EME : Le débat sur l'énergie a-t-il évolué en France depuis le début du quinquennat ?
Oui, il a progressé, sans pour autant s'être suffisamment démocratisé. La première Conférence environnementale, en 2012, a enclenché une dynamique. Elle a touché des ménages chez lesquels l'enjeu énergétique n'était jusqu'alors jamais rentré. Elle a aussi poussé les décideurs politiques et économiques à plus de transparence. Une commission spéciale, réunissant celle des affaires économiques et celle du développement durable, a été créée pour examiner le projet de loi, décloisonnant ainsi le processus parlementaire. Une telle initiative aurait été inenvisageable, il y a quelques années encore. C'est le signe d'une évolution. Cela dit, un g ro s trav ail d ’i n f o r m a t i o n et de pédagogie auprès des Français reste nécessaire.
EME : Le projet de loi s'inscrit-il dans la continuité ou en rupture avec le Grenelle de l'environnement ?
Le Grenelle a été une bonne démarche. Il fallait en passer par là. Mais il a été trop perçu comme une source de contraintes. Ce nouveau texte se met au service de l'économie. Sur certains sujets, il actualise le Grenelle. Sur d'autres, il va plus loin. Par exemple, avec un chapitre sur l'économie circulaire. C'est un enjeu important à double titre. D'abord, parce qu'une façon d'économiser l'énergie passe par le réemploi et le recyclage. Ensuite, parce que la valorisation énergétique des déchets est une question à aborder avec une extrême prudence. Il ne faudrait pas, en l'encourageant, s'empêcher de recycler demain des produits que l'on ne sait pas traiter aujourd'hui. Ce chapitre, que certains jugent trop limité aux déchets, aura au moins le mérite d'ancrer la notion d'économie circulaire dans la loi. En parler constitue déjà un grand pas en avant. Il faudra modifier sa définition en amendant le projet pour être plus ambitieux, plus opérationnel et faire aussi entrer l'économie circulaire dans le Code de l'environnement.
EME : À quelles conditions, cette loi sera-t-elle une réussite ?
La réduction de la consommation d'énergie est l'un des enjeux majeurs et le bâtiment est le secteur sur lequel il y a le plus à faire. Il doit être l'occasion de prouver qu'un autre regard sur la crise est possible. Le bâtiment se trouve à la croisée des questions économiques, environnementales et, à travers la précarité énergétique, sociales. Il s'agit de montrer que l'écologie permet de sortir de la crise. C'est la raison pour laquelle la ministre Ségolène Royal a inscrit ce projet de loi dans la perspective de la création d'emplois et de la croissance verte. Pour satisfaire cette ambition, il va falloir stimuler la formation. Nous, professionnels comme élus, devons faire nos preuves auprès des Français. Nous devrons être crédibles et leur proposer des services de qualité. Des initiatives sont déjà menées localement. Elles doivent être généralisées. Il n'y a aucune raison de les réserver à quelques-uns sur le territoire. L'enjeu numéro un porte donc sur la démocratisation de la transition énergétique. Nous ne pourrons être satisfaits que lorsque la majorité des Français auront mis en œuvre, chez eux, des travaux de rénovation énergétique.
EME : La loi fournira-t-elle les moyens nécessaires ?
Il ne faut pas négliger la question du financement. Mais l'enjeu n'est ni de multiplier les outils ni de lever de nouveaux impôts. À l'image de l'écoprêt à taux zéro, les solutions existantes doivent être améliorées. Il faut surtout les porter à la connaissance des Français. Et, ensuite, s'assurer qu'elles sont bien utilisées. Derrière l'information du public se cache un besoin d'accompagnement. L'énergie doit faire partie du service public, en prenant soin de correctement cibler les interventions. Les collectivités ont là un rôle essentiel à jouer. Au départ très motivées, elles se montrent aujourd'hui plutôt déçues. Elles auraient voulu pouvoir mener des expérimentations, elles attendaient qu'on leur confie des responsabilités, pas qu'on leur en impose. Le tiers-financement est typiquement un sujet sur lequel elles ont l'impression de reculer. Je suis toujours frappée de constater le décalage entre les initiatives de terrain et certains débats nationaux. Il y a eu une polémique sur le statut des sociétés de tiers-financement vis-à-vis du monopole bancaire. Mais avec un peu d'intelligence, on doit pouvoir dépasser ce problème. Des Régions comme l'Île-de-France et Rhône-Alpes ont monté leurs propres structures. Le comble serait que cette loi les empêche de fonctionner ! De la même façon, la création de services régionaux d'efficacité énergétique m'apparaît incontournable.
EME : D'autres sujets suscitent de nombreux débats…
Oui, comme l'obligation de rénovation. Dans l'idéal, celle-ci devrait être instaurée. Mais il est toujours préférable de convaincre sans contraindre. Il faudra donc trouver un compromis, par exemple en ciblant certaines étapes de la vie d'un bâ timent, comme le changement de propriétaire. Quoi qu'il en soit, l'obligation sera contre-productive si nous ne garantissons pas l'existence d'une offre de rénovation de qualité. Concernant la création du chèque énergie, le débat porte sur ses modalités d'utilisation. Une solution pourrait être de soutenir l'achat d'appareils domestiques plus efficaces. Je partage l'idée selon laquelle le chèque ne devrait pas, par exemple, financer des cuves à fioul. Ce serait envoyer un mauvais signal. Mais peut-être cela faciliterait-il l'acceptabilité d'autres mesures. Il faut parfois admettre des imperfections pour pouvoir avancer. L'important est de prendre des dispositions qui soient réalisables et qui soient dans l'intérêt de tous.