La démocratie participative est très en vogue depuis quelques années dans le langage politique. Elle suppose l'implication et la participation des citoyens (administrés, milieu associatif, usagers des services publics, etc.) dans le débat public et dans la prise de décisions politiques par le biais de consultations, débats ou forums publics. Elle se traduit par un droit à la participation (comme dans les enquêtes publiques), et non par un pouvoir de décision.
Pour autant, le système politique français s'appuie sur la démocratie représentative, à travers laquelle les électeurs choisissent leurs représentants qui exercent, en leur nom, le pouvoir politique ou administratif. Cette démocratie représentative comprend aussi des éléments de démocratie directe, comme le référendum. La démocratie participative se situe à mi-chemin entre la démocratie représentative et la démocratie directe imaginée par Jean-Jacques Rousseau.
De par ses caractéristiques spécifiques (universalité, durée, interdépendance, irréversibilité) et sa dimension technique, le thème de l'environnement a fait appel à l'intervention du citoyen, comme auxiliaire de l'Administration ou comme organe de contrôle.
« Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans lequel il vit », stipule la loi de 1976 sur la protection de la nature. L'environnement est donc l'affaire de tous et ne peut être confié qu'aux mandataires élus. De ce principe
est née l'idée de démocratie participative
qui n'a cessé d'être confortée depuis.
La convention d'Aarhus (Danemark) de juin 1998, qui a été signée et ratifiée par la France en 2002, a pour objet de mettre en oeuvre le dixième principe de la déclaration de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement (juin 1992). Celui-ci stipule que les décisions dans le domaine de l'environnement doivent être prises avec un maximum de transparence. Cela implique, non seulement une politique d'information, mais également le développement d'une réelle démocratie participative. L'article 14 de la directive-cadre sur l'eau (DCE) reprend cette notion : « Les États membres encouragent la participation active de toutes les parties concernées à la mise en oeuvre de la présente directive, notamment à la production, à la révision et à la mise à jour des plans
de gestion de district hydrographique. » Pour la France, la DCE implique donc une participation des citoyens dans l'élaboration même des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et des programmes de mesures. « Jusque-là, la participation se faisait par l'intermédiaire du collège des usagers dans les comités de bassin et en particulier au sein de leurs commissions territoriales, constate Matthieu Papouin, chef du bureau de la planification et de l'économie de l'eau au ministère de l'Écologie. La nouveauté consiste à élargir ce cercle habituel. » Ainsi, une première consultation du public a été réalisée en 2005 afin de déterminer les enjeux pour parvenir au bon état écologique des eaux, fixé par la DCE pour 2015. « Compte tenu de l'échelle, il est impossible d'organiser une enquête publique pour les Sdage », ajoute-t-il. Des questionnaires avaient donc été mis à disposition dans
les préfectures et lors de manifestations
sur l'eau. Le taux de retour avait été très faible : 0,75 %.
LE DISPOSITIF DE LA CONSULTATION NATIONALE DE 2008
La deuxième consultation nationale, effectuée en 2008-2009, porte sur l'adoption des Sdage proposés par les comités de bassin de chaque agence de l'eau pour la période 2010-2015. Cette consultation, intitulée « L'eau, c'est la vie. Donnez-nous votre avis ! », s'est déroulée du 15 avril au 15 octobre 2008 en métropole (voir Hydroplus N° 186 p. 6). Les bassins d'outre-mer sont consultés du 15 décembre 2008 au 15 juin 2009 et les institutions (1) du 5 janvier au 5 mai 2009. Les Sdage doivent être adoptés pour la fin de l'année 2009. Suivant l'avis de la commission nationale sur le débat public, les questionnaires ont pour la première fois été envoyés par la poste. Les questions avaient un tronc commun identique, puis des spécificités par bassin. Les comités de bassin se sont appuyés sur le tissu local et associatif, même si le dispositif était sensiblement différent d'un bassin à l'autre. Les agences de l'eau Artois-Picardie ou Adour-Garonne, par exemple, ont envoyé des bus de l'eau itinérants. « En Seine-Normandie, nous avons choisi de nous associer systématiquement à une collectivité pour relayer notre communication, explique Richard Dartout, de l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN). Pour nous, la démocratie directe passe par les élus et par les associations locales. Je ne crois pas du tout aux messages généralistes sur l'eau comme les spots publicitaires pour sensibiliser le public. Je pense qu'il faut viser un public ciblé dans un contexte précis. Il faut s'appuyer sur des relais associatifs, professionnels ou d'élus pour relayer notre message. »
LES LIMITES DE LA PARTICIPATION
EFFECTIVE
Mais cette consultation ne s'est pas faite sans critiques, loin de là. « Pour les agriculteurs, c'était trop cher. Quant aux élus, ils considèrent qu'ils sont, à eux seuls, l'expression de la démocratie. C'est le débat entre la démocratie participative et représentative », relève Bernard Rousseau de France Nature Environnement (FNE). Par ailleurs, beaucoup de questionnaires se sont égarés, partis avec la publicité. Mais l'envoi en courrier adressé est impossible, car le coût est prohibitif.
Critique inéluctable : la formulation des questions oriente les réponses. « C'est pourquoi il est impératif de donner une expression libre ; ce qui a été fait également, même si son utilisation a été différente d'un bassin à une autre », commente Matthieu Papouin.
Autre critique : les réponses ne sont pas représentatives. Ce sont souvent les gens initiés qui ont répondu et certaines catégories sont surreprésentées (retraités et agriculteurs). En tout cas, cela montre que les organismes relais ont bien fonctionné, notamment les chambres d'agriculture et les associations de protection de l'environnement. Par ailleurs, « l'institut BVA, qui a analysé les réponses, a pu recaler les réponses pour qu'elles soient plus représentatives », commente Alain Dutemps, de l'agence de l'eau Adour-Garonne.
Selon Éva Guyard, chercheuse en droit à l'université de Nantes, « la soumission du projet de Sdage à l'avis du public demanderait à être davantage encadrée afin d'offrir des garanties aux citoyens. Pour être réellement efficace, le processus exige une volonté de faire fonctionner le mécanisme participatif en étant sincèrement à l'écoute des propositions formulées. » Car si les avis sont trop atomisés, le pouvoir de décision revient finalement à l'instance qui a initié la procédure, en l'occurrence le comité de bassin. « Ce n'est pas choisir la facilité que de viser une participation effective du public. En revanche, si le processus participatif fonctionne, la décision ou le projet en sort grandi », poursuit-elle.
Au final, le taux de retour est de 1,5 %. Ce qui représente, selon les spécialistes, un score très honorable. De plus, la France est même en avance par rapport au calendrier européen, et elle a consacré à cette consultation un budget non négligeable de 7 millions d'euros. Elle a même organisé un séminaire sur son retour d'expériences à destination des autres pays européens.(1)
L'INFLUENCE DES AVIS
SUR LA DÉCISION
Mais le jeu en vaut-il la chandelle ? Les Sdage vont-ils en être véritablement modifiés ? La difficulté réside dans l'influence de ces avis sur la décision finale. Le projet de Sdage, comme le projet de Sage d'ailleurs, peut être « éventuellement modifié pour tenir compte des observations du public ».(2)
Mais « la modification du projet est laissée à l'appréciation du comité de bassin ou de la commission locale de l'eau », souligne Éva Guyard. Pour Matthieu Papouin, « les Sdage sont des documents complexes et volumineux. On n'attend pas du public de modifications techniques, mais une expression sur l'équilibre général. La synthèse provisoire a donné lieu à la rédaction d'additifs aux projets de Sdage. » L'avis du public tel qu'il est ressorti montre que le citoyen est d'accord avec les objectifs des Sdage. Selon les scénarios de départ, plus ou moins ambitieux, il souhaite même aller plus loin et plus vite pour la préservation de l'eau. En Loire-Bretagne, les objectifs ont ainsi été revus à la hausse. En revanche, Richard Dartout estime que « le résultat est décevant par rapport à la construction du Sdage. La consultation ne l'a infléchi qu'à la marge ».
D'un commun accord, les agences considèrent que la consultation était avant tout un exercice pédagogique très intéressant, en particulier grâce aux nombreux débats qu'elle a suscités. Elle a permis de diffuser des connaissances sur l'eau et les milieux aquatiques, de faire connaître les agences de l'eau. Ce que n'aurait pas permis un simple sondage. Il apparaît également que le besoin d'information doit être distingué du recueil de l'avis du public et ne peut pas se limiter à la demande de l'Europe. Le Sdage est voté pour six ans, mais les résultats de suivi sont annuels. Selon Matthieu Papouin, « l'information doit être donnée en continu, via les sites Internet des agences, d'une part, et le système d'information sur l'eau (SIE), d'autre part (voir encadré p. 27). Les consultations pourraient être organisées tous les trois ans, par exemple à mi-parcours. » D'ici là, les agences vont mener une réflexion sur cette consultation et sur l'amélioration des moyens d'information et d'expression à mettre en oeuvre pour la prochaine. Rendez-vous en 2012 !
TROIS INSTANCES POUR PARTICIPER AUX DÉCISIONS
En dehors de cette consultation, un public plus initié participe aux décisions dans le secteur de l'eau au sein de trois instances : le comité national sur l'eau, le comité de bassin et la commission locale de l'eau (CLE). Le premier élabore la politique générale, le second les Sdage et la troisième les Sage. Il ne s'agit plus du grand public, mais de citoyens engagés dans des associations (pêche, environnement, consommateurs). C'est un cercle plus initié, mais un lien essentiel vers le grand public, qui souvent ignore tout des Sdage, des Sage et même jusqu'à l'existence des agences de l'eau. Ces citoyens initiés siègent dans le collège des usagers, aux côtés d'acteurs économiques de poids que sont les agriculteurs et les industriels. « Souvent, note Éva Guyard, le public peut sembler noyé au sein de l'institution en question ». Dans les CLE, la composition du collège des usagers est telle qu'il est largement dominé par le lobby agricole, soutenu par les élus locaux parfois eux-mêmes agriculteurs. « Pour améliorer le dispositif, il faudrait donc assurer un meilleur équilibre des intérêts en présence, sans favoriser tel ou tel lobby », souligne-t-elle. Par ailleurs, « les élus manquent souvent de compétences techniques sur ces sujets parfois complexes. Des formations ponctuelles pourraient être dispensées par des agents publics, comme ceux de l'Onema. De notre côté, nous allons organiser des formations à l'attention de nos membres siégeant dans les CLE », déclare Raphaël Chaussis, de FNE. Cette association a réalisé à l'automne 2008 une enquête auprès de ses représentants dans les CLE. Elle réactualise la première étude qui remonte à 2003. Les réponses montrent que les membres associatifs se sentent plus écoutés et que leur expertise est mieux reconnue. En revanche, si les débats sont plus importants, ce n'est pas pour autant que leurs avis sont transcrits dans les Sage.
« La participation dans les comités de bassin s'est améliorée, considère pourtant Paule Opériol de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Avant, la messe était dite, le comité ne pouvait que valider. Aujourd'hui, il existe de vrais débats. Pour nous, cela tient notamment au fait que les conseils régionaux sont représentés par des élus Verts qui participent réellement aux discussions et connaissent les enjeux. » Pour améliorer et faciliter la participation, l'agence de l'eau Adour-Garonne, par exemple, a mis la totalité des documents en ligne sur un site extranet dédié aux membres du comité de bassin.
LE STATUT DU BÉNÉVOLE
ET SA DISPONIBILITÉ
La question de la participation met le doigt sur un autre problème : la disponibilité des bénévoles. Parfois, le même bénévole siège dans plusieurs CLE, faute d'autres personnes disponibles. En période de forte activité (élaboration du Sage), il peut y avoir jusqu'à quinze à vingt réunions par an. Pour chaque réunion, la lecture attentive des documents demande trois à quatre heures de préparation, sans compter le déplacement et la réunion elle-même qui dure parfois toute la journée. « Peu d'actifs peuvent disposer d'autant de temps pour participer au CLE. Pratiquement, ce sont souvent des retraités. C'est pourquoi, lors du Grenelle de l'environnement, les associations avaient demandé de valoriser le bénévolat, en libérant des journées, sur le même principe que celui de la représentation syndicale. Mais on ne voit toujours rien venir », déplore Raphaël Chaussis. Le problème est identique dans les comités de bassin, d'autant que le principe de la suppléance a été supprimé par la Lema, ce qui implique qu'il n'est plus possible de se faire remplacer. Le statut des bénévoles reste donc posé : comment faciliter leur présence et leur formation face à des représentants d'un monde économique quasi professionnalisés et défendant les intérêts de leur secteur d'activité ?