau de remplissage qui donne une bonne résistance mécanique à l'ouvrage tout en assurant un certain volume de stockage. Ces matériaux sont en général des graves non traitées, poreuses, peu coûteuses et qui jouent un rôle de filtre naturel pour la dépollution des eaux. Elles sont faciles à mettre en oeuvre, mais présentent un risque de colmatage pour un coefficient de vide qui, autour de 30 %, est déjà assez faible au départ. Autre solution : utiliser des cylindres creux en béton préfabriqué dont le coefficient de vide est supérieur (60 %)
STRUCTURES ALVÉOLAIRES
Il est de plus en plus fréquent d'avoir recours à des structures alvéolaires ultralégères (SAUL) en polymère, qui sont proposées par de nombreux fabricants ( Funke, Nidaplast, Rehau, Sotra-Seperef, Wavin...), avec des approches différentes. Les SAUL n'ont aucune propriété filtrante, mais elles offrent des porosités supérieures à 90 %, moins de risques de colmatage et sont parfois même conçues pour être visitables et donc nettoyables. Il existe également des solutions
comme celles de Tubosider qui
propose des cuves et tuyaux en métal offrant l'avantage principal d'être modulables et de pouvoir être installés rapidement.
Comme pour tous les types d'ouvrages de stockage, l'entretien est la clé d'un fonctionnement harmonieux et durable qui doit être prévu dès la conception. Pour éviter une trop grande pollution et l'accumulation trop rapide de dépôts dans ces structures, des mesures très variées peuvent être prises très en amont : assurer l'efficacité du nettoyage de la voirie, du ramassage des ordures, réduire l'utilisation de produits phytosanitaires, etc. Il est également possible d'ajouter un certain nombre d'outils en amont tels que des dégrilleurs, dessableurs ou débourbeurs. La mise en place d'un décanteur permet également de retenir une grande partie des particules ainsi que la majorité de la pollution qui s'y est fixée. Lorsqu'il existe un risque de pollution, un séparateur à hydrocarbures permet de prévenir la contamination du stockage.
Différents fournisseurs (Bonna Sabla, Rehau, Stradal, Wavin, etc.) ont mis au point un ensemble de produits « périphériques » aux structures de stockage, en béton, acier ou polymères et souvent spécifiquement conçus pour un type donné de réseau. Une fois de plus, l'efficacité de ces ouvrages repose sur une surveillance et un entretien régulier, d'autant plus important que l'entrée en vigueur de la Loi sur l'eau a créé des contraintes plus strictes vis-à-vis de la protection du milieu naturel. Organisé dans de bonnes conditions pour fournir une eau de bonne qualité, le stockage des eaux pluviales offre ainsi une opportunité unique de réutilisation de l'eau, un concept qui commence à peine à se répandre en France.
LES PRÉMICES
DE LA RÉUTILISATION
« On voit apparaître, depuis quelques années, de plus en plus de demandes de stockage non temporaire pour des usages de protection incendie ou d'arrosage, souligne Xavier Weinachter, responsable marketing TP chez Wavin. Les industriels qui sont soumis à des obligations de gestion et de stockage d'eaux de pluie sont également à la recherche de solutions pour une utilisation en eau de process, notamment pour le refroidissement. » Les eaux de pluie peuvent être converties en eau industrielle, y compris à l'échelle d'une collectivité (voir encadré ci-dessous). Cette approche est particulièrement intéressante si les utilisateurs sont à proximité, ce qui évite d'avoir à créer un deuxième réseau de distribution qui remettrait en question l'intérêt économique de tels projets. D'autant qu'un traitement approfondi doit quand même être prévu pour assurer la sécurité des utilisateurs.
En milieu urbain dense, la situation est assez différente, car les réseaux, qui sont le plus souvent unitaires, réunissent les eaux de pluie et les eaux usées pour les diriger vers une station d'épuration. La question du stockage se pose alors différemment : il permet d'adapter le débit des eaux à traiter à la capacité de traitement de la station, en tenant compte des contraintes de surface disponible.
En zone urbaine, la question des nuisances olfactives doit également être prise en compte dès la conception, avec un traitement des odeurs qui peut être intégré au bassin lui-même, avec des dispositifs plus ou moins sophistiqués, notamment en fonction de la région et de la température moyenne. Les bassins en béton doivent par ailleurs être conçus pour résister à la présence d'H2S, avec une protection en époxy, notamment sur les sous-faces. Le nettoyage doit enfin être facilité avec un système d'écoulement vers les points bas. Ils peuvent aisément se plier à des contraintes dimensionnelles particulières, ce qui n'est pas toujours le cas avec les structures alvéolaires, surtout pour un bassin en profondeur, plus vertical qu'horizontal.
Dans les zones de réseau unitaire, la gestion des eaux de pluie prend donc une dimension particulière car elles viennent s'ajouter aux flux à traiter par les stations d'épuration. En cas d'événement pluvieux important, les stations de traitement sont souvent saturées et les flux excédentaires peuvent être rejetés directement dans le milieu naturel par surverse. Si rien n'est prévu pour compenser l'urbanisation et l'imperméabilisation croissante des zones urbaines et traiter ces eaux de ruissellement supplémentaires, le risque de pollution du milieu récepteur peut devenir plus fréquent et poser un réel problème. La France s'est d'ailleurs récemment faite épingler par l'Union européenne sur ce sujet, notamment en région parisienne où le Siaap a dû engager rapidement des travaux importants pour augmenter sa capacité de traitement par temps de pluie. Des infrastructures dont la gestion est désormais optimisée grâce à son nouvel outil Mages (voir encadré p. 38).
Pour les réseaux unitaires des grandes agglomérations, la gestion dynamique est en effet un outil particulièrement intéressant pour répondre au double objectif d'éviter les inondations en amont et de protéger le milieu naturel, avec des flux importants qui doivent s'adapter à la capacité des installations de traitement en aval. Mais ce type de solution est encore très peu déployée. « Nous sommes vraiment qu'au tout début de cette approche en France. Il ne suffit pas de mettre en place de beaux logiciels pour utiliser la capacité de stockage et de transit des grosses canalisations, mais il faut également mettre de l'intelligence technique pour actionner des vannes à niveau variable. C'est un point sur lequel la France est un peu en retard », souligne Bernard Saunier. Il annonce le développement de nouveaux outils en France, grâce au regroupement de Saunier & Associés avec BPR CSO, groupe canadien spécialiste de ces questions (cf. Hydroplus n° 184, p. 18).
L'atout principal de la gestion dynamique est un investissement moindre puisqu'il s'agit d'optimiser la capacité de stockage et de rétention des structures existantes, sans construire de nouveaux ouvrages.
VERS UNE GESTION
DYNAMIQUE
L'idée est séduisante, mais le pas semble encore difficile à franchir en France. « Les élus veulent avant tout éviter tout risque d'inondation en amont et ils veulent des solutions concrètes, visibles. Les techniciens ouvrent grand les vannes dès que la pluie arrive et c'est le milieu récepteur, en aval, qui subit les conséquences de cette extrême prudence. Nous proposons des solutions technologiques qui ne se voient pas et nous avons du mal à convaincre les décideurs », regrette Bernard Saunier, qui note également l'absence de mesure en continu sur les rejets, qui pourrait fournir des arguments convaincants aux élus soucieux de protéger l'environnement.
La gestion dynamique doit pouvoir permettre d'éviter à la fois les inondations et les débordements, grâce aux grandes capacités de stockage des réseaux qu'il est possible de moduler et à des vannes automatiques à niveau variable.
« Les collectivités ont réalisé d'énormes investissements pour le transit, le stockage et le pompage des eaux pluviales. La solution la plus rationnelle serait de les optimiser, grâce aux conseils d'experts qui peuvent recommander des approches pointues, des systèmes de logiciels et d'outils pour sécuriser les réseaux », ajoute Bernard Saunier.
Les eaux de pluie prennent donc une place de plus en plus importante dans les services d'assainissement des collectivités et des gros industriels avec de plus en plus d'ouvrages de stockage à gérer qui nécessitent des compétences particulières. En témoigne la stratégie de la société Wavin qui a lancé en décembre un nouveau concept de gestion des eaux pluviales (voir encadré p. 39) pour répondre à cette demande.
Contraintes à mettre en place de nouveaux modes de prise en charge des eaux de pluie, les collectivités se trouvent également face à la problématique du financement des travaux engagés et de la maintenance de ces réseaux et ouvrages. La taxe pluviale, prévue par la Loi sur l'eau, pourrait apporter une réponse, mais reste à savoir si elle sera facile à faire accepter aux habitants...