Face à la défense de l'industrie bananière française, on peut faire l'hypothèse que l'impact de l'utilisation de produits phytosanitaires sur l'environnement et la santé ait été secondaire dans les préoccupations des autorités politiques. » C'est l'une des conclusions accablantes d'un rapport (1) rédigé par Matthieu Fintz, chercheur à l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail ( Ansés). Une analyse confirmée par un deuxième rapport (2), mené par le chercheur Pierre-Benoît Joly sous l'égide de l'Institut national de la recherche agronomique ( Inra).
UNE DÉCISION ÉNIGMATIQUE
Le chlordécone a été utilisé dans des pesticides destinés à lutter contre les charançons de la banane. L'usage d'insecticides à base de chlordécone a été autorisé par le ministère français de l'Agriculture à titre provisoire en 1972, puis à nouveau en 1976. Une préparation a même été homologuée en 1981, alors que la substance avait été classée comme cancérigène possible en 1979. En outre, des données sur les risques avérés avaient été publiées aux États-Unis, et les données sur l'accumulation de cette molécule dans l'environnement aux Antilles françaises étaient nombreuses. Pierre-Benoît Joly parle de décision « surprenante » et « énigmatique », d'autant que « le procès verbal de la commission des toxiques est introuvable. Le témoignage rétrospectif d'un membre de la commission [...] confirme l'influence des intérêts économiques dans la délibération. »
Après retrait de l'homologation en 1989, l'utilisation de ce produit a encore été possible pendant deux ans, conformément à la réglementation ; mais le ministère a accordé une dérogation d'un an, et l'utilisation a pu se poursuivre jusqu'en 1993, d'après le chercheur.
CONFUSION DES POUVOIRS
Matthieu Fintz estime que cette situation a été rendue possible notamment par le manque de séparation des pouvoirs : la commission des toxiques « réalise l'évaluation des risques en prenant en compte des éléments qui relèvent de la gestion ; [...] le ministère de l'Agriculture exerce un monopole de compétences, qu'il ne partage ni avec l'environnement ni avec la santé. La commission des toxiques lui est rattachée et il a la compétence de la gestion. Il est donc dans une situation de juge et partie ».