Mobiliser la ressource Pour alimenter un nombre croissant de chaufferies, la filière bois doit lever un à un les obstacles 1 forestiers, logistiques ou réglementaires qui freinent l'accès à une ressource moins accessible.
Soutenues par les 220 millions d'euros du Fonds chaleur, les chaufferies à biomasse s'installent à vitesse grand V dans le paysage urbain et industriel. Pas question de lever le pied. Ce montant doit être doublé si la France veut atteindre ses objectifs européens. Mais, pour que le bois reste dans la liste des énergies renouvelables, gare à ne pas surexploiter la forêt. Sur le papier, « la ressource est abondante. La croissance annuelle atteint 120 millions de mètres cubes. On en utilise la moitié », rappelle Serge Defaye, chef d'agence à Albi chez Best-énergies . Également vice-président du Comité interprofessionnel du bois énergie (Cibe), il souligne toutefois l'effet pervers de ces chiffres. Au-delà des considérations théoriques, « la vraie question est notre capacité à nous structurer pour mobiliser ce gisement dans un contexte économique donné ».
La ressource en bois ne peut pas être comparée à une poche souterraine de pétrole dont on ouvrirait plus ou moins les vannes selon les besoins. D'abord, parce que les prélèvements doivent respecter la biodiversité de la forêt et ses besoins de régénération. Ensuite, parce que les forestiers comme les consommateurs mobilisent naturellement les gisements les plus faciles à capter et à exploiter. Le principal enjeu désormais est de se tourner vers les petites parcelles, les secteurs sans chemin d'accès, les bois moins nobles qu'il est difficile de broyer ou qu'il faut dépoussiérer… « En Aquitaine, les massifs mal exploités sont nombreux, mais sont difficiles à atteindre. Pourtant, les plaquettes sont de bonne qualité », selon Jérôme Moret, chef de projet chez Idex. « Le leitmotiv, c'est d'élargir le gâteau de départ en mobilisant mieux la ressource », résume Nicolas Douzain, délégué général de la Fédération nationale du bois (FNB). « Stimuler la demande ne suffit pas, insiste Serge Defaye. Il faut créer un fonds de mobilisation et aider les entreprises à aller chercher les bois non collectés. »
Les collectivités ont leur rôle à jouer pour stimuler l'offre locale, à commencer par la suppression de certaines contraintes imp osé es aux exploitants. « Un forestier de Saône-et-Loire nous indiquait récemment que 20 % de son stock étaient bloqués en forêt », déplore Élise Bourmeau, déléguée générale de la Fédération des services énergie environnement (Fedene). En cause : le manque de dessertes. Des aides européennes permettent d'en créer de nouvelles, mais pas de les entretenir. Conséquence, dès que la pluviométrie est forte, des arrêtés municipaux interdisent les accès aux engins susceptibles de les dégrader. En dehors de la forêt, les aménagements urbains doivent par ailleurs tenir compte des contraintes rencontrées par les transporteurs. « Il est parfois difficile d'accéder à la ressource, regrette Valérie Belrose, chef de service à l'Agence des espaces verts d'Île-de-France. Surtout quand il faut traverser un lotissement ou franchir un rond-point. Pour les bûches, ce n'est pas un problème. Pour un gros camion transportant des plaquettes, beaucoup plus. »
Chaque nouvelle chaufferie est l'occasion de s'interroger sur la mobilisation de gisements oubliés. Dans la Thiérache, l'association AAAT (Atelier agriculture Avesnois-Thiérache) pousse les agriculteurs à valoriser les 3 500 km de haies hautes et d'arbres têtards du territoire en produisant des plaquettes bocagères. « Ces haies sont menacées par les nouvelles pratiques agricoles. On peut les sauver grâce à une démarche économique », souligne Françoise Gion, directrice de l'association.
Désormais, 2 000 tonnes de plaquettes sont produites chaque année pour les quatre-vingts chaufferies du territoire, une offre qui se substitue en partie à la production de bûches, mais qui pousse surtout les agriculteurs à optimiser leur ressource et à mettre fin aux pratiques de brûlage à l'air libre des rémanents. Le travail est loin d'être terminé. Le gisement total est estimé à 35 000 tonnes.
De même, en forêt, la vente de bois énergie peut apporter un complément de ressources, par exemple en profitant des travaux d'éclaircies nécessaires à la croissance des essences nobles. Cette recommandation vaut en particulier pour les petites parcelles qui, sans mutualisation, ne sont jamais exploitées. La forêt française appartient à 3,5 millions de propriétaires et 70 % d'entre eux possèdent chacun moins d'un hectare. Encore faut-il qu'ils acceptent de vendre leur bois. Car, bon nombre préfèrent conserver leurs arbres plutôt que de les couper et d'en replanter d'autres. « Le Fonds forestier professionnel créé après-guerre a été abandonné il y a une quinzaine d'années. Conséquence : on plante chaque année 30 000 arbustes quand il en faudrait 300 000 », note Nicolas Douzain.
« Nous devons davantage exploiter le bois en fin de vie », ajoute Jean-Claude Boncorps, président de Fedene. Une option qui ne va pas de soi, surtout depuis le 1er janvier. À l'instar des broyats de palettes, les déchets d'emballages faiblement traités appartiennent à la catégorie de bois dite 2910-B, un classement qui a des répercussions sur les installations de combustion qui en utilisent. Jusqu'à 2 MW, elles sont désormais soumises à une procédure d'enregistrement ICPE et doivent notamment analyser les combustibles qu'elles brûlent, et les teneurs en métaux lourds, en dioxine et en furanes de leurs cendres. « Cette nouvelle réglementation est issue d'une directive européenne. Or la France est la seule à avoir cette interprétation stricte. Un broyat d'emballage vaut 46 euros la tonne. Déclassé en déchet, c'est 15 à 20 euros. On a 640 000 tonnes de produits donc 20 millions d'euros de manque à gagner pour la filière », regrette Nicolas Douzain. « On veut être parfait en matière de gestion de déchets. Et en cherchant le mieux que bien, il est vrai qu'on pénalise une autre filière vertueuse », concède le député Jean-Yves Caullet. Sur le terrain, les conséquences ne se sont pas fait attendre. « On n'intègre plus forcément du bois d'emballages à nos projets », concède Jérôme Moret, une position qui n'a rien d'un cas isolé. Selon Amorce, un quart du gisement de biomasse des réseaux de chaleur repose pourtant sur des produits d'emballages faiblement traités. Pour inverser la tendance sans revenir sur la réglementation, une démarche de sortie de statut de déchet a été engagée. Deux arrêtés sont attendus d'ici à la fin de l'année sur le sujet. Lors de la prochaine saison de chauffe, le broyat devrait à nouveau être valorisé comme simple bois, à condition que son fournisseur suive une démarche qualité et que le combustible vendu réponde à un cahier des charges précis.
2Sécuriser l'approvisionnement Chaque porteur de projet doit évaluer la ressource locale disponible avant de créer une chaufferie. En face, les opérateurs s'organisent pour structurer la filière.
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l faut mettre la pédale douce sur les grosses installations donc maintenir le gel des appels à projets de la Commission de régulation de l'énergie. » L'avis de Nicolas Douzain, délégué général de la FNB, fait consensus. La centrale thermique emblématique de Gardanne, qui consommera 855 000 tonnes de bois par an pour produire de l'électricité, ne devrait pas faire de petits. Dans chaque région, des cellules biomasse présidées par le préfet veillent à ce que tout nouveau projet soit cohérent avec l'offre locale. Pour bénéficier du Fonds chaleur, chaque installation de plus de 1 000 tonnes é qui valent-pé trole (environ 4 000 à 5 000 tonnes de bois chaque année) doit no tamment réaliser un plan d'approvisionnement précis.
Le travail repose sur une évaluation des besoins et les ressources disponibles. « Avant, une lettre d'intention suffisait. Aujourd'hui, des éléments plus tangibles sont demandés. Quasiment une précontractualisation, avec la localisation des combustibles, la qualité exigée et des garanties sur les prix », prévient Alice Gauthier, ingénieur au service bioressources de l'Ademe. Objectif : éviter les mauvaises surprises. Faute de connaître les installations qui vont réellement sortir de terre, certains opérateurs ont tendance à promettre les mêmes gisements à plusieurs clients potentiels. D'autres surestiment leur capacité de production. « La crédibilité des fournisseurs est importante. Pour comprendre s'ils peuvent répondre à la demande, on s'intéresse à leur réputation, à leur capacité à mobiliser des gisements, à leurs certifications et aux investissements envisagés en forêt », insiste Alice Gauthier. L'engagement doit être tenu dans le temps. Chaque année, l'exploitant présente ses données d'approvisionnement, et des audits vérifient la provenance des combustibles. Les écarts conjoncturels sont acceptés et les plans peuvent évoluer, par exemple si un opérateur local fait faillite… Mais en cas de dérive, l'Ademe se garde la possibilité de suspendre ses aides.
Les disparités régionales sont trop importantes pour dessiner un plan d'ap pro vi sion-nement type. Les prix de marché n'étant pas « en mesure de réguler la concurrence des usages » (dixit le rapport Caullet), les cellules biomasse se servent des plans pour définir des équilibres locaux. Pas question par exemple de cibler les connexes de scierie sur un territoire qui compte déjà des entreprises de trituration. Le taux minimal de plaquettes forestières exigé par l'Ademe peut de même varier d'une région à l'autre. « Jusqu'à cette année, nous exigions 50 % de plaquettes dans les projets BCIAT (biomasse chaleur industrie agriculture et tertiaire), explique Alice Gauthier. Nous avons assoupli cette règle pour les installations intégrant des déchets de bois et disposant d'un système efficace de trai tement de fumées. » Enfin, le taux minimum de bois certifié PEFC ou FSC n'est pas le même partout. Ces garanties de gestion durable sont plus répandues dans la forêt domaniale. Si l'on veut convaincre les opérateurs de mobiliser les gisements privés, mieux vaut ne pas être trop strict sur ce point.
Trouver un opérateur capable de répondre à ses besoins n'est pas toujours simple. « La structuration de la filière demande du temps. Au départ, il n'y a pas de chaufferie car il n'y a pas d'approvisionnement, et pas d'approvisionnement car il n'y a pas de chaufferie », résume Valérie Borroni, chargée de mission à Rhônalpénergie-Environnement (R AEE). Plusieurs modèles peuvent être imaginés pour briser ce cercle vicieux. Dans les Pyrénées-Orientales, l'association Bois énergie 66 a joué le rôle de fournisseur de combustibles jusqu'à ce que l'offre privée se mette en place. Les maîtres d'ouvrage aident parfois des opérateurs locaux à se lancer. Et en Thiérache, l'association AAAT sert d'intermédiaire entre les clients et les agriculteurs dont elle commercialise l'offre. Aux premiers de se charger ensuite du déchiquetage, du séchage et des livraisons. AAAT a par ailleurs adhéré récemment à la société coopérative d'intérêt collectif Picardie Énergie Bois, pour alimenter les futurs gros réseaux de chaleur de la région.
Même les entreprises bien structurées ont compris l'intérêt à se regrouper pour répondre aux besoins des chaufferies. « On s'est rendu compte que le marché nous échappait au profit des grands groupes énergétiques », explique Frédéric Champalle, gérant du producteur de plaquettes forestières Eau-énergie. Avec dix autres fournisseurs, il a créé Absra, une entreprise qui donne à chacun davantage de visibilité commerciale, tout en conservant son autonomie. « Quand il y a un appel d'offres, chacun se positionne avec un volume et des prix. Puis on discute pour présenter un dossier commun. » Pour le client final, ce type d'organisation permet de contracter avec des acteurs locaux tout en bénéficiant des garanties d'un grand groupe. En cas de défaillance de l'un des fournisseurs du consortium, un autre prend le relais.
3 Caractériser le combustible Pour être efficace, chaque installation doit se régler sur un combustible aux caractéristiques précises. Pour éviter les surprises, mieux vaut un cahier des charges clair assorti de contrôles et de pénalités.
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ans une voiture, on ne brûle pas un jour du fioul lourd et le lendemain de l'essence sans plomb. Dans une chaudière, c'est exactement pareil. » Directeur commercial de Compte R, Bruno Chieze regrette que le volet qualitatif des projets de chaufferie soit un peu trop pris à la légère. « Il y a un énorme abus de langage à parler de plaquettes forestières », dit-il en soulignant que derrière l'appellation se cache une multitude de produits d'origine ou de qualité différentes : des délignures, qui sont des déchets de sciage de bonne qualité, aux cimes d'arbres avec des épines et beaucoup de déchets verts, en passant par les souches qui affichent des taux de terre non combustible de 20 ou 25 %. Avec des caractéristiques physico-chimiques aux extrêmes, ces bois génèrent des combustions différentes. « Dans une installation qui affiche une puissance inférieure à 700 kW, on recommande généralement un combustible de qualité, donc des plaquettes sèches. Jusqu'à 1 500 kW, on a davantage de latitude et la possibilité d'utiliser du bois plus humide. Lorsqu'on dépasse ce seuil, on conçoit des installations à la carte », tente de résumer Bruno Chieze, insistant toutefois sur le fait que chaque projet est particulier.
Avant même de choisir une chaudière, ces principes de base doivent être croisés avec des données sur les ressources locales pour définir un optimum technico-économique. Une ressource boudée par les installations voisines est souvent très bon marché. Si elle est difficile à exploiter, elle nécessite en contrepartie des investissements de préparation, de préchauffage ou de traitement de fumées. Gare en particulier à certains cocktails. La combinaison de plaquettes humides et d'agrocombustibles ou de refus de compostage, qui regorgent de soufre, génère de l'acide sulfurique très corrosif. Une ressource très fine en granulométrie et très humide est, quant à elle, opaque au passage de l'air, donc difficile à brûler.
Tout casse-tête technique a sa solution. « Dans chaque installation, on peut adapter la surface du plan de grille, jouer sur les systèmes d'évacuation des résidus, augmenter le volume de chambre, diminuer les vitesses de gaz dans les échangeurs ou adapter les traitements de fumées », explique Bruno Chieze. Une fois les spécifications de l'installation et du combustible définies, mieux vaut, en revanche, ne pas revenir en arrière. Attention aux économies de bouts de chandelle. Si un exploitant est contraint de brûler une ressource incompatible avec sa technologie, il dégradera son rendement, accroîtra ses émissions polluantes et verra son installation vieillir pré ma turément. « Au-delà de la qualité intrinsèque du combustible, attention aussi à sa constance dans la durée, prévient Serge Defaye, chef d'agence à Albi chez Best-énergies. Si le profil de la plaquette évolue sans cesse, les réglages de la chaufferie deviennent infernaux. »
Pour éviter ces écueils, il est essentiel de bien choisir ses fournisseurs. « Certaines structures qui regroupent des scieurs ou des recycleurs, comme Biocombustibles SA en Normandie, ont su adapter leur offre. D'autres restent dans une logique de déchets de bois, regrette Rémi Grovel, gérant du cabinet conseil Forêt énergie ressources. Elles n'ont pas intégré que l'on brûlait un combustible qui devait être conditionné et respecter un cahier des charges précis : humidité, pouvoir calorifique inférieur, taux de fine… » La stratégie d'approvisionnement est toute aussi importante. « Au-dessus de 5 MW, on mise plutôt sur des flux tendus pour limiter les ruptures de charges et réduire les coûts… avec des granulométries et des taux d'humidité assez flexibles. Au-dessous, nous avons besoin d'homogénéité. Donc de plateformes pour stocker une partie des besoins », explique Jérôme Moret, chef de projet chez Idex. Pour faire le tri entre les opérateurs, plusieurs certifications commencent à voir le jour. En Rhône-Alpes, l'interprofession a notamment créé le référentiel « chaleur bois qualité » (CBQ+) pour garantir la démarche qualité des opérateurs. Pas question, bien sûr, de se contenter de cette garantie. « L'enjeu est d'être rigoureux sur les données contractuelles avec des caractéristiques précises, des clauses de contrôle et des pénalités, estime Rémi Grovel. Des litiges peuvent apparaître quand les cahiers des charges sont mal faits et qu'il y a un risque d'interprétations différentes entre le maître d'ouvrage et les fournisseurs de technologies ou de combustibles. »l