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alheureusement, radars, avions de chasse et éoliennes sont tous friands de terrains assez vastes et peu habités, et c'est de là que viennent les tensions actuelles », résume le colo nel Raymond, chargé de mission sur l'éolien auprès du Directeur de la circulation aérienne mili taire, le général Labourdette. Or, en France, l'armée dispose d'un droit de veto sur les projets, si elle estime que les éoliennes risquent de perturber ses ins tallations ou ses zones d'en traî nement. « Et il est vrai que depuis quelques années, avec l'augmentation de la taille des éoliennes, la cohabitation devient plus difficile et nous devons poser certaines contraintes, poursuit le colonel Raymond. Cependant, nous avons tout de même émis un avis favorable pour 90 % des demandes de permis de construire déposées en 2014. » Un chiffre qui agace Sonia Lioret, déléguée générale de l'association France Énergie éolienne : « La réalité, c'est que l'armée a changé d'avis sur 10 % des projets pour lesquels elle avait émis un avis favorable en préconsultation ! Les porteurs de projet ne vont jamais jusqu'au permis de construire, si auparavant, ils n'ont pas un avis favorable de l'armée. » Or, c'est justement à ce stade que les contraintes de l'armée bloquent actuellement 5 700 MW de pro jets éoliens, selon l'association.
Pourtant, la cohabitation n'avait pas si mal commencé, puisque l'armée avait été consultée lors de l'élaboration des différents sché mas régionaux éoliens (SRE). « Dans notre SRE, nous avions établi que 80 % du territoire lorrain était favorable aux éoliennes, en tenant compte des contraintes de l'armée à l'époque », rappelle Daniel Béguin, vice-président du conseil régional de Lorraine chargé de l'énergie. « Mais, il y a un peu plus d'un an, nous avons appris qu'elle avait défini de nouvelles incompatibilités ; 85 % des communes supposées favorables ont alors été remises en cause. Il ne reste donc plus de place pour l'éolien ! Imaginez l'impact que cela a pour les développeurs, qui ont investi des sommes considérables pour faire avancer des projets qui se retrouvent soudainement bloqués… »
La Lorraine, troisième région française de l'éo lien il y a trois ans, se trouve aujourd'hui à l'arrêt « et sans changement, nous n'arriverons pas à atteindre notre objectif de 1 500 MW installés en 2020, alors que nous avions déjà parcouru la moitié du chemin », se désole le vice-président.
En Bretagne, le constat est le même. « Le SRE avait tenu compte des zones de servitude des radars, des couloirs aériens et des zones d'approche des aéroports. À l'époque, l'armée nous avait commu ni qué ses informations et avait même été force de proposition », se souvient Dominique Ramard, conseiller régional délé gué à l'énergie. « Mais, en 2014, nous avons vu arriver un nouvel axe RTBA (réseau très basse altitude, ndlr). Puis nous avons appris, par les développeurs, qu'un nouveau radar allait être installé à Dinard, condamnant tous les projets éoliens, à terre et en mer, dans un rayon de 30 km ! Nous ne remettons pas en cause le besoin mais la méthode : nous nous trouvons devant le fait accompli après des décisions prises unilatéralement. » Les élus du conseil régional ont donc demandé à rencontrer les responsables de l'armée de l'air pour discuter et essayer de prévenir l'apparition de conflits identiques pour l'éolien offshore. « En mer, les servitudes militaires sont très importantes. Si l'on ajoute les autres contraintes (zones Natura 2000, accès aux ports…), il ne reste que 5 à 10 % de la surface favorable à l'éolien qui peut être exploitée, souligne Dominique Ramard. Il est donc impératif de trouver une solution pour combiner au mieux le développement des énergies renouvelables et le maintien de la sécurité intérieure. » Un pre mier rendez-vous avec le géné ral Labourdette a été organisé en février, mais sans résultat.
À l'échelle nationale, des discussions entre ministère de la Défense et de l'Environnement ont eu lieu en début d'année et ont abouti à l'annonce, par Ségolène Royal, d'une diminu tion des contraintes sur 18 % des zones Setba (secteur d'en traî nement à très basse alti tude à vue) et 11 % des zones Voltac (vols tactiques pour l'entraînement des hélicoptères de combat). Mais, pour Sonia Lioret, « cela ne suffit pas ». « Les premières bloquent 958 MW de projets et les secondes 1 400 MW, donc quelques pourcents en moins ne changeront pas grand-chose, d'autant que rien n'a été communiqué sur les régions concernées. Il faut un arbitrage politique national. » Une solu tion qui semble d'ailleurs faire ses preuves en Allemagne, où la question de la cohabitation entre éoliennes et armée s'est posée, il y a une dizaine d'an nées. « En Allemagne, il n'y a que 500 à 600 MW bloqués par les contraintes militaires », note Sarah-Florence Gaebler, char gée de mission énergie éolienne à l'Office franco-allemand pour les énergies renouvelables (OFAEnR). « Et cela s'explique par la volonté de dialogue qui existe là-bas. »
Des discussions ont commencé, dès 2007, entre minis tères chargés de l'Environne ment, des Transports et de la Défense. En 2009, un groupe de travail est créé au sein de l'armée allemande, avec pour mission d'expliquer les décisions inhé rentes aux radars et aux éoliennes et d'engager un dialogue avec les communes où les projets étaient bloqués et avec l'indus trie éolienne. En 2011, ce groupe de travail a permis de décoincer l'installation de 170 éoliennes et il poursuit son œuvre. Des solu tions techniques sont à l'essai, à l'instar d'un logiciel avec lequel l'armée peut mettre à l'arrêt des éoliennes en cas de besoin dans certaines zones de cohabitation avec des aérodromes militaires. Il vient d'achever avec succès une année de phase pilote. « Un grand projet de mise à jour des radars, pour les rendre moins sensibles au mouvement des pales, est également à l'étude », révèle Antoine Chapon, chargé de mission éner gie éolienne à l'OFAEnR. « Le projet Weran, lancé en 2013 et piloté par le ministère de l'Économie allemand, étudie la possibilité de mieux simuler les gênes potentielles des radars par les éoliennes afin d'améliorer le processus d'autorisation des projets. »
En France, « la DGA (Direction générale de l'armement) et l'Onera (Centre français de recherche aérospatiale) travaillent au développement d'un outil de simulation de l'impact des éoliennes sur les radars, ce qui nous permettra d'évaluer très précisément l'acceptabilité des projets éoliens, annonce le colonel Raymond. Celui-ci devrait être opérationnel en 2016. Dans le même temps, il y a des améliorations technologiques à faire de part et d'autre. Nous travaillons à la mise en place de filtre sur les radars pour éliminer les perturbations des éoliennes, tandis que le secteur de l'éolien doit œuvrer à la furtivité de ses pales et de ses mâts ». En espérant que la technologie réussisse à débloquer la situation, si le dialogue ne suffit pas. l