Avec l'arrêt commune d'Olivet, le Conseil d'État a voulu mettre fin à des contrats de délégation de ser vice public de très longue durée sur l'eau et l'assainissement, générant de véritables rentes de situation. Concrètement, les Sage ont décidé que les dispositions des lois Sapin et Barnier limitant la durée des délégations s'appliquaient aux contrats conclus avant l'entrée en vigueur de ces lois. Ce faisant, ils ont offert une « arme de négociation massive » aux collectivités : on compte en effet plus de 500 conven tions conclues avant le 4 février 1995 (date d'entrée en vigueur de la loi Barnier) et dont le terme contractuel est postérieur au 4 février 2015 (date à laquelle la durée maximale de vingt ans imposée par cette loi sera atteinte). On s'attendait à une vague de contrats prenant fin à cette date. Mais à quelques semaines de l'échéance, il appa raît que, dans leur immense majorité, les contrats se poursuivent.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que l'arrêt Olivet ne décrète pas la fin automatique de ces conventions au 4 février 2015 : il dit qu'elles « ne pourront pas continuer à être régulièrement exécutées, sauf si elles sont justifiées dans leur durée ». La formu lation « ne pourront être régulièrement exécutées », peu claire, a donné lieu à d'in nombrables spéculations. Mais au fond, la question centrale est plutôt dans quelles conditions les contrats concernés pouvaient ou non « être justifiés dans leur durée ». Le Conseil d'État a ainsi rendu possible la pour suite du contrat si les investissements pris en charge par le délégataire, dans le contrat initial ou par voie d'avenant, n'étaient pas été amortis à la date fatidique.
Cette notion d'amortissement a, elle aussi, fait l'objet d'interprétations. Avec un raison nement comptable, on peut en effet consi dérer, par principe, que la durée d'un contrat étant généralement calée sur la durée des amortissements, le délégataire a forcément, dans sa comptabilité, des valeurs non amor ties si le contrat s'interrompt avant son terme. Cependant, une telle vision ne rend pas compte de la réalité économique des amortis sements, comme le précise une autre décision du Conseil d'État, l'arrêt Maison Comba du 11 août 2009. Ce dernier est clair : il convient de déterminer si le contrat, au cours de sa vie, a atteint ou non un équilibre économique glo bal ayant permis d'amortir les investissements. L'exercice de calcul de l'amortissement économique et non comptable est difficile. En effet, il revient à apprécier si le contrat a offert au délégataire un niveau de renta bilité « acceptable », cette appréciation ne se fondant évidemment sur aucune défini tion précise. De plus, alors que les collecti vités aujourd'hui organisatrices du service d'eau ou d'assainissement ont généralement « hérité » des contrats anciens, par le jeu des transferts de compétences, elles dis posent de peu d'archives. «Il arrive que l'on ne soit même pas en capacité de juger de la véracité des investissements réalisés », témoigne Gérard Pénidon, directeur du syn dicat départemental Eau 47. La rédaction des vieilles conventions peut être très éva sive, du type « le délégataire investit », et « le délégataire s'engage à assurer le renou vellement », sans aucun détail sur les pro grammes ni sur les montants.
Il y a aussi parfois des infrastructures mutualisées, réalisées au profit de plu sieurs collectivités, pour lesquelles les clés d'amortissement de la part de chacune sont obscures. C'est dire qu'il est difficile de déterminer si l'économie globale du contrat a permis d'amortir ou non les investisse ments. «En revanche, il y a des éléments que l'on peut démontrer, par exemple concernant des taux d'intérêt jusqu'à 8 ou 9 %, qu'en réalité les délégataires ont rené-gociés depuis longtemps : cela bouleverse naturellement les conditions de l'amortissement», précise Gérard Pénidon.
Dans ce contexte compliqué, les collectivités concernées par la jurisprudence Olivet devaient, par une délibération formelle, constater la caducité de leur contrat ou jus tifier de sa poursuite après l'échéance du 3 février 2015. «Un risque dans les deux cas », observe Régis Petit, directeur général adjoint de la communauté d'agglomération Seine-Eure. En effet, mettre fin au contrat, c'est s'exposer à un recours indemnitaire de la part du délégataire. Mais valider la poursuite, c'est risquer un contentieux de la part d'associations, d'usagers, voire de membres de l'opposition. Dans cette situa tion très inconfortable, peu de collectivités ont pu trouver de l'aide auprès de l'adminis tration fiscale, qu'elles avaient l'obligation de saisir pour avis. À la décharge des TPG (trésorierspayeurs généraux), des DDFIP et des DRFIP (directeurs départementaux et régionaux des finances publiques), il faut reconnaître que, dans la plupart des cas, les services fiscaux n'étaient pas, eux non plus, outillés pour analyser l'économie des contrats. Le plus souvent, ils ont validé sans discuter la position présentée par la collecti vité, ellemême relayant tout simplement le dossier préparé par le délégataire.
Finalement, la poursuite a donc été, dans de très larges proportions, le scénario retenu : 90 % des contrats concernés par la jurispru dence Olivet, chez Lyonnaise des eaux, vont ainsi être maintenus (voir encadré). Parmi d'innombrables exemples de collectivités ayant validé la continuité de leurs contrats, on peut citer la communauté d'aggloméra tion de Châteauroux pour ses contrats avec la Saur (signé en 1990, valable jusqu'en 2020) et avec Lyonnaise des eaux (signé en 1991, jusqu'en 2016). Ou le Grand Dijon, pour son contrat avec Lyonnaise des eaux (datant de 1991 et se poursuivant jusqu'en 2021). La poursuite peut être assortie d'aménage ments, avec la mise à la charge du déléga taire de nouveaux investissements, de nou velles obligations d'exploitation, ou d'une baisse significative de sa rémunération. C'est le cas à Toulouse : le contrat de Veolia Eau, conclu en 1990, ira jusqu'à son terme contractuel de 2020, en contrepartie d'une diminution de tarif de 25 % et de l'enga gement de nouveaux investissements. En février 2010, en annonçant ce compromis, le maire de l'époque, Pierre Cohen, a fait référence à un « choix de raison », « qui épargne à la ville un contentieux chiffré entre 9 et 40 millions d'euros d'indemnités ». Autre exemple : le contrat de la commune de Bias, dans le LotetGaronne, avec Veolia Eau, jusqu'à fin 2017, a été maintenu après une âpre négociation. L'abonnement a été divisé par deux (de 120 euros à 60 euros HT par an) et le prix du mètre cube a chuté de 1,55 euro à 1,20 euro HT. Le délégataire prendra en charge la pose de compteurs pour mesurer les volumes d'eau vendus par la commune voisine, qu'il gère également, et l'achat d'eau qu'il imputait auparavant à la commune au moment du reversement de la part communale.
En réduisant la marge bénéficiaire globale, ses aménagements rendent économique ment justifiable la poursuite du contrat. « Mais par nature, c'est une reconnaissance implicite que le contrat était, en fait, suffisamment rentable pour en réduire la durée », décrypte un expert financier. Les services fiscaux n'avaient pas de réserves face à de tels arbitrages jusquelà, mais leur position évolue. « Depuis une circulaire du 22 juillet 2014, qui fait suite à l'affaire de Troyes et qui dit pourtant un peu tout et son contraire, on constate un durcis sement des positions des DRFIP », témoigne un responsable d'un cabinet de conseil. Il évoque l'exemple d'une collecti vité qui a, elle aussi, négocié le maintien du contrat jusqu'à son terme, dans deux ans, moyennant une baisse de prix importante. Seulement voilà : après des mois d'attente, le DRFIP vient de rendre un avis défavo rable. La collectivité se retrouve le bec dans l'eau, à trois mois de l'échéance. Si elle suit l'avis des services fiscaux et prononce la caducité, non seulement elle s'expose à des poursuites indemnitaires, mais elle met en péril la continuité du service, dans la mesure où il faut environ dixhuit mois pour mener à bien la sélection d'un nouveau délégataire. (Il est toutefois possible de demander un prolongement d'un an du contrat en cours, pour motif d'intérêt général*). Et si elle décide de poursuivre le contrat (elle n'a pas obligation de suivre l'avis du DRFIP) mais s'il est démontré, devant un juge, que les investissements sont amortis, elle pourrait être sanctionnée pour violation des règles de transparence et de concurrence, voire délit de favoritisme.
Certains contrats ne se maintiendront pas sur la durée contractuelle initiale : un compromis a été trouvé sur une date intermédiaire. Par exemple, pour ses huit contrats d'eau et six d'assainissement, quasiment tous avec Veolia Eau, la commu nauté d'agglomération SeineEure a négocié un terme en 2021 au lieu de 2024 pour l'eau, et 2017 au lieu de 2019 ou 2020 pour l'assainissement. Même chose pour le Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Douai (Siado), où deux contrats avec des filiales de Veolia Eau (dont un d'une durée totale de quatre-vingt-dix-neuf ans), qui couraient jusqu'en 2033, prendront fin finalement en 2023. Le syndicat a négocié au passage des modi fications contractuelles en sa faveur. «Un troisième contrat relevant de la jurisprudence Olivet court jusqu'en 2018 », ajoute Jean-Jacques Hérin, directeur de l'aména gement, des réseaux et des constructions à la communauté d'agglomération du Douaisis et directeur du Siado. « Pour celui-là, au vu de l'analyse économique, on envisage de maintenir la durée résiduelle, sous réserve de l'accord du DRFIP. »
Les contrats qui vont prendre fin en février 2015, eux, sont peu nombreux. Lille Métropole avait voté la caducité de son contrat avec la Société des eaux du Nord (filiale du groupe Suez Environnement – Lyonnaise des eaux), dont le terme initial était en décembre 2015. Mais finalement, manquant de temps pour mener à bien les procédures, la collectivité s'est appuyée sur le motif d'intérêt général pour prolonger le contrat d'un an. Il y a le cas emblématique de la ville d'Olivet (voir encadré). Dans le Lot-et-Garonne, le « traité » de la petite commune de Saint-Pardoux-du-Breuil avec la Compagnie générale des eaux (devenue Veolia Eau), datant des années 1960 et courant jusqu'en 2017, prendra fin au 31 décembre 2014 : la commune a pré féré rompre au terme d'un exercice civil plutôt qu'au 3 février 2015. De son côté, Nice va passer en régie après cent cin quante et un ans de délégation sans mise en concurrence : le premier contrat de la ville avec la Compagnie générale des eaux date de 1864. Une analyse en flux de tréso rerie de ce contrat depuis les années 1950 a conclu, sans l'ombre d'un doute, qu'il avait été nettement bénéficiaire et qu'une poursuite ne se justifiait pas. « Il n'y a pas de mise en cause de la performance du délégataire, bien au contraire. Nous avons saisi une opportunité de construire un projet politique ambitieux pour la gestion de l'eau, avec un enjeu de solidarité entre zone de montagne et zone littorale », souligne Hervé Paul, maire de Saint-Martin-du-Var, président de la commission eau, assai nis sement et énergie de la Métropole Nice-Côte d'Azur et président de la régie Eau d'Azur. Cette régie communautaire prendra en charge le service de l'eau à Nice à par tir du 4 février 2015, dans le cadre d'une transition « en douceur ». De son côté, le Grand Lyon a prononcé la caducité de deux contrats pour la production et la distribu tion d'eau avec Veolia Eau et Lyonnaise des eaux (signés dans les années 1970, avec une échéance prévue en décembre 2016). Un troisième contrat, conclu avec Veolia Eau en 1989 jusqu'en 2019, est une concession sur une usine de production d'eau potable de secours. « Compte tenu du montant des amortissements restant à réaliser, une décision d'annulation pour motif d'intérêt général a été prise, assortie d'un protocole de sortie négociée avec le délégataire qui prévoit des indemnités à hauteur de 10 millions d'euros », explique Gérard Claisse, vice-président du Grand Lyon. Au 4 février 2015, le Grand Lyon n'aura plus qu'un seul délégataire : Veolia Eau, heu reux titulaire d'un nouveau contrat d'af fermage couvrant l'ensemble du dispositif de production et distribution d'eau, pour une durée de huit ans. À Dreux aussi, la ville a décidé de mettre fin au contrat avec Lyonnaise des eaux, dont le terme était en 2023, et négocie une indemnisation du délégataire sortant, relative au rem bour sement de travaux réalisés ré cemment (remplacement des branchements en plomb). La SEM Gédia sera le nouveau délégataire au 4 février 2015.
Il reste des situations toujours incertaines. C'est le cas notamment à Troyes (voir enca dré). La situation manque de clarté aussi du côté de la communauté urbaine de Bordeaux, qui avait pourtant annoncé, en 2011, un retour à la gestion directe de l'eau au 1er jan vier 2019, avec trois ans d'avance par rapport à l'échéance du contrat avec Lyonnaise des eaux (signé en 1991, jusqu'en 2021). La CUB a ensuite, dans le cadre de la procédure liée à la jurisprudence Olivet, validé le maintien du contrat jusqu'à son terme initial. L'associa tion Trans'Cub, qui conteste cette décision, a déposé un recours. Entre-temps, la nouvelle majorité à la tête de la CUB est favorable au report après 2021 du retour en régie. On assiste aussi à des coups de théâtre comme pour Pays de Montbéliard Agglomération. Sur ce territoire, la volonté politique de mettre fin à la délégation signée en 1992 avec Veolia Eau jusqu'en 2022, et de passer en régie, avait été exprimée très tôt. Formellement, en 2013, la délibération actant la caducité du contrat au 3 février 2015 avait été votée et avait reçu un avis favorable du DRFIP. Le président d'alors, Jacques Hélias, avait affirmé ne pas craindre de recours indemni taire, « les investissements étant parfaitement amortis ». Mais le délégataire a produit des contre-expertises et saisi la justice, réclamant 95 millions d'euros. Après les municipales de 2014, le nouveau président de l'agglo mération, Marcel Bonnot, a manifesté sa volonté d'une « remise à plat » de ce dossier. Le conseil communautaire vient finalement de décider de ne pas dénoncer le contrat. n