Quel est le « bon » périmètre d'un territoire à énergie positive ? Les pionniers se recrutent parmi des petites communes, telles Mont didier en Picardie (6 500 habitants) et Tramayes en Bourgogne (1 000 habitants) ou la communauté de communes rurales du Mené (6 500 habitants) en Bretagne. Sans renier la valeur de ces initiatives, l'objectif qui vise à les généraliser en France requiert la mobilisation d'échelons supérieurs. La notion en vogue est celle du bassin de vie, fédérateur des grands postes énergétiques que constituent les activités économiques, le logement et les déplacements. Encore faut-il l'adapter aux découpages administratifs.
Dans les territoires ruraux, il s'identifie de plus en plus au pays. Dans les Deux-Sèvres, le Thouarsais a fait le choix de cette échelle. « Notre pays de 41 000 habitants rassemble trois communautés de communes aux orientations énergétiques différentes : l'une s'est engagée dès les années 1980 dans les énergies renouvelables (ENR), une autre travaille beaucoup sur le logement, une troisième sur les bâtiments communaux. Le projet les fait avancer de concert », souligne Aurélie Chevallier, chef de projet plan climat. En milieu urbain, le bassin se rapportera à une communauté d'agglomération, mieux encore à un ensemble formé par l'agglomération et ses voisins périurbains ou ruraux.
La région Rhône-Alpes préconise cet élargissement dans son appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour l'émergence de territoires à énergie positive. « Cela permet d'organiser la solidarité entre zones urbaine et rurale que nous considérons comme essentielle », appuie Yannick Régnier, responsable des politiques locales de l'énergie au Comité de liaison énergies renouvelables (Cler), l'association animatrice du réseau Tepos comprenant une dizaine de territoires pionniers. Sur l'ensemble de la France, le Cler estime entre 500 et 700 le nombre de ces bassins de vie. À partir du scénario Negawatt, l'association avance un seuil de référence pour la faisabilité d'un Tepos : 75 hab./km2 . « Le chiffre est à prendre comme l'indicateur d'un ordre de grandeur, et non comme un dogme », commente Claire Le Strat (Energies Demain), rejointe en cela par de nombreux acteurs… le Cler compris. Car pris strictement, il réserverait la démarche à la campagne. Et sans un effort des villes, inutile d'espérer avancer à l'échelle du pays entier.
À défaut d'une ville à énergie positive encore bien utopique, mieux vaut tabler sur la sobriété énergétique, voire une relative neutralité pour des agglomérations moyennes : Perpignan Méditerranée vise la couverture de 75 % de ses besoins en électricité par les énergies renouvelables. « Avec sa topographie de ville-centre entourée d'un environnement rural immédiat, c'est envisageable », selon Yannick Régnier. Mulhouse (110 000 habitants) veut aussi s'affirmer « pionnière de l'énergie positive » : « Les spécialistes interrogés nous disent que nous avons la taille pour nous engager de manière réaliste », souligne le maire Jean Rottner. Pour les grosses agglomérations, la contribution peut consister à mixer des îlots « modèles » passifs ou à énergie positive avec un objectif général de basse consommation. Ainsi, le nouveau quartier de Lyon Confluence vise trois cibles de consommation : moins de 80 kWh/m2 /an pour la zone existante de 7 000 habitants (par des aides à l'écorénovation), de 60 kWh au passif avec quelques bâtiments à énergie positive pour la première phase neuve de 300 000 m2 qui s'achève en 2015, enfin une seconde phase à énergie positive d'ici à 2025.
Autre échelon qui s'installe dans le paysage des Tepos : le conseil régional, qui peut à la fois garantir la solidarité entre urbain et rural et susciter les projets locaux par des aides techniques et financières. Après la région Rhône-Alpes, c'est le tour de l'Aquitaine, en 2012, puis de la Bourgogne, ce printemps, de lancer des AMI.
Une fois le périmètre arrêté, chaque projet local doit définir sa finalité et sa gouvernance afin de mobiliser la population… et ce n'est pas forcément l'énergie positive qui sera le moteur. « Faire un projet de territoire, pas un projet sur le territoire » : les acteurs ont fait leur cette formule. À Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) ou au Mené, le Tepos a été mis au service d'un projet plus global de redynamisation économique et d'attractivité à retrouver.
Pour y parvenir, il faut d'abord mobiliser les élus. Ainsi, le Val d'Ille a fait adhérer chacune de ses dix communes à la convention des maires, un document européen à forte valeur morale, mais sans pénalités, qui engage son signataire à dépasser l'objectif de moins 20 % d'émissions de CO2 en 2020. En Aquitaine, « l'engagement politique constitue le principal critère de sélection dans notre AMI, il est seul à être noté avec le coefficient maximal 3. Il s'exprime notamment par la prise de compétences facultatives en énergie », indique Peggy Kançal, conseillère régionale en charge du plan climat. Huit intercommunalités ont été retenues, quatre, jugées plus avancées, sont accompagnées depuis fin 2012, les autres suivront cette année. De fait, le levier politique est nécessaire dans la démarche Tepos. L'association Virage Energie Climat Pays de la Loire a produit un remarquable scénario de transition énergétique inspiré de la démarche Negawatt. Sa traduction concrète dépend encore de la volonté des collectivités de se l'approprier. Toutefois, ce levier n'est sans doute pas suffisant. Si les territoires en ont conscience, les actions restent assez parcellaires en direction des bailleurs sociaux, des associations – hors les militants – et du monde économique, via les chambres de commerce et d'industrie, les chambres de métiers… Mobiliser dans le rural apparaît plus simple : « Chez nous, les agriculteurs sont également des élus et des responsables associatifs, cela facilite les choses. Nous en sommes à l'étape d'impliquer les habitants eux-mêmes. Leur investissement participatif finance 30 % de deux parcs éoliens. De plus, nous cherchons à les rendre exploitants de quelques dizaines de mini-chaufferies au bois », témoigne Marc Théry, chargé de mission énergie à la CC du Mené.
Parmi les acteurs incontournables, difficile aussi pour les collectivités d'ignorer les distributeurs d'énergie. Mais entre culture de la délégation de service public et propension à la régie, les deux mondes semblent encore loin d'avancer main dans la main sur ce sujet. « La future loi sur la transition énergétique et l'acte III de la décentralisation vont faire émerger un modèle où les collectivités deviennent actrices. Les fournisseurs doivent le comprendre et il est possible de construire avec eux une gouvernance locale sans affrontement stérile », expose Jo Spiegel, président délégué de l'agglomération de Mulhouse. En matière d'énergie, cette dernière vise un schéma local décentralisé après les élections de 2014, voire le statut d'autorité organisatrice. l
« N
e vous compliquez pas la vie pour mesurer les flux », « la documentation est abondante, ne refaites pas le travail déjà entrepris par d'autres », « de toute façon, les taux d'incertitude sont si importants que vous ne parviendrez jamais à une précision scientifique. Ce qu'il faut ce sont des ordres de grandeur »… Techniciens et bureaux d'études ayant déjà fait l'expérience lancent cet appel au pragmatisme aux collectivités qui veulent établir la « cartographie énergétique » de leur territoire. L'exercice est nécessaire : comment imaginer un projet d'énergie positive sans avoir mesuré la consommation, évalué les points d'optimisation et le potentiel de production d'énergies renouvelables locales ?
Dans le Val d'Ille breton, « nous nous sommes appuyés sur le diagnostic à l'occasion du plan climat ainsi que sur Ener'Ges, un cadastre énergétique régional dressé en 2011 pour l'habitat, le tertiaire, l'industrie, l'agriculture et les déplacements. Nous avons croisé avec des données environnementales et socio-économiques de sources multiples : Insee, Ademe… Notre action interne s'est concentrée sur les consommations en électricité et en gaz des bâtiments fournies par ERDF et GRDF. Nous estimons disposer d'une bonne photographie, facilement actualisable », relate Michel Janssens, chargé de mission énergie. À titre d'exemple « d'indicateur imprécis mais simple », le Val d'Ille déduit l'énergie produite localement par les capteurs solaires de leur surface combinée aux deux données régionales que sont la production moyenne par mètre carré et le taux d'utilisation.
Le pays du Thouarsais a exploité le riche contenu de l'observatoire régional de Poitou-Charentes sur les consommations dans l'habitat, en les croisant avec une série d'informations socio-économiques : nombre de personnes par foyer, âge, activité professionnelle… En Bourgogne, la Région et l'Ademe ont confectionné un tableau de bord de bilan énergétique. Il se présente sous la forme d'un fichier Excel prérempli, ce qui permet à la collectivité locale utilisatrice d'identifier ce qui lui reste à compléter, concernant par exemple son patrimoine immobilier et sa flotte de véhicules. Son format le rend aisé à mettre à jour. Une fois de plus, l'objectif n'est pas l'exactitude, mais le pointage des principaux postes de consommation sur lesquels agir. Plusieurs schémas régionaux climat-air-énergie ont également permis de réceptionner sur un plateau des données remises à jour.
Priorité pour l'Ademe : constituer un niveau d'informations à peu près équivalent partout en France. « Nous travaillons à la création d'observatoires dans l'ensemble des régions. C'est une base indispensable, même si elle ne résout pas les difficultés sur l'extrapolation de certaines données, en particulier celles qui dépassent le cadre régional : approvisionnement en énergie, circuits alimentaires, transport intrarégional », souligne Eric Prud'homme, chef du service animation territoriale.
L'intégration des transports dans la « cartographie » énergétique du territoire s'est imposée, compte tenu de leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre. Mais quels déplacements prendre en compte ? Sont globalement exclus des calculs le transport de marchandises et le transit : « On se concentre sur ce sur quoi le territoire peut agir », souligne Claire Le Strat, chef de projet au bureau d'études Energies Demain.
Pour la mesure des consommations d'électricité, de gaz et de chaleur, les bâtiments publics ne posent aucun problème. Concernant le parc privé, récupérer l'information auprès des distributeurs d'énergie est souvent une autre histoire selon les collectivités… Des évolutions réglementaires pourraient permettre à celles qui mènent des PCET d'accéder aux données de consommation.
Identifier les actions prioritaires sans forcément attendre l'élaboration d'une feuille de route de long terme, c'est l'objectif de cette phase de mesure. « Nous avons ciblé les maisons individuelles d'avant-guerre, elles représentent 50 % des émissions de gaz à effet de serre du parc d'habitations selon le diagnostic initial. Autre enseignement : ces maisons sont occupées par des propriétaires âgés à revenus modestes. Nos actions en tiennent compte, avec un volet consacré à la précarité énergétique », relate Aurélie Chevallier, chef de projet plan climat au pays du Thouarsais.
Si le suivi des consommations peut s'appuyer sur l'émergence des smart grids et autres compteurs intelligents, les ressources humaines se renouvellent aussi pour apporter leur aide. Parmi les nouveaux métiers au service de la politique des collectivités, les postes de conseil en énergie partagé et d'économe de flux se développent. En tant qu'économe de flux à la ville de Fontaine (23 000 habitants dans l'Isère), Luc Gilliot est l'un de ces « chasseurs de gaspi » : « Reposant sur le soutien des élus et des services techniques, le travail cible en priorité le tiers des bâtiments qui a été identifié comme représentant deux tiers des consommations. Nous avons aussi diminué de 10 % la puissance cumulée des points d'éclairage public. »
La documentation ne manque pas non plus sur la production d'énergies renouvelables ayant vocation à couvrir, voire excéder, les consommations totales, qui constitue l'autre terme entrant dans l'équation de l'énergie positive : les travaux préparatoires aux zones de développement éolien, les plans régionaux en faveur du solaire, du photovoltaïque ou de la géothermie ont fait procéder aux recensements, soit sur le territoire même, soit à l'échelle régionale. « Les nombreuses études régionales ont fourni l'information dont nous avions besoin. Notre effort s'est concentré sur le chiffrage du potentiel de biomasse animale et végétale à partir des cheptels et des surfaces cultivées », relate Marc Théry, chargé de mission énergie au Mené. La communauté de communes a dès lors été prête à lancer, en 2010, un plan d'action en dix points pour son autonomie énergétique, comprenant, entre autres, sept centrales éoliennes (30 MW) et la grosse unité de méthanisation de 75 000 tonnes de déchets agricoles et agroalimentaires, Geotexia, ouverte en 2011.
Quelques écueils sont à éviter : trop miser sur une seule énergie renouvelable, comme l'a rappelé le retournement du marché du photovoltaïque, et rester « durable » dans l'affectation des énergies renouvelables. Il s'avère indispensable de coordonner les actions des différents échelons territoriaux pour assurer la cohérence d'ensemble et créer des synergies. « Le programme bois-énergie du plan climat du Grand Lyon est ambitieux. Mais, à lui seul, il peut phagocyter la ressource forestière d'une bonne partie de Rhône-Alpes. Il est donc important que le Grand Lyon se positionne comme un acteur clé dans la structuration de la filière bois », avertit Sylvain Koch-Mathian, de l'association Hespul. l
« Feuille de route ». Le terme rebattu est pour une fois approprié. Ne serait-ce que parce qu'il est suffisamment vague pour recouvrir la variété des documents de référence retenus dans la planification d'un projet territorial à énergie positive. Le schéma directeur du Tepos n'existant pas encore, les collectivités se fondent sur leur plan climat-énergie ou sur un document « maison » : plan de transition énergétique 2020 ou 2050, contrat de territoire pluriannuel, etc. De façon originale, le nouveau quartier de Lyon Confluence se cale sur la convention 2010-2015 passée avec World Wildlife Fund (WWF) qui l'a labellisé « quartier durable ». « Son volet énergie fixe l'exigence zéro émission de carbone pour les deux Zac de construction neuves. Son respect est vérifié par un audit extérieur, avec suivi deux ans après le terme de la convention. Ce texte n'est pas du vent », souligne Maxime Valentin, chef de projet à la société publique locale (SPLA) Lyon Confluence, aménageuse du quartier. La reconduction de la convention est prévue après 2015.
Pour concrétiser ces plans d'action, les documents d'urbanisme (schéma de cohérence territoriale ou Scot, plan local d'urbanisme ou PLU) forment un levier efficace, qui gagnerait à être davantage ou mieux actionné, estime Sylvain Koch-Mathian (Hespul). « Dans les PLU, le règlement doit s'attacher à ne pas empêcher la performance énergétique et l'intégration des renouvelables, par exemple favoriser des pentes de toit de 30 à 60 ° pour optimiser le rendement photovoltaïque, privilégier ll'expositiona au sud, etc. Les orientation d'aménagement et de programmation (OAP) doivent créer les conditions de la sobriété ou de l'autonomie à l'amont des opérations. Enfin, les annexes du PLU peuvent porter à connaissance des documents comme le plan des réseaux de chaleur et la carte de potentiel éolien et solaire. »
Le suivi du plan d'action réclame du pragmatisme. À ce titre, l'outil Climat Pratic en a séduit plus d'un. La Bourgogne s'en est inspirée pour produire à l'usage des collectivités candidates au Tepos une version allégée en 30 points (contre 300) ordonnés selon trois niveaux : amorcer, mobiliser, agir. Mise au point avec Energies Demain, cette approche combine ainsi des actions immédiates à six mois et d'autres à l'horizon de plusieurs années. Selon Claire Le Strat, chef de projet du bureau d'études, « elle maintient l'effort dans le temps. Il faut prévenir le risque, réel, qu'une dynamique retombe une fois l'expert extérieur parti ». l