Une contamination diffuse portée par les PFAS à chaîne ultra-courte s’installe dans l’eau potable française : c’est le constat alarmant dressé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans son nouveau « rapport d’appui scientifique et technique », issu de la campagne nationale 2024-2025 consacrée aux composés émergents dans les eaux destinées à la consommation humaine (EDCH). Menée par le Laboratoire d’hydrologie de Nancy (LHN), cette opération d’envergure apporte enfin une base de données nationale solide, alors que la pression réglementaire s’intensifie avec la Directive européenne 2020/2184.
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Une méthodologie d’ampleur, couvrant 20 % de la population
Plus de 620 couples d’échantillons - eau brute (EB) et eau traitée (ET- ont été analysés, couvrant l’approvisionnement d’au moins 20 % de la population française. L’échantillonnage a été élaboré avec les Agences régionales de santé (ARS), qui ont ciblé des points dits « d’intérêt » (PI), susceptibles de présenter un risque particulier de contamination.
Au total, 35 PFAS ont été investigués : les 20 substances inscrites dans la nouvelle réglementation européenne, ainsi que 15 composés d’intérêt exploratoire, dont plusieurs PFAS à chaîne ultra-courte (US-PFAS). Pour embrasser la diversité physico-chimique du panel, deux approches analytiques complémentaires ont été mobilisées, l’ID-LC-MS/MS et l’ID-IC-MS/MS, dans un cadre strict d’assurance qualité. Près de 77 % des paramètres ont d’ailleurs été analysés sous accréditation.
État des lieux des 20 PFAS réglementés
Les résultats montrent que seuls 11 des 20 PFAS listés par la Directive ont été effectivement quantifiés, tous caractérisés par une chaîne de moins de neuf carbones. En eau traitée, trois substances dominent : le PFHxS, détecté dans 21,7 % des prélèvements, le PFOS dans 19,1 %, et le PFHxA dans 16,1 %.
Sur le plan réglementaire, la limite de qualité fixée à 100 ng/L pour la somme des 20 PFAS est rarement dépassée. Neuf échantillons d’eau traitée présentent des concentrations supérieures à ce seuil, avec des valeurs comprises entre 110 et 451 ng/L. Huit de ces dépassements proviennent de points d’intérêt, signe que les sources de vulnérabilité liées à des activités émettrices sont désormais bien identifiées.
S’agissant de l’indicateur associé aux quatre PFAS prioritaires définis par l’EFSA (PFOA, PFOS, PFNA et PFHxS), 32 échantillons d’eau traitée - soit 5,1 % - excèdent la valeur provisoire de 20 ng/L recommandée par le Haut Conseil de la santé publique.
US-PFAS : le cas massif du TFA et la présence notable du TFMSA
La campagne porte une attention particulière aux PFAS à chaîne ultra-courte, exclus du calcul réglementaire. Ici, la contamination apparaît généralisée, mais découplée des PFAS plus classiques.
L’acide trifluoroacétique (TFA) domine très largement : il est quantifié dans plus de 92 % des échantillons, qu’il s’agisse d’eau brute ou d’eau traitée. Sa concentration médiane en eau traitée atteint 780 ng/L, avec un pic mesuré à 25 000 ng/L. Aucune valeur n’a dépassé la référence sanitaire indicative de 60 µg/L établie par l’Instruction DGS/EA4/2025/22.
Le TFMSA (acide trifluorométhanesulfonique), utilisé notamment comme catalyseur, se distingue également par une présence non négligeable : quantifié dans environ 13 % des eaux traitées, avec une concentration maximale de 4 900 ng/L et une médiane de 28,5 ng/L. Selon l’Anses, les sources d’émission de TFA et de TFMSA semblent indépendantes de celles des PFAS plus conventionnels.
Co-occurrence et perspectives de surveillance
L’analyse de la co-occurrence montre que, mis à part les US-PFAS, la somme des 20 PFAS constitue un indicateur global pertinent de la présence d’autres composés fluorés dans les EDCH.
Les données issues de cette campagne, intégrées aux travaux de l’Anses sur l’évaluation des risques sanitaires, serviront de levier pour renforcer la surveillance nationale. L’Agence préconise notamment d’intégrer certains composés détectés – en premier lieu le TFA et le 6:2 FTSA – dans un dispositif de suivi pérenne. Une recommandation qui s’inscrit dans l’Axe 2 du plan d’action interministériel sur les PFAS, consacré à l’amélioration de la surveillance et à la mobilisation des données pour orienter l’action publique.