EME : Comment se porte la filière photovoltaïque en France ?
DB : Inutile de se voiler la face : l'état de la filière est très mauvais. Sans mesures qui entreraient en vigueur l'année prochaine, le pire reste à venir. Dès le second semestre, le nombre de projets va chuter. Le grand chantier est de faire reconnaître l'énergie solaire à sa juste valeur en France. L'administration nous traite avec beaucoup de méfiance. On continue de nous faire payer la bulle des années 2008 à 2010. Pourtant, le secteur solaire évolue très rapidement dans le monde entier. Il faudrait plutôt se montrer pragmatique et anticiper l'avenir.
EME : Comment accueillez-vous le complément de rémunération que va instaurer la loi sur la transition énergétique ?
DB : À partir de 500 kW, toute nouvelle centrale photovoltaïque devra gérer ce mécanisme adossé au marché de l'électricité. Soyons réalistes : cela générera un surcoût important pour chaque projet. Je l'estime entre + 10 et + 15 % ! Pour deux raisons : les frais d'intermédiation et la hausse des coûts de financement auprès des banques due aux incertitudes supplémentaires qui découleront du fonctionnement du marché. Ce complément de rémunération est le produit d'une vision technocratique, idéologique, défendue sur le plan européen par le lobby gazier pour éviter que les énergies renouvelables ne se développent partout.
EME : Comment voyez-vous l'avenir du photovoltaïque se dessiner ?
DB : Distinguons trois marchés. D'abord, les centrales au sol. Nous demandons qu'elles soient traitées comme l'éolien terrestre ! Attention, il ne s'agit pas de rabaisser cette énergie, mais plutôt de libérer le solaire. Les deux filières sont complémentaires. Le photovoltaïque au sol, pour les nouveaux projets, ne coûte pas plus cher à la collectivité que l'éolien et représente une industrie au moins aussi présente sur le territoire français. Les centrales photovoltaïques ne posent pas non plus de problème en matière d'acceptabilité sociale et environnementale. Nous ne pouvons pas admettre d'être considérés différemment de l'éolien. Ensuite, il y a le photovoltaïque en toiture, chez le particulier d'une part, sur les grandes toitures d'autre part. Plaçons-nous dans une logique d'énergie locale et cherchons à favoriser l'autoconsommation. C'est le modèle qui coûtera le moins cher à la collectivité et c'est l'avenir de la filière. Dans le résidentiel, les projets représentent des puissances limitées. La demande est forte et l'offre existe. Il faut simplement trouver le système pour que soit achetée, et non perdue, l'électricité qui ne sera pas autoconsommée. Avec les plus grandes toitures, la situation est plus délicate. À de rares exceptions près, les sites ne pourront pas entièrement autoconsommer leur production. Travaillons donc sur le stockage de l'électricité et sur les logiques de boucles d'énergie locales. C'est à l'Ademe de lancer de telles expérimentations.
EME : Quelle est la mesure la plus urgente à prendre ?
DB : Au lieu des actuels appels d'offres, qui sont insuffisants en volume comme en régularité, nous demandons l'ouverture pour dix-huit mois d'un guichet unique pour les centrales au sol, suivant les mêmes modalités que l'éolien terrestre. Ensuite, puisque l'Union européenne impose des appels d'offres à partir de 2017, pré-voyons-les dès maintenant pour les grandes toitures et les ombrières. Ces projets fourniront des volumes significatifs à la filière et permettront de développer les savoir-faire nécessaires pour remporter des marchés à l'international. Et, pour le solaire thermique, il y a un vrai travail à faire avec les collectivités locales pour promouvoir ce secteur qui souffre d'un manque de notoriété.
EME : Cela suffira-t-il pour construire une filière en France ?
DB : L'enjeu est d'avoir l'énergie la moins chère possible. En cinq ans, le coût des centrales au sol a déjà été divisé par quatre et nous savons que la baisse n'est pas terminée. Nous sommes compétitifs. C'est donc en accordant des volumes suffisants et de la visibilité que l'on développera la filière photovoltaïque, pas en instaurant des barrières douanières aux frontières européennes. Les mesures de protectionnisme n'ont de sens qu'à très court terme. Sur la durée, ces taxes ne font que surenchérir le coût des projets. Enerplan insiste : la filière ne se construira qu'avec des volumes importants et de la visibilité. Globalement, tous types de projets confondus, le marché annuel français doit très vite dépasser 1 GW, puis tendre progressivement vers 2 GW. Simplifions les cahiers des charges des appels d'offres et orientons-les vers les enjeux d'avenir, comme le stockage de l'électricité. Dans le secteur de l'énergie, il faut être visionnaire !
EME : Est-il encore pertinent de fabriquer en France des modules photo voltaïques ?
DB : Oui, et d'ailleurs la France compte plusieurs fabricants. Mais inutile d'être obnubilé par les modules. Il nous manque des usines produisant des lingots de silicium, des wafers… Ce qu'il faut soutenir, c'est aussi tout ce qui existera autour des systèmes photovoltaïques : les batteries, les outils numériques, la domotique. Ces innovations sont souvent développées par de jeunes entreprises. La meilleure manière de les encourager est de leur offrir un vrai marché domestique. l