Les exploitants et constructeurs de stations d'épuration sont toujours à la recherche de solutions innovantes afin d'optimiser leur process. Pour cela, il faut savoir mettre en place des boucles de régulation efficaces qui permettant de réduire les coûts de fonctionnement tout en s'assurant de la conformité avec les exigences réglementaires. Le développement récent de nouvelles technologies de mesure et leur intégration dans des programmes standard d'automatismes offre désormais de nouveaux moyens pour y arriver. Depuis peu, certains fabricants d'instruments de mesure - dont Hach Lange, Metso ou Endress+Hauser - commercialisent de nouveaux capteurs ou sondes qui traduisent de manière directe et continue les performances du traitement des eaux usées. Grâce à ces nouvelles sondes pour mesurer, par exemple, l'ammonium ou le phosphate, les exploitants régulent plus précisément leur process, notamment certains postes très énergivores ou consommateurs en réactifs.
LA PREMIÈRE CIBLE
Représentant plus de 60 % de la consommation énergétique dans le traitement biologique, le bassin d'aération est la première cible en termes d'économie d'énergie. Lors de cette étape, l'élimination du carbone et la nitrification des composés azotés nécessitent un apport d'air de manière à obtenir une teneur en oxygène dissous suffisante pour l'activité biologique. Pour s'assurer de la bonne dégradation de l'azote, l'aération des bassins est, le plus souvent, régulée sur la base de consigne en potentiel redox ou de la concentration en oxygène dissous. Bien qu'ils fournissent une bonne approximation, ces systèmes qui sont couplés à un système d'horloge sont indirects et partiels. « Avec ces paramètres, l'exploitant mesure une conséquence de l'ajout d'air sur l'état du système, aboutissant parfois à des surconsommations d'oxygène », explique Samuel Martin, responsable du département R et D assainissement et environnement du Cirsee, centre de recherche sur l'eau de Suez Environnement. Très répandues en France, ces sondes de potentiel redox présentent un autre désavantage avec la nécessité d'effectuer une maintenance hebdomadaire. « En raison du manque fréquent de maintenance, notamment sur les petites stations, la régulation ne fonctionne qu'en mode dégradé uniquement sur une pendule. Pour fiabiliser le traitement, l'aération est alors réalisée en excès, ce qui agit fortement sur les consommations énergétiques », explique Cédric Fagot, chef de marché eau et environnement chez Endress+Hauser.
Ayant bien compris l'importance du choix du paramètre, les fabricants d'instruments de mesure ont donc développé, depuis trois ou quatre ans, des sondes à électrodes sélectives qui représentent une réelle rupture technologique. Simples d'entretien mais relativement chères, directement immergées dans le bassin d'aération, ces sondes sont capables de mesurer précisément, en ligne et en continu, la concentration en ammonium (NH4) et en nitrates (NO3). Elles assurent ainsi un ajustement fin des apports d'air en fonction des besoins effectifs de la biomasse pour assurer la nitrification, étape la plus exigeante en oxygène.
NOUVEAUX CAPTEURS
Véritable solution dans la gestion des variations de charge polluante, ces nouveaux instruments ont séduit les constructeurs Degrémont, Stereau ou Veolia Water Systems, qui les ont testés avant de les déployer sur quelques sites existants. « Mais, avant d'intégrer ces sondes à électrodes sélectives dans le process, les exploitants ont dû travailler sur de nouveaux algorithmes. Ces derniers ont été conçus à partir d'observations de façon à ce que les pics d'air en excès soient réduits, afin d'éviter une aération excessive et un gaspillage énergétique », précise Éric Fievez, responsable du pôle automatisme et énergie à la direction technique de Degrémont. Désormais, les principaux constructeurs et exploitants de stations d'assainissement ( Saur, Veolia Eau, Suez Environnement, Vinci Environnement) proposent des offres couplant ces nouveaux capteurs à un programme de régulation avancée.
Développé par Degrémont, GreenBass (pour Biological Aeration Sequenced System) est un nouveau système breveté de régulation de l'aération séquencée que l'on peut implanter dans n'importe quel automate programmable. Si la charge polluante varie pendant une période aérée, cette solution ajuste le débit d'air fourni en fonction de la variation de charge constatée. Lorsque la charge entrante augmente, cela se traduit au niveau du bassin biologique par une augmentation de la concentration en ammonium. Supérieure à un seuil préalablement fixé, cette variation de concentration modifie la consigne de débit d'air appliqué. Dans le cas contraire, la variation de concentration en ammonium est inférieure à un seuil bas, autorisant l'arrêt de l'aération. De plus, le système de régulation GreenBass utilise, à la place des concentrations mesurées, les variations de ces concentrations ; cela permet de s'affranchir d'éventuelles dérives des valeurs et limite grandement les incertitudes.
De son côté, Veolia Eau a mis au point l'offre Amonit pour les procédés à culture libre de type boues activées classique, pour les réacteurs avec séquençage d'aération (SBR) ou les réacteurs avec culture fixée sur support en mouvement (MBBR). Contenant deux modes de gestion des cycles d'aération (continue ou séquencée), ce système de régulation est particulièrement adapté aux procédés utilisant un même bassin pour les phases aérobie et anaérobie. Ainsi, le régulateur associé est capable de déterminer une consigne de puissance d'aération en fonction des mesures en temps réel et des plages admissibles de concentrations en ammonium et nitrate, spécifiées par l'opérateur. Mais pour fonctionner, Amonit nécessite aussi la présence de technologies capables de moduler la puissance d'aération. Cette modulation peut être réalisée, soit par paliers avec une aération de surface par brosse, soit en continu dans le cas d'une aération par diffusion de fines bulles en utilisant un surpresseur équipé d'un variateur.
Selon les exploitants, l'utilisation de ces nouvelles sondes offre un réel gain énergétique. Comparées à une régulation redox classique, ces technologies permettraient une économie des apports en air d'environ 15 %. Soit 10 % de la consommation énergétique totale d'une installation. En fonction de la qualité de l'eau visée par l'exploitant et surtout de l'état initial du système, les gains sur le poste d'aération peuvent même atteindre des valeurs de l'ordre de 25 à 30 %. « Mais, il ne faut pas perdre de vue que, même si des gains énergétiques substantiels sont possibles, l'objectif premier du système doit rester la fiabilisation du traitement. Il faut donc évaluer au cas par cas les paramètres de réglage et les consignes de ces nouveaux systèmes, et prévoir une stratégie de maintenance adaptée à cette priorité », ajoute Samuel Martin.
MESURE DE CHARGE
Pour économiser sur le temps d'aération, un autre modèle de régulation, basé sur la mesure de charge entrante en DBO5 et DCO, se développe également. Grâce à des capteurs de type UV, la mesure en continu de ces paramètres par corrélation offre une meilleure détection des pics de pollution et ainsi une meilleure réactivité pour modifier les consignes. Outre la diminution de la consommation énergétique, les exploitants se concentrent sur les boucles de régulation qui réduisent l'utilisation de réactifs. Que ce soit un process biologique ou physico-chimique, le traitement des eaux usées requiert l'injection d'un grand nombre de réactifs, le plus souvent coûteux. Cependant, ces injections sont en général ajustées en fonction des débits et non de la qualité des eaux entrantes dont la variabilité est pourtant importante. Ces variations peuvent se produire parfois dans un laps de temps très court, ce qui rend difficile l'obtention d'une eau de bonne qualité en sortie. « Dans de nombreuses stations, l'expérience des opérateurs leur permet de bien juger la quantité de réactifs nécessaires, mais il existe toujours un degré d'incertitude. Pour s'affranchir en partie de ce risque, le dosage des réactifs est réalisé toujours en excès », explique Ghislaine Le Palabe, responsable du soutien opérationnel chez Veolia Eau.
AJUSTEMENT FIN
Toujours dans le but d'optimiser le process, Hach Lange a développé un outil appelé WTOS (pour Water Treatment Optimisation Solutions). Constituée d'un analyseur Phosphax SC, d'un boîtier de communication et du régulateur WTOS, cette solution permet de réguler l'injection de chlorure ferrique, indispensable pour l'abattement du phosphore. Le régulateur définit ainsi en permanence les points de consigne du process en fonction de la concentration en orthophosphate et du débit entrant. Testé pendant deux mois par Lyonnaise des eaux sur la station d'épuration d'Évry (250 000 EH), ce dispositif a permis de réduire de près de 30 % la consommation de réactifs (lire Hydroplus n° 198, p. 51). Soit une économie de près de 210 tonnes de chlorure ferrique par an. Avec un ajustement fin des réactifs, cette boucle de régulation limite également la production de boues due à l'usage en excès de chlorure ferrique. « Plusieurs autres modules de régulation sont à l'étude et seront prochainement intégrés dans WTOS, dont un module pour le traitement biologique de l'azote et un pour la déshydratation des boues. Le but étant d'avoir une solution clés en main la plus complète », se réjouit Jean-Pierre Molinier, responsable produits chez Hach Lange.
Au niveau du traitement physico-chimique, Veolia Eau a conçu une application baptisée Prédifloc, capable d'optimiser les réactifs (sels de fer) nécessaires à la coagulation et à la floculation. Grâce à une mesure de turbidité continue et à un modèle de calcul prédictif, Prédifloc estime le besoin en réactifs pour ces étapes. Cette mesure, corrélée à celle des matières en suspension (MES), permet de renforcer la maîtrise opérationnelle renforcée, notamment en cas de grandes variations de la qualité de l'eau à traiter. « Testé sur différents sites, ce nouveau produit a minimisé la quantité de réactifs à injecter et a engendré suffisamment de gains pour justifier sa commercialisation », se réjouit Ghislaine Le Palabe. Des gains sont aussi réalisés sur la consommation énergétique des équipements d'injection, qui doivent être adaptés à ce type de régulation. En effet, ces pompes doivent présenter une plage de fonctionnement plus grande pour assurer le dosage de quantités de réactifs beaucoup plus faibles.
FLUX CONSTANTS
La réduction de la consommation de réactifs est également très recherchée dans toutes les étapes du traitement des boues, une étape très consommatrice en polymères. Ces derniers sont utilisés pour accélérer la déshydratation des boues en augmentant leur siccité et en facilitant ainsi leur épaississement par centrifugation. Mais, comme dans le cas du phosphate, le dosage de ces polymères se fait actuellement en fonction de la mesure du débit, sans tenir compte des caractéristiques des boues. L'extraction des boues du clarificateur générant des fluctuations de concentration en MES, l'injection de réactifs est toujours réalisée en excès pour éviter tout problème dans les étapes à venir. Grâce au développement de nouveaux capteurs dont celui de mesure de MES, les exploitants ont désormais une solution pour optimiser cette phase de traitement des boues. La mise en place d'un capteur des MES (appelé MESmètre) ainsi que l'asservissement de la pompe à boue offrent la possibilité aux exploitants d'alimenter leurs centrifugeuses avec des flux massiques de boues constants et continus. Lorsque la concentration en MES dans les boues est faible, le programme de régulation accélère la vitesse des pompes pour obtenir un flux de matière sèche constant. Dans le cas contraire, les pompes, équipées d'un variateur de vitesse, réduisent le débit entrant de boues. « Cette boucle de régulation a un impact direct sur la consommation de polymères qui est diminuée d'environ 10 à 15 % par rapport à un système classique. De plus, le fait d'introduire un flux massique constant dans la centrifugeuse permet d'être au plus près du fonctionnement nominal de la machine », appuie Nathalie Hyvrard, de la direction exploitation-expertise de Saur. L'optimisation de la centrifugeuse qui possède désormais un rendement plus élevé se traduit par des économies énergétiques non négligeables. Mais, cette technologie n'est vraiment pertinente que si la qualité des boues présente de grandes variations.
INTÉRÊT JUSTIFIÉ
Si elles sont relativement coûteuses, ces différentes technologies commencent à s'implanter progressivement dans les moyennes et grandes stations françaises. Les économies réalisées en réactifs ou en énergie assurent à l'exploitant un retour sur investissement intéressant, mais cela dépend avant tout de l'état initial du système à réguler. Au final, ces nouvelles technologies vont intéresser les anciennes stations et les nouvelles pour des raisons différentes, comme l'explique Élie Laurent, responsable commercial chez CAD.eau, filiale de Veolia Eau : « Il est aisé pour le fabricant de justifier l'intérêt d'une solution sur une usine existante en se basant directement sur les consommations observées. Dans le cas d'une usine à construire, outre la meilleure maîtrise des coûts d'exploitation, ces nouvelles régulations permettent au constructeur de satisfaire une qualité accrue de la production en traitant de l'eau avec de fortes variations, quantitatives et qualitatives ».