1. TRAVAILLER ENSEMBLE
Construire un bâtiment basse consommation sans se ruiner demande d'organiser le travail collégial de la maîtrise d'oeuvre et de choisir le mode de consultation le plus efficace.
Construire un bâtiment basse consommation de qualité sans payer plus ! C'est le rêve de tout maître d'ouvrage, neuf mois avant la généralisation de la réglementation thermique 2012, qui s'impose déjà aux bâtiments tertiaires simples et aux logements en zone de renouvellement urbain. Pour atteindre les 50 kWh/m²/an fatidiques sans faire exploser l'investissement, architectes et ingénieurs sont plus que jamais « condamnés » à travailler ensemble. « Il est impératif de mettre tous les spécialistes, du thermicien à l'économiste, autour de la table dès le premier coup de crayon de l'architecte », exhorte Marc Gilli, directeur du pôle habitat du promoteur Bouwfonds Marignan Immobilier, qui réalise toutes ces opérations en basse consommation depuis 2010.
Voilà des années qu'on répète à l'envi, dans ces colonnes notamment, la consigne aux porteurs de projets HQE. Tout le monde est aujourd'hui concerné. « Il ne faut plus le dire, il faut le faire ! L'introduction du nouvel indicateur de conception bioclimatique Bbio oblige à prouver la bonne conception thermique dès le dépôt du permis de construire », rappelle André Pouget, fondateur du bureau d'études Pouget Consultants.
Plus question de se contenter d'augmenter l'épaisseur de l'isolant sur un bâtiment de conception classique (lire article 2) ou encore d'ignorer usages et maintenance du futur bâtiment (lire article 3). « Le maître d'ouvrage doit établir un programme clair et précis fixant ses priorités. Cela demande d'investir dans des études préliminaires réalisées par des professionnels compétents. Hormis chez les donneurs d'ordres impliqués dans un système de management environnemental, celles-ci sont rarement engagées », regrette Nathalie Tchang, directrice adjointe du bureau d'études Tribu Énergie.
Investir dans la formation de ses équipes conduit également à un allégement de la facture finale. « Tous nos chefs de projet ont suivi ou suivront une formation de Pouget Consultants consacrée à la RT 2012. Il est intéressant pour nous de profiter du regard et de l'expérience d'un bureau d'études spécialisé », illustre Pierre Paulot, directeur de l'architecture, de l'aménagement et de l'environnement du bailleur social 3F. Le mode de consultation choisi influence également les prix. Le groupe s'essaie ainsi à la conception-réalisation, une procédure qui, pour les offices publics de l'habitat, n'est plus réservée jusqu'à fin 2013 aux projets complexes (loi Boutin du 25 mars 2009). « Les entreprises sont à même d'indiquer aux commanditaires les solutions plus ou moins coûteuses et de prendre un engagement ferme sur les prix », estime l'inusable président de Qualibat, Alain Maugard. 3F a lancé, en trois ans, dix-neuf marchés de conception-réalisation basés sur un cahier des charges anticipant les contraintes de la RT 2012, élaboré par le chevronné patron d'Enertech, Olivier Sidler. Le premier d'entre eux portait sur la construction d'un ensemble de cinquante-quatre logements à énergie zéro à Brétigny-sur-Orge, livrable en octobre. « La conception-réalisation permet de maîtriser les prix, mais ce n'est pas non plus la panacée. Nous n'y recourons que pour des opérations bien sécurisées, pour lesquelles nous sommes, par exemple, sûrs que le terrain ne réserve pas de mauvaises surprises exigeant des travaux supplémentaires. Le dossier doit être très bien préparé en amont. Cela demande un certain investissement, mais on s'y retrouve en aval en termes de coûts et de délais. Nous sommes cependant encore en phase d'observation et tirerons un bilan complet au cours de l'année », témoigne Pierre Paulot.
Friandes de ce type de pratiques, les Entreprises générales de France ( EGF-BTP) se prononcent pour la pérennisation des dispositions de la loi Boutin. « La conception-réalisation promet d'excellents résultats. Elle optimise l'offre sur les plans financier, technique et environnemental, mais aussi l'exploitation future de l'ouvrage », remarque Xavier Bezançon, le délégué général du syndicat. L'homme plaide également pour un groupement et une massification des commandes. « Nous pourrons faire fortement baisser les coûts si les maîtres d'ouvrage s'organisent pour nous ouvrir d'importantes perspectives de construction », promet-il. C'est ce qu'ont fait avec succès Pas-de-Calais Habitat, Maisons et cités et Partenord Habitat, associés au sein du GIE Unéo Habitat (lire encadré). Dans un document publié à la suite de ses dernières rencontres, organisées autour du thème « Produire des logements 20 % moins cher ? », EGF-BTP met pour sa part en avant la technique contractuelle voisine des accords-cadres qui préqualifie certains opérateurs pour plusieurs opérations. Le syndicat propose que ces accords-cadres « soient pratiqués sous la forme conception-réalisation qui fait participer les entreprises à la conception technique des projets ». Ajoutons que les maîtres d'ouvrage peuvent même associer l'exploitation du bâtiment au marché, via la conception-réalisation-maintenance ou encore, pour les plus grosses opérations, se tourner, avec circonspection, vers le partenariat public-privé.
2. CONCEVOIR LA SOBRIÉTÉ
L'application des principales « recettes » de la conception bioclimatique permet le respect de la réglementation thermique 2012 sans faire exploser les coûts.
Respecter la réglementation thermique 2012 sans rogner sur les qualités environnementales, architecturales et d'usage... Limiter au maximum les surcroîts d'investissement par rapport à la RT 2005 tout en raisonnant en coût global... Seule une conception soignée peut aider à résoudre cette équation complexe. « Une erreur qui coûte un euro à rattraper à la phase faisabilité en coûtera dix au stade programme, cent à l'avant-projet et mille sur le chantier », prévient Pierre Mit, président de l'Union nationale des économistes de la construction ( Untec).
Première étape, à ne surtout plus négliger : l'analyse du site. « Orientation du terrain, ensoleillement, pluviométrie, altimétrie, vents dominants, etc., sont importants à prendre en compte », explique Jean-Yves Colas, directeur études et recherches du certificateur Cerqual. « Les bureaux d'études travaillent souvent sans se déplacer. Pourquoi ne pas organiser le premier rendez-vous entre les différents hommes de l'art sur le site plutôt que dans un bureau ? », demande Marc Gilli, directeur du pôle habitat du promoteur Bouwfonds Marignan Immobilier. Grande première, la RT 2012 introduit un nouveau paramètre : le Bbio, un indicateur de conception bioclimatique, qui rend cette dernière incontournable. « Un bâtiment bien orienté, une architecture simple et compacte, c'est déjà beaucoup et ça ne coûte rien. Une construction sans artifice vieillit d'ailleurs beaucoup mieux et coûte donc moins cher à entretenir », remarque Pierre Mit. « Nous préférons investir dans des revêtements ou des menuiseries de qualité plutôt que dans un porte-à-faux ou un autre effet de style de l'architecte », renchérit Pierre Paulot, directeur de l'architecture, de l'aménagement et de l'environnement du Groupe 3F.
Autre principe salutaire : privilégier la conception passive à l'empilement de systèmes actifs. « La base de notre métier est de limiter tous les besoins de manière passive avant de choisir les systèmes performants de chauffage, de ventilation, etc. Les industriels tentent de nous vendre une panoplie de systèmes affichant des performances mirobolantes. Cela s'approche souvent de la publicité mensongère. Moins de la moitié sera encore sur le marché dans dix ans », tacle Nathalie Tchang, chez Tribu Énergie. « On confond performance durable et haute technologie », résume le consultant André Pouget. Simplification de l'architecture et conception passive, deux clés suffisantes pour verrouiller son budget ? « Construire BBC sans quasiment aucun surcoût, c'est possible. Mais, soyons honnêtes, en fabriquant des "boîtes à chaussures", c'est-à-dire en déplaçant le coût de l'architecture vers la performance énergétique. Certains maîtres d'ouvrage et architectes donnent une image bien malheureuse de la basse consommation : typiquement, un bâtiment cubique en béton avec un enduit surisolant en polystyrène, des capteurs solaires, des balcons rapportés et de grandes baies vitrées au sud », décrit Nathalie Tchang. « Il y a évidemment un équilibre à trouver, réagit Alain Maugard, président de Qualibat. Mais l'architecture doit refléter les préoccupations sociétales. Si elle devient un peu moins exubérante, ce n'est pas un drame. »
Il est « fort probable » que les bâtiments respectant la RT 2012 privilégieront l'isolation répartie (ossature en bois notamment) et l'isolation par l'extérieur, selon l'économiste membre de l'Untec, Sylvain Teissier. « Cette tendance est déjà sensible depuis plusieurs années avec les projets BBC », relève-t-il dans la revue de son syndicat professionnel.
Les différentes analyses menées par l'Agence Qualité Construction, l'Observatoire BBC ou encore Promotelec montrent ainsi la prépondérance de l'isolation par l'extérieur dans le logement collectif et dans le tertiaire, mais également une résistance de l'isolation par l'intérieur pour la maison individuelle. Côté systèmes constructifs, bois, brique ou bloc béton rectifié à joints minces grignotent des parts de marché au traditionnel parpaing. L'AQC note par ailleurs qu'aucune source principale de chauffage ne prédomine réellement, et l'Observatoire BBC que, du moins dans le résidentiel, le solaire thermique est bien plus utilisé que le dispendieux photovoltaïque. Il n'existe cependant pas de recette miracle, ni de solution mécaniquement moins cher. « Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises techniques. Il faut écarter tout a priori et ne pas hésiter à évaluer deux ou trois variantes », conseille Marc Gilli.
3. RAISONNER EN COÛT GLOBAL
Le calcul en coût global doit s'imposer à chaque étape d'un projet de construction.
Nos bâtiments sont gloutons. Même les constructions les plus récentes consomment plus d'énergie que la théorie le prévoit. D'abord parce que les calculs réglementaires n'incluent pas toutes les consommations, mais aussi parce que l'usage des locaux n'est pas toujours pris en compte dans leur conception. Conséquences : des factures énergétiques plus salées que prévue auxquelles s'ajoutent des coûts de maintenance très souvent sous-évalués. Un peu mieux connue grâce à la démarche HQE, la réflexion en coût global permet de trouver le meilleur équilibre entre coûts d'investissement et de fonctionnement. Cette logique doit guider le commanditaire à toutes les étapes de son projet.
En phase conception, l'anticipation des usages futurs est essentielle (lire encadré). Mais, les concepteurs tombent souvent dans un autre piège ruineux : le surdimensionnement des systèmes de chauffage ou de ventilation. « On nous demande régulièrement de surdimensionner la chaudière d'un immeuble, "par précaution" », témoigne Nathalie Tchang, directrice adjointe du bureau d'études Tribu Énergie.
Mais, même avec des systèmes bien conçus et correctement dimensionnés, des dérives peuvent apparaître. « Il n'est pas rare que les préconisations de départ [...] ne soient pas précisément suivies lors du chantier. Les produits installés ne correspondent alors plus aux spécifications initiales. Les changements sont opérés pour des questions économiques ou, plus simplement, de disponibilité du matériel [...], rarement au bénéfice d'une meilleure qualité », note ainsi l'Agence Qualité Construction dans le numéro spécial Batimat de son bimensuel. L'attention portée au choix d'entreprises qualifiées ou que l'on sait compétentes et bien formées est donc primordiale. Le maître d'ouvrage devra particulièrement s'intéresser à celles intervenant dans le traitement de l'étanchéité à l'air du bâtiment, marqueur essentiel de la qualité énergétique d'une construction.
Architectes et ingénieurs doivent limiter le nombre de pénétrations dans l'enveloppe dès la conception et repérer ensemble les points singuliers à risque avant de les signaler dans le dossier de consultation des entreprises. Pour plus de précautions, le donneur d'ordres peut également imposer la réalisation d'un test d'étanchéité intermédiaire et missionner un spécialiste pour suivre le chantier.
Mais le travail du maître d'ouvrage ne s'arrête pas quand s'achèvent les travaux. Certains expérimentent l'instauration d'une nouvelle étape intervenant avant la livraison : le commissionnement. « Cette période de mise en service destinée à régler le fonctionnement général du bâtiment n'est pas encore entrée dans les moeurs. Nous testons l'idée sur quelques opérations », indique Marc Gilli, directeur du pôle habitat du promoteur Bouwfonds Marignan Immobilier. Selon l'AQC, une simple opération d'équilibrage des réseaux peut réduire les consommations énergétiques de 7 à 10 % ! La sensibilisation des occupants permet également d'éviter certaines dérives. Dans le tertiaire, la certification HQE-Exploitation de Certivea, outil intéressant mais délicat à manier, associe propriétaires, utilisateurs et exploitants dans la surveillance et la correction des écarts de consommation. Cerqual devrait d'ailleurs proposer l'an prochain un dispositif similaire pour le logement. La distribution de guides d'usage ou d'accueil tend en outre à se démocratiser. Elle va même devenir obligatoire pour l'obtention du nouveau label Effinergie +. Ce dernier imposera également l'affichage des consommations énergétiques non réglementaires. La RT 2012 impose d'ailleurs l'installation de systèmes permettant de mesurer ou d'estimer les consommations énergétiques des logements, une pratique quasi généralisée dans les bâtiments tertiaires de dernière génération.
Mais équiper chaque appartement d'un tableau de bord interactif comme l'ont récemment fait France-Habitation et Bouygues Bâtiment Île-de-France à Bobigny revient cher : jusqu'à 2 000 euros par logement ! Pour l'économiste de la construction Pierre Mit, c'est indispensable, malgré l'investissement à consentir. Pour Nathalie Tchang, chez Tribu Énergie, rien ne vaut la bonne vieille méthode des factures et l'installation de quelques sondes de température. Chacun se fera sa religion, peut-être à la lecture des deux études que l'Union sociale pour l'habitat et Cerqual lanceront prochainement. Notons enfin que, présenté ce mois-ci, le millésime 2012 du référentiel de la certification Habitat et environnement s'enrichit d'une rubrique optionnelle coût global.