Depuis quatre à cinq ans, les critères environnementaux et énergétiques se sont développés dans les règlements d'attribution des aides fixés par les Régions et les Départements à leurs partenaires publics. « Le Grenelle de l'environnement et l'évolution des réglementations thermiques ont largement contribué à cet essor », analyse Annabelle Boutet, au Centre de ressources du développement territorial (ETD). Cette écoconditionnalité s'élargit au développement durable, la DD-conditionnalité. « La démarche est plus complexe, mais elle interpelle de plus en plus les collectivités », juge la chargée de mission politiques territoriales de l'association de collectivités. Après une analyse méthodologique publiée en 2011 avec dix Régions et Départements, ETD relance la réflexion en organisant un club sur la conditionnalité des aides aux principes du DD. La mise en place de tels dispositifs ne correspond pas seulement à un souci d'exemplarité, mais aussi à la nécessité de mieux financer dans un contexte marqué par les restrictions budgétaires.
La Région Centre fait partie des pionnières de l'écoconditionnalité, mise en œuvre dès 2003 dans le cadre de sa deuxième génération de contrats de pays (2003-2008). Elle instaure à l'époque un audit énergétique obligatoire pour tout projet immobilier supérieur à 300 000 euros, et une bonification de 15 % pour les projets avec une part de bois significative ou à haute qualité environnementale (HQE). Les contrats intègrent aussi une démarche qualité des zones d'activités, avec des cibles obligatoires (énergie, transports, déchets). « Nous avons lancé la machine pour sensibiliser les maîtres d'ouvrage. Au vu du nombre d'audits réalisés, cela a plutôt bien fonctionné », observe Fabienne Dupuis, directrice de l'aménagement du territoire au conseil régional.
L'auvergne s'est lancée en 2008, dans le sillage de son Agenda 21 et de son plan climat énergie territorial. Elle a choisi des critères énergétiques appliqués aux bâtiments, critères qu'elle a fait évoluer en 2012 pour dépasser les exigences réglementaires. Sur les bâtiments neufs, le respect de la RT 2012 doit s'accompagner de la mise en œuvre d'un test d'étanchéité à l'air. Sur l'existant, la conditionnalité est passée de la réalisation de deux diagnostics de performance énergétique (avant et après travaux) au respect d'exigences de performance (résistance technique des matériaux) sur au moins une intervention effectuée. Et le bilan est déjà positif puisque, sur 35 dossiers financés dans le cadre du premier dispositif, essentiellement en rénovation, les gains énergétiques ont atteint 60 %. « Cibler la performance énergétique des bâtiments dans une région comme la nôtre, au climat assez rude, est une question de bon sens. Et cette mesure a bénéficié à nos entreprises du BTP qui ont développé leurs compétences sur l'isolation », affirme Jean-Michel Guerre, vice-président en charge de l'attractivité des territoires.
En Essonne, « Construire et subventionner durable » est l'un des dispositifs phares de l'éco-conditionnalité votée par le conseil général en 2012. Basé sur un référentiel de dix objectifs élaboré par un bureau d'études, il fixe aux opérations quatre cibles obligatoires, dont une sur l'énergie. Ce référentiel a été décliné ensuite pour les espaces publics et les opérations de voirie. Et pour que le DD soit encore mieux pris en compte, le Département a intégré en amont un système de bonus-malus sur les contrats d'aide à l'investissement. « Nous ne cherchons pas à diminuer nos enveloppes, mais à nous positionner comme des financeurs responsables en sortant de la logique de guichet. L'écoconditionnalité va nous permettre de mieux contrôler la qualité de nos financements », analyse Laurence Caille, déléguée au développement durable et solidaire du conseil général. L'Essonne, qui a pris la compétence sur les espaces naturels sensibles, a également conditionné ses aides pour l'aménagement des parcelles au respect d'une feuille de route incluant la plantation d'espèces locales, le type d'abattage et de fauche, la conception des chemins… « Deux agents se rendent sur les sites pour vérifier la conformité des travaux réalisés par les collectivités », précise Camille Le Noan, coordinatrice environnement. Mais, dans la pratique, si l'accompagnement des porteurs de projets est considéré comme une priorité face à des règles d'attribution exigeantes, le contrôle de terrain reste rare. Faute de temps et de moyens. En revanche, une partie des aides peut être versée sur présentation des factures ou du bilan des travaux effectués. Le conseil général du Calvados a élaboré sa grille de critères en 2010 avec l'Ademe et le conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) aujourd'hui chargé d'aider les collectivités à monter leurs dossiers de financement. « Pour décrocher une aide, les projets doivent intégrer deux critères de niveau 1 sur quatre, et deux critères de niveau 2 sur cinq. Par contre, il ne s'agit pas d'atteindre des niveaux de performance mais d'intégrer des actions en lien avec les items listés. Nous ne voulons pas bloquer les initiatives des collectivités en rentrant dans une démarche trop contraignante », souligne Marine Tabard, chef de projet développement durable.
La Seine-et-Marne conserve, elle aussi, une obligation de moyens dans son dispositif révisé en 2013. Un premier bilan des écoconditionnalités mises en œuvre depuis 2009 a estimé qu'elles concernaient la moitié des aides à l'investissement (contrats de voirie, constructions scolaires, plan eau…). « Nous avons souhaité élargir le dispositif à toutes nos aides. Pour cela, nous formons tous nos encadrants à la mise en œuvre des principes de développement durable dans l'ensemble des politiques publiques. Et nous travaillons avec le CAUE et des associations (Aqui'Brie, Initiative 77) pour accompagner le montage des dossiers », explique Florence Labigne-Peleau, directrice générale des services. « Notre enveloppe budgétaire reste constante, à 30 millions d'euros par an, et nous misons sur la pédagogie et les vertus du faire ensemble », poursuit la directrice.
L'Alsace a également introduit une dose de DD-conditionnalité dans chacun de ses contrats : projet global d'aménagement (PGA) et convention intégrée de développement durable. « Dans le cadre de nos dispositifs, la DD-conditionnalité se veut incitative, en laissant une liberté de moyens aux porteurs de projets et une marge d'appréciation souple aux instructeurs (moyennant une cohérence avec le Scot, la justification de la prise en compte de l'environnement, une mixité d'usages et de publics, l'accessibilité des transports en commun) », précise Clara Jezewski-Bec, chargée de mission pays-planification territoriale et partenariats d'étude à la Région Alsace. Profitant des aides du conseil régional, la commune de Wingersheim (67) a monté récemment un PGA portant sur des aménagements urbains. « La Région a financé des voies de circulation douce pour desservir notre futur groupe scolaire et une nouvelle zone urbaine, alors qu'à la base nous voulions juste acquérir un bâtiment. Au final, la qualité du projet s'est nettement améliorée, mais il faut maîtriser le sujet et mieux vaut s'adjoindre les lumières d'un urbaniste », avoue le maire, Bernard Freund.
La Région Nord-Pas-de-Calais souhaite, de son côté, encourager la montée en puissance du développement durable sur son territoire, ambition qu'elle traduit progressivement dans l'attribution de toutes ses aides, sur les programmes de rénovation urbaine (Anru), l'économie, les sports. « Jusqu'à maintenant, nous étions exclusivement dans la négociation, poursuit Yannick Serpaud, chef du service développement et renouvellement urbain. Mais sur le prochain programme Anru, nous devrions proposer aux élus des écoconditionnalités plus précises, avec par exemple des niveaux de performance pour anticiper l'évolution de la réglementation thermique vers la RT 2020. » Critères de performance couperets ou incitations à agir, conditionnalités franches ou majoration des aides, le choix des dispositifs est large et, assez naturellement, évolue avec le temps. La Gironde est entrée dans l'écoconditionnalité il y a plus de dix ans avec un système de bonification qui n'a pas suffi à motiver les élus. En 2006, elle a donc conditionné ses aides au respect d'une fiche verte de dix critères de DD. Pour aider ses partenaires à se l'approprier, elle a même ouvert une téléassistance très fréquentée pendant six mois. « Avec le temps, certains critères ont été intégrés à la réglementation. Nous avons donc planché sur un nouveau référentiel beaucoup plus large d'éco-socio-conditionnalité », explique Christine Pertuis, directrice du développement territorial. La fiche verte a été réévaluée en croisant les sept principes de la démarche de responsabilité sociétale des organisations (RSO) du conseil général, réalisée avec le soutien de l'Afnor. « Il en sort plus de 150 critères potentiels avec des objectifs chiffrés que nous allons présenter aux élus cet été, précise la responsable. Mais si l'exigence de nos critères augmente, ce ne sera pas pour réduire les enveloppes. Il faudra au contraire davantage accompagner les porteurs de projets et nous formons nos équipes en ce sens. »
La Région Centre a, quant à elle, fait évoluer sa troisième génération de contrats (2008-2013) vers une obligation de résultats. A minima, 35 % des crédits doivent être alloués à un premier bloc de priorités comportant sept modules à traiter (économie, services, habitat et rénovation urbaine, biodiversité, énergie, mobilité, paysages). Dans ce cadre, elle a fléché 10 % des crédits sur les volets énergie et biodiversité, imposant aux pays la réalisation d'une trame verte et bleue et aux communes la mise en œuvre d'un plan d'isolation des bâtiments publics. Ce plan a suspendu les aides à la progression de leur étiquette énergie au minimum sur une classe D après travaux. Pour aider les petites communes de moins de 1 000 habitants, la Région finance leur étude énergétique. Et la quatrième génération de contrats (2014-2020) renforce et allonge encore la liste des conditionnalités. « Nous avons choisi de progresser par paliers, génération après génération. Aujourd'hui, nous avons déjà attribué 10,8 millions d'euros pour l'énergie et plus de 3 millions sur la biodiversité. Mais nos priorités sont désormais partagées avec les territoires », juge Fabienne Dupuis, qui souligne l'importance du travail de terrain et de sensibilisation. Agent de développement du Pays de Valençay-en-Berry, Carine Dubois assiste les communes dans le montage de leurs dossiers de subvention : « La troisième génération de contrat a coïncidé avec la hausse des factures d'énergie, qui a fait prendre conscience aux élus de la nécessité d'agir. Le message de la Région est donc bien passé. En revanche, les conditionnalités fixées sur les nouveaux contrats, comme l'atteinte de la classe C, semblent difficilement applicables par nos petites communes rurales. En fixant la barre haut, la Région a réussi à insuffler le changement, mais peut-être a-t-on atteint les limites de l'exercice… »